Entretien avec Marine Lefeuvre au retour des World Games 2022
L’équipe de France de roller course est rentrée des World Games avec une belle moisson de médailles. Parmi les athlètes tricolores, Marine Lefeuvre a ramené trois médailles sur les courses de fond piste et route. Nous profitons de l’événement pour dresser un portrait complet de la championne...
Par alfathor

Podcast : Marine Lefeuvre raconte sa carrière et les Jeux Mondiaux 2022
Bonjour Marine, peux-tu te présenter s’il te plaît ?
Je suis Marine Lefeuvre, j’ai 25 ans. Je suis au club de roller de l’ASTA Nantes. J’ai débuté le roller au sein du club de CPR Château-Gontier Roller Vitesse (53). Je suis également au Pôle France de Nantes et je suis en sélection Equipe de France depuis 2011.
Comment as-tu débuté le patinage à roulettes ?
On peut dire que c’est une histoire de famille. Mes parents se sont rencontré au roller, mes oncles et tantes également. Mes frères se sont mis au roller. J’ai suivi la lignée. Mon frère est devenu entraîneur. Je suis la dernière qui résiste à faire du roller.

Photo : Vincent Lecourt
Vous avez tous fait du roller course dans la famille ?
Oui, même mon grand-père était juge international de roller course. Il était au club de Rezé. Je ne suis plus très loin de là-bas géographiquement maintenant. J’entraîne le Rezé Olympique Patinage désormais (ROP). Ils étaient dans l’autre club, le Roller Sport Rezé. Je suis donc les traces de ma famille.

Qu’est-ce qui t’a fait aller vers le roller course ?
C’est vrai que je n’ai pas trop choisi quand j’étais petite. Nous étions tous là-dedans quand j’étais petite. Je ne me suis pas vu faire autre chose. J’ai fait de l’athlétisme, j’étais à l’UNSS et inscrite en club, mais les entraînements d’athlétisme tombaient le weekend, en même temps que les compétitions de roller. Je me débrouillais bien en cross. J’ai dû arrêter. Ma passion reste le roller.
Quelles études as-tu fait en parallèle ?
Après mes années de collèges, je suis allée sur Saint-Herblain pour faire du roller. C’est assez compliqué en Mayenne, il y a peu d’aides et nous nous sommes vite retrouvés un peu seuls avec mon frère. J’ai donc fait le choix de Saint-Herblain où j’ai fait mes études de lycée général où j’ai passé un bac ST2S. J’ai fait STAPS un peu par dépit.
Au départ, je voulais être fleuriste, mais avec le roller ce n’était pas facile. Ils n’ont pas voulu m’aider dans mon cursus. J’ai arrêté STAPS et j’ai dû aller travailler. J’ai repris récemment les études pour devenir assistante vétérinaire / toiletteuse, en formation à distance. J’avais dû mettre la formation en veille depuis deux ans, à cause du COVID19. Nous avons eu beaucoup de stages de roller, de compétitions et de déplacements depuis le ralentissement de la pandémie. Il faut que je m’y remette, cela me plaît bien.
En parallèle, j’ai passé mon CQP de roller. J’aime toucher à tout, tant que je me plais dans ce que je fais, cela me convient.

Marine Lefeuvre, penses-tu faire du roller une partie de ton métier ?
Oui, j’espère ! Aider les jeunes plus tard, développer ma passion. Il faut former les nouvelles génération, c’est le futur. Nous sommes là pour les aider à progresser, avec mon frère, avec Martin [Ferrié]. Je ne suis pas dans le futur mais je pense que je fais encore rester un bout de temps dans la famille du roller.
Comment vois-tu l’avenir du patinage ?
J’espère qu’il sera plus médiatisé qu’à l’heure actuelle. Sans être sport olympique, nous avons du mal à nous développer, à être plus visible à la télévision. Nous aimerions être plus mis en avant.
« Quand on voit les gens à fond derrière leur écran pour d’autres sports, nous aimerions tout autant montrer davantage notre sport, avec ses côtés tactiques, techniques et physiques, le roller a tout ! »
Marine Lefeuvre
Nous aimerions aussi avoir plus d’aide en tant que sportif. C’est compliqué d’aller chercher des sponsors. Je ne verrai pas mon sport aux Jeux Olympiques durant ma carrière, mais ça me ferait plaisir qu’il y rentre bien évidemment. Il le mérite. On se donne, on travaille. Pourquoi pas nous ?
Selon toi, en quoi les World Games ont-ils aidés à promouvoir le patinage de vitesse ?
En France, je pense que cela a fait parler. Nous avons eu la visite des personnalités du CIO et du CNOSF pendant les épreuves. Nous avons eu des retours positifs de leur part. Ils ont bien apprécié notre sport. Les épreuves des World Games 2022 ont aussi été diffusées sur l’Equipe21. C’est l’une des premières fois que notre sport passe autant à la télévision. Nous sommes ravis d’entendre des commentateurs qui s’enthousiasment et animent nos courses. Ils mettent vraiment de l’énergie pour animer nos courses. J’espère qu’ils auront envie d’en voir plus à long terme.
Marine Lefeuvre, revenons sur ton parcours : j’ai le sentiment que tu es montée en puissance progressivement et que tu t’es affirmée sur le tard. Peux-tu nous retracer la façon dont tu es arrivée en équipe de France ?
Je suis en sélection équipe de France depuis 2011 avec pas mal de podiums Européens et un podium mondial en junior. Dans les catégories minime, cadette, junior, j’étais plus axée sur le sprint, qui finalement ne m’allait pas forcément.

« Arrivée en senior, je me suis posé des questions : est-ce que je continue en sprint ? J’étais forte en vitesse lancée, mais pas arrêtée. Je n’arrivais pas à avoir la progression que je voulais. J’ai donc décidé de basculer sur le fond. »
Marine Lefeuvre
Il m’a fallu rattraper énormément de foncier, de caisse, de technique, de tactique. Ce n’est pas du tout la même chose. Il faut encaisser les heures d’entraînement. Maintenant, j’arrive à 25 ans, j’ai réussi à atteindre le niveau que je souhaitais. Il faut peaufiner, continuer à travailler pour aller cherche le titre mondial.
J’ai le sentiment que tu as franchi un cap et que tu t’es affirmée…
Oui, en rentrant dans le Pôle France. Je suis un peu seule en tant que fondeuse. Cela m’a forgé un mental. Je fais des entraînements seule, je peine à l’entraînement, mais ça paie en compétition. Quand je suis dans le dur et qu’il faut continuer, je trouve que cela a été plus que positif cette année. Je suis contente d’avoir tenue, de m’être forgée un mental.

A quel moment as-tu fait tes premiers podiums internationaux ?
C’était en 2012 en relais par équipe. En individuel, j’ai presque tout le temps été quatrième. Les Italiennes étaient un peu au-dessus du lot et faisaient souvent le triplé. En senior, cela doit être à Oostende en 2018 avec ma première médaille individuelle sur le 10 km à points et à éliminations. En général, je me prépare davantage pour les courses à éliminations parce que le côté points est très physique. Je n’avais pas le physique adéquat auparavant. Finalement, je me retrouve avec pas mal de podiums sur cette distance. Maintenant, je peux prétendre à faire des résultats sur ces formats, parce que j’ai davantage la caisse. Sur les éliminations, il y a davantage de prétendantes. Avec mon entraîneur Arnaud Gicquel, nous essayons d’être présents un peu partout sur les courses à points, les courses à éliminations et les marathons.
Marine Lefeuvre, as-tu une distance de prédilection ?
Les courses à éliminations me font rêver. C’est tellement stratégique, du stress permanent pendant la course, de faire attention de ne pas se faire éliminer, de franchir la ligne en premier. Cette course est vraiment magique.
Celle où j’arrive le plus à me libérer est la course à points. Je me mets moins de pression. Peu importe si cela marche ou si cela ne marche pas. J’ai eu un déclic l’année dernière aux Euros. Je voulais gagner. J’ai compris qu’il fallait arrêter à me mettre de la pression.
« Fais ce que tu sais faire, fais ce que tu as à faire. Entre la piste et la route, mon cerveau s’est libéré. J’ai pu montrer mes capacités, c’est ça qui a payé. J’ai pu décrocher mon premier titre européen sur la course à points. »
Marine Lefeuvre
Puis, j’ai aussi été coéquipière sur une course à éliminations. Ainsi, j’ai pu emmener mon leader. Au monde, cela a été un peu pareil. Je ressors finalement avec trois podiums en incluant le relais. Cette année aussi, cela m’a aidé. Je fais les choses sans regret et tant mieux si je gagne.

Reparlons un peu des World Games étant donné que tu évoques l’esprit d’équipe. La particularité des Jeux Mondiaux est justement de ne pas avoir de coéquipière. Quelles courses as-tu fait sur place et comment les as-tu gérées ?
J’ai fait les quatre courses de fond et le 1000 m. Il n’y a pas de marathon aux World Games. Nous sommes toutes dans le même bateau. C’est plus facile pour nous quand il n’y a qu’une seule colombienne ! A deux, elles ont une force incroyable. Être à une seule patineuse par pays fait qu’il y a moins de stratégie, moins de fautes d’équipes. Je suis arrivée sans pression. J’avais eu un accident de voiture avec Martin [Ferrié] trois semaine avant la compétition et j’ai eu une déchirure au mollet. Donc, cela a été compliqué. Je risquais de ne pas y aller. Cela a été un mois très dur mentalement. J’ai fait beaucoup de kiné, de rééducation pour pouvoir partir. Je suis arrivée sur place avec une seule semaine de roller dans les jambes. En plus, je n’avais pas mes bagages en arrivant. J’ai reçu mon matériel le jour de la compétition !
« Marine, il n’y a rien qui va, cela peut être un plus. Joue à fond la tactique. Fais ce que tu sais faire, écoute ton coach. Même si je n’étais pas à 100% physiquement, avec le côté tactique, je reviens avec trois médailles. »
Marine Lefeuvre
Je ne m’y attendais pas forcément. J’ai fait une première médaille d’argent sur le 10 km à points et à éliminations sur piste. J’ai aussi fait une médaille de bronze sur le 10 km à points sur route et une autre sur le 15 km à éliminations sur route.

On a vu des fautes de main de la part de tes concurrentes sur les vidéos du 1000 m. Tu as des anecdotes ?
Nous connaissons bien les Chiliennes avec lesquelles nous avons eu des confrontations sur des courses précédentes. Cela a été une course tendue, à la base, je n’étais pas en finale. J’étais rentrée à l’hôtel et c’est là qu’on m’a dit :
« Mais qu’est-ce que tu fais là ? Tu es en finale, retournes sur la ligne, il te reste 15 minutes ! ».
Marine Lefeuvre
J’enfile ma combinaison, je mets mes rollers et e retourne sur la piste. Je n’ai pas eu le temps de parler stratégie avec mon coach. Je me suis dit « reconcentre-toi, c’est parti. J’ai pris les devants, j’ai voulu gérer la course. La Colombienne me passe à deux tours. La Chilienne n’a pas forcément la place de passer et elle met la main sur ma cuisse. J’ai voulu enlever sa main. En sortie de virage, elle me reprends le bras et me tire en arrière, j’ai perdu toute ma vitesse. C’était mort. J’étais vraiment frustrée de ce 1000 m.

En tous cas, tu as fait un très beau championnat. Peu d’athlètes peuvent se vanter d’avoir ramené 3 médailles. Tu as largement participé au volume de médailles de la France. Vous avez fait une belle performance avec l’équipe de France.
Oui, c’est sûr que chez les filles comme chez les garçons, nous avons fait de bons résultats. Nous avons une bonne équipe. Chez les garçons, lors des championnats du Monde, il y en a toujours au moins un qui ramène titre.
« Pour les filles, jusqu’à présent, nous entendions souvent : Oh, elles ne sont pas au niveau, elles ne devraient pas aller aux championnats. Là nous avons été présentes. Nous avons une équipe féminine forte en vitesse comme en fond. Nous sommes prêtes à aller chercher le plus de médailles possible aux Championnats d’Europe comme aux Championnats du Monde. Je suis fière de faire partie de cette équipe féminine qui est montée depuis 3 ou 4 ans. »
Marine Lefeuvre
Marine Lefeuvre, tout à l’heure tu disais en off que vous aviez été extrêmement bien accueillis par les Américains. Peux-tu nous parler de l’ambiance aux World Games ?
Oui, c’est vrai que dès que nous sommes arrivés à l’aéroport, l’accueil a été chaleureux. Il y avait des pancartes « Welcome in Birmingham », « bonne chance ». Sur la piste, les forces de l’ordre étaient vraiment agréables. C’est une ambiance particulière mais chaleureuse. Je ne m’attendais pas à avoir du public. On m’avait dit qu’il y en avait peu aux World Games et finalement, il y en avait. Le public des autres nations nous encourageait quand même.
Quel sera ton meilleur souvenir de cette compétition ?
Je pense, la première médaille. Je ne m’y attendais tellement pas ! Et de voir aussi Martin briller.
Selon ce que nous disait Pascal Briand, l’Allemagne avait l’obligation de ramener des médailles pour décrocher des subventions pour le roller. En était-il de même pour la France ?
Je ne pense pas non. Nous n’étions pas considérés comme des sportifs de haut niveau. Il n’y a que les Championnats du Monde qui compte au niveau de la fédération.
Marine Lefeuvre, nous avons une partie tribune libre, si tu souhaites t’exprimer sur un sujet qui te tient à cœur…
J’aimerais que le roller soit davantage reconnu au niveau sportif. Quand c’est une passion et que l’on s’y mets à fond, quand on s’investit pendant des années, on aimerait voir plus de reconnaissance. Je suis une des plus vieilles alors que je n’ai que 25 ans et que je vois toutes les filles qui s’arrêtent. C’est dur de faire un double projet de haut niveau et de vie professionnelle sans avoir beaucoup d’aide financière. J’ai la chance d’avoir mon sponsor EOSkates qui me suit. Mais pour l’instant, j’ai mis ma vie personnelle et professionnelle de côté pour pratiquer le roller. Avec toutes les personnes qui arrête, j’aimerais davantage de médiatisation pour que le roller puisse avoir plus d’athlètes de haut-niveau, de licenciés, des plus denses.
Marine Lefeuvre, que dirais-tu aux filles pour les inciter à pratiquer le roller course ?
Ne lâchez rien ! C’est dur, cela épuise physiquement et mentalement. Ne lâchez rien si c’est votre passion. Il peut y avoir des phases difficiles, des phases de doute. Mais si vous avez du soutien, accrochez-vous pour reprendre le flambeau et aller le plus haut possible..
Merci Marine pour cet entretien. Nous te souhaitons une longue carrière et plus de résultats !

Photos : Sylvie Geoffroy, Vincent Lecourt, Franck Pindeler