Podcast : Chloé Seyrès – la période roller dance (3/3)
Après avoir pratiqué le roller slalom et le roller derby, Chloé Seyrès a brièvement rangé les patins avant de reprendre la roller dance. Dernier volet de l'interview de la championne et artiste de mouvement...
Par alfathor

Chloé Seyrès, après le roller derby et ta parenthèse, comment as-tu débuté la roller dance ?
Je découvre alors un parking couvert à Montréal où je peux pratiquer la roller dance. Alors, je reprends les bases et j’essaie de comprendre les fondations de la danse. Je venais du slalom freestyle, du patin en ligne. Mes réflexes correspondaient au slalom, avec des techniques de base différentes de celles de la roller dance.
Il a notamment fallu que je réapprenne les noms des figures. Le « flow » de base en roller slalom est le « crazy ». Quand tu arrives en roller dance, le pas de base est le « crazy legs ». Alors tu te dis : « Ah cool ! C’est la même chose ! Mais non ! Le crazy du slalom correspond au « gravepine ». Le crazy legs de la roller dance correspond à la « parenthèse » en slalom, si ça vous parle.
Les pas de base ne sont pas les mêmes. J’ai commencé à réexplorer la roller dance. D’abord, j’ai étudié beaucoup de vidéos. J’ai fait mon possible pour comprendre comment marche ce flow, ce qui fait les différences avec le slalom. Il a aussi fallu me redétendre avec 6 ans de roller derby. En effet, quand j’ai recommencé la danse sur patins, j’avais l’air d’un tank ! Je devais décontracter les bras. Cela a été une réadaptation. Apprendre de nouvelles constructions, de nouvelles façons de visualiser les mouvements. Il n’y a pas non plus une infinité d’options avec les pieds. Il faut réfléchir à la façon de transposer tout cela du patin en ligne au quad. J’ai dû aussi retrouver de la souplesse, de la fluidité de mouvement après des années de roller derby.

En fait, tu reprends l’approche du slalom, tu regardes, tu décomposes pour comprendre comment ça marche…
Oui, je reviens tout simplement à ce que j’aimais : une discipline individuelle et créative d’expression du mouvement. Cependant le médium est différent. Je n’ai plus la ligne de plôts qui m’oblige à rester dans un certain périmètre. J’ai autant d’espace que je le souhaite. Je reviens au freestyle.
Tu dis que c’est une pratique assez individuelle, mais pour moi qui suis béotien, je vois cela comme une pratique en groupe. J’ai du fun avec d’autres gens. A côté de cette partie d’apprentissage des pas, seul, j’ai le sentiment que cela se pratique à plusieurs ?
Il y a plusieurs aspects. Quand j’ai repris la roller dance, j’ai redébuté ma relation avec le patin. Elle avait été un peu amochée. J’ai pris du plaisir à me reconnecter avec la pratique, seule. Malheureusement à Montréal à l’époque, il n’y avait pas grand monde. Les gens n’étaient pas très connectés. Il y avait bien des spots de roller dance comme le parc Lafontaine, mais à Montréal il ne faut pas oublier qu’il y a huit mois d’hiver ! A Montréal, il y avait bien un roller rink, le Palladium, mais ouvert seulement six mois par an, seulement les dimanches et seulement de midi à seize heures. Le reste du temps, il préférait miser sur le bingo qui rapporte plus.
Depuis, il a fermé et il n’y a plus de véritable lieu intérieur à Montréal pour pratiquer le patin. Cependant, il y a bien un nouvel établissement qui a ouvert : le Palais du Patin. Mais c’est littéralement un couloir ovale avec des murs de part et d’autre, et tu tournes en rond. Il n’y a pas de milieu comme un roller rink classique. C’est un bel endroit, mais ça ne convient pas à la roller dance. C’est un peu comme aller en bowling en famille.
Chloé Seyres, cela veut dire qu’il n’y a donc plus d’endroit pour pratiquer la roller dance à Montréal…
Non, en tous cas pour l’instant. Il a des possibilités de patiner en groupe en louant un gymnase pour une soirée, mais ce n’est pas la même chose.

Comment as-tu découvert la roller dance ?
Je l’ai découverte bien avant Montréal, quand j’étais encore à Paris, avec Jean-Marc Gravier. Quand je suis passée au quad, il m’a proposé de patiner ensemble. Mes premiers pas en roller-dance, cela a été avec Jean-Marc. Il y avait aussi Soraya Ghadéri qui roulait avec la Seba Team, Marjorie Phlippoteau. Des gens qui roulaient et faisaient du quad.
Et là on fait référence à SkateXpress…
Exactement, c’est là qu’on s’est dit : « OK, on va créer une compagnie de roller dance et nous avons cofondé SkateXpress. Cela devait être en 2012-2013. La roller rink de Paris, la Main Jaune, avait fermé depuis quelques temps. C’était un endroit mythique du roller. Jim est passé par là, a vu qu’il y avait de l’activité et s’est aperçu qu’il y avait des gens qui squattaient l’endroit : le Collectif La Main.
» Ainsi, pendant environ un an, nous nous sommes entraîné à la main jaune. C’était un énorme kiff de patineur ! «
Chloé Seyrès, à propos de la Main Jaune, un lieu emblématique de la roller dance.
Alexandre : Pour rappel, la Main Jaune était la boite de roller disco qui était à la porte de Champerret. Elle a servi de lieu de tournage d’une séquence du film « La Boum » avec Sophie Marceau…
Walid : Si nous revenons à la période actuelle, tu disais que tu donnes de cours de roller ?
J’ai toujours donné des cours, depuis 2003. J’avais passé le Brevet d’Initiateur Fédéral pour avoir une petite formation sur la façon d’enseigner. Je donnais des cours de slalom dans les clubs et j’ai donné des cours dans des workshops en France à l’étranger. Et puis, j’ai enseigné l’agilité dans le roller derby, pas trop les règles ou le contact, même si j’ai appris par la suite. Je faisais de la technique de patinage pur pour être efficace dans le contexte du roller derby. Tout naturellement, j’ai engrangé suffisamment de connaissances, j’ai ensuite eu envie de les partager.
La communauté roller dance était vraiment timide à Montréal, il n’y avait pas grand monde. J’étais un peu coincé en phase d’immigration, je n’étais pas résidente permanente. J’avais un permis de travail fermé et j’étais donc lié à un employeur seul. Je devais avoir un emploi qualifié à temps plein pendant X temps pour pratiquer. Je devais me trouver obligatoirement un travail dans la traduction, j’ai cru que j’allais mourir ! C’était une bonne planque mais c’était extrêmement mal payé. j’étais pieds et poings liés à eux pendant trois ans. Je faisais de la traduction d’articles people pour MSN.
Au final, ils ont fini par faire un licenciement collectif pendant la période COVID19. Ce n’était pourtant pas lié au confinement. Ils avaient juste décidé de faire des économies. Et c’est le moteur de recherche Bing de Microsoft qui a racheté MSN. Ils ont renvoyé toutes els équipes éditoriales pour les remplacer par des robots et des algorithmes. J’étais dans la « mouise » parce que je ne pouvais travailler que pour eux. Il fallait retrouver un employeur pour refaire des papiers avec l’immigration, mais c’était compliqué.

Chloé Seyrès, comment as-tu fait pour rester au Canada ?
Tout cela pour dire que ces trois ans ont coïncidé avec ma période de coupure de patin. J’ai enfin eu ma résident permanente en février 2021. A partir de là, j’ai pu me lancer dans mes projets personnels et me lancer dans la roller dance. J’ai aussi pu m’installer en tant que performer. Avant j’étais athlète, je suis devenu artiste. J’ai assez fait de compétition. J’ai envie de faire des spectacles ! C’était l’idée : donner des cours et faire des spectacles. Désormais, je suis artiste de mouvement. Je monte des numéros en roller dance ou liés au patin et je les présente en live. J’en fais dans les cabarets et le milieu du cirque qui est florissant à Montréal.
A l’heure actuelle, tu vis entièrement de ton activité d’artiste ?
Non, je fais toujours un peu de traduction avec des maisons d’édition. J’ai toujours des livres à traduire, j’ai toujours des séries en cours mais dans mon partage du temps, cela m’accapare moins. Je suis sur mon activité de patin. En ce moment je vis du roller et c’est génial. C’est comme toute activité artistique, tu ne sais pas de quoi demain sera fait, mais pour l’instant ça fonctionne.

Comment te projettes-tu dans l’avenir ?
J’aimerais créer une structure, une école de patin à Montréal. C’est encore au stade de projet. Et en parallèle être artiste performeuse en patin à roulettes. Comment je peux amener d’autres dimensions au patinage, au delà de la dimension sportive.
Comment vois-tu l’avenir du patin à roulettes ?
C’est une bonne question, je peux difficilement parler des disciplines. Cela fait trop longtemps que je suis sorti du slalom par exemple. Je ne sais pas à quoi cela ressemble aujourd’hui. Le roller derby est en reconstruction après la pandémie. Je pense que beaucoup de personnes ont arrêté. A Montréal, les ligues sont en phase de recrutement.
Pour la pratique de la roller dance, ou encore le skatepark et la pratique du roller quad chez les femmes et les personnes queer, la pandémie a déclenché une explosion. Ce sont des disciplines fun qui peuvent se pratiquer de façon assez « safe », individuellement. Cependant, c’est déjà en train de stagner. Je pense que nous sommes déjà en phase de stagnation. En effet, de nombreuses personnes vendent déjà leurs patins sur les market places, un an après les avoir acheter. C’est cool, la pandémie a permis de faire connaître le quad à de nouvelles générations. Nous avons gagné des pratiquantes, des passionnés qui vont rester… mais je pense qu’il va y avoir un gros écumage d’ici peu.
C’est cyclique, cela va retomber dans l’oubli, jusqu’à la prochaine fois ! Au moins cela incite les marques à proposer des nouveautés, de nouveaux équipements, de nouvelles possibilités, de nouvelles sensations et des évolutions. Profitons-en tant que nous sommes encore sur le haut de la vague.

As-tu déjà essayé le park en quad ?
Techniquement, je peux en faire, mais je suis vraiment très cassée. Je suis toujours en période de reconstruction. J’ai une double hernie discale. J’ai passé des semaines au lit cet hiver. Je suis heureuse d’être fonctionnelle aujourd’hui, mais je ne vais pas m’amuser à reprendre des risques. Ce ne serait pas raisonnable.
L’aspect artistique est sous-jacent dans tous tes propos et je trouve qu’il est important de parler de ton parcours : tu faisais du piano, du chant, tu as fondé le groupe Akouphën. Peux-tu nous en parler ?
Oui, je réalise que dans tous mes choix de carrière, professionnelle ou de passion, il y a toujours une dimension créative. J’ai eu la chance que mes parents me proposent une activité sportive et une activité artistique. Cela m’a ouvert des portes. J’ai fait de la danse classique pendant dix ans quand j’étais petite et je voulais faire du violon. Mais à l’époque on m’a dit de débuter par le piano. Cela n’a toujours pas de sens pour moi aujourd’hui. J’ai une formation en musique classique. J’ai fait du violon au conservatoire de Bordeaux. A une époque, j’étais même premier violon soliste du jeune orchestre de Bordeaux. Mais je n’aimais pas ça et à l’époque je n’étais pas capable de l’exprimer. Je me suis sabotée lors d’un concert. Bizarrement, je n’ai plus été premier violon ! (rires)
Et en danse ?
En danse, c’était pareil. Je me suis rendue compte plus tard que je passais plus d’heures au conservatoire qu’à l’école. J’aimais ça. Mais j’ai fini par arrêter le violon quand c’est devenu un peu sérieux pour le patin. J’aurai normalement dû faire 4h30 à 5h de violon par jour, mais je ne l’ai jamais fait. C’était assez horrible. Je me sentais maline à faire seulement 2h30. J’ai arrêté pour faire du patin à roulettes. J’ai tout arrêté. j’étais à six mois d’avoir mon diplôme de fin d’étude.

Chloé Seyrès, parles-nous de ta carrière musicale…
Je me suis rendue compte un peu plus tard que cela me manquait. Un de mes amis faisait du patin. La musique me manquait, il connaissait des personnes dans un groupe de métal. Je n’avais aucune idée de ce que c’était, nous faisions beaucoup de bruit, c’était vraiment drôle. Nous avons fait ça pendant un petit moment. Nous avons même signé avec un petit label parisien pour sortir notre premier album. J’ai planté le groupe pour la tournée promotionnelle parce que ma carrière de patin décollait. Je ne pouvais pas faire les deux à la fois. Nous nous sommes séparés en bons termes. J’ai dû faire un choix.
En général, ma vie est assez cyclique avec le patin qui est mon expression corporelle de prédilection. j’ai aussi la musique qui revient. J’ai refait du violon pendant la pandémie.
Avec Akouphën, nous nous sommes retrouvés un peu plus tard. Nous avons ressorti un deuxième album un peu plus tard, à deux, c’était autoproduit. C’était bien fun. Cette fois, c’est mon collègue qui a déménagé à Montréal. La vie a fait que maintenant nos parcours se sont séparés mais nous n’avons absolument pas le temps de faire de la musique. Elle reste toujours en trame de fond. Il m’arrive de faire du violon, de composer de nouvelles chansons. Je ne vais pas en faire quelque chose de trop public, je ne vais pas en faire ma priorité, mais c’est indispensable à mon équilibre.

Par ailleurs, j’ai toujours été passionné par la lecture. Pendant que j’étais traductrice, j’ai saturé un peu mais j’ai toujours cette envie de créer, que ce soit dans la musique avec les paroles, les instrumentations.
« La musique reste un langage, tout comme l’expression corporelle en patin, je suis passionnée par cela et je peux être très geek sur cela. Je découpe tout en phrases ! »
Chloé Seyrès
Il va être temps de conclure cette interview : place à la tribune libre. La parole est à toi…
Je pense que l’on a déjà beaucoup parlé… Si toi qui m’écoute tu as envie de me contacter, ce sera avec plaisir. Merci Alex et Walid d’avoir pris le temps de discuter de mon parcours et de la façon dont il s’inscrit dans l’histoire du patin. 21 ans compilées en deux heures.
Merci Chloé Seyrès de nous avoir consacré ces deux heures et bonne continuation !
