Podcast : Manu Locus – ancien pro rider du team Rollerblade

A presque 50 ans, Manu Locus garde la passion du roller street chevillée au corps. Il a fait partie des premiers riders français à avoir roulé pour Rollerblade en France dans les années 1990. Il a connu les prémices du roller street dans l'Hexagone. Retour sur sa carrière sur roulettes...

Par alfathor

Podcast : Manu Locus – ancien pro rider du team Rollerblade
Le tout premier rail grindé par Manu Locus. Un spot très connu des streeteurs niçois !

Manu Locus a connu les débuts du roller street en France. Après un bref passage en roller quad, Il fut l’un des tous premiers pro-riders de Rollerblade France. L’équipe de rollerenligne.com revient sur sa carrière dans les années 1990 et sur sa pratique du roller street à presque 50 ans…

Interview / Podcast Manu Locus – télécharger le mp3

Bonjour Manu Locus, tout d’abord, peux-tu te présenter pour ceux qui ne te connaissent pas encore ?

Je me présente, Emmanuel Locus. J’ai été et je suis redevenu un passionné de roller. En effet, j’ai fait une trêve pendant une dizaine d’année. Je retrouve la fibre pour revenir rouler en street.

Manu Locus
Manu Locus

A quel âge as-tu commencé Manu Locus ?

C’était à 19 ans, en roller street. Un copain du judo m’a dit : « Manu, on est hors saison de compétition, je fais faire du patin à roulettes sur la Promenade des Anglais [à Nice], viens, on va s’éclater, ça va te changer du judo. »

Parce qu’en effet, je viens du judo à la base.

Que t’a apporté le judo pour le roller ?

Le judo m’a apporté de ne pas avoir peur de chuter. Et aussi les appuis.

Et tu as toujours fait du street ou tu as essayé d’autres choses avant ?

Les anciens en roller quad « streetaient » déjà un peu, même s’ils n’appelaient pas forcément cela comme ça. Ils piquaient des plaques en métal sur les abris bus qu’ils fixaient ensuite sous leurs patins pour grinder. Nous allions sur des angles, sur la Promenade des Anglais mais pas encore sur des rambardes.

Crazy roller - Photographe : Alex Colin
Crazy roller – Photographe : Alex Colin

Nous étions en quelle année et tu roulais avec quel matériel ?

Ce devait être en 1992. Je roulais avec des platines Fiberlight montées sur des Reebok Pump pour le maintien du cou-de-pied. Ce n’était pas vraiment du roller street. Nous faisions surtout du tremplin. Pour moi, cela a été la meilleure école, avec les éperviers, le street hockey où nous jouions avec des canettes de soda écrasées.

1992 : il y avait déjà un club de roller de roller à Nice ?

Pas de club acrobatique de mémoire, c’était plutôt des clubs de course dans le coin à l’époque.

Tu as commencé par du quad, tu roulais en ville, que faisais-tu d’autre ?

De la descente, du roller catch, des courses dans les centres commerciaux. Tout ce que les riders faisaient à Paris. Certains jeux venaient de Paris, par le biais de riders qui venaient en vacances à Nice.

Qui y avait-il dans la scène niçoise à cette période Manu Locus ?

Les noms de mes mentors ne vont parleront pas forcément. Ce sont ceux qui m’ont appris à rouler : Jean-Philippe Petit, Alex Colin. Son nom reviendra plus tard dans vos questions je pense !

Manu Locus, tu commences en 1992, pas très longtemps avant l’arrivée du inline…

Exactement. Quelques mois avant, un copain arrive des Etats-Unis avec des roller en ligne. Tout le monde trouve ça bizarre et pour moi, cela a été une révélation. Avec mes petits pieds en 38, c’était impossible de grinder en quad parce que les trucks étaient trop rapprochés. J’étais frustré. En roller en ligne, je pouvais enlever une roue ! Cela a été le coup de foudre.

Ensuite, avec Alex Colin, Toto Ghali, Vincent Isaac et des anciens en quad faisaient de la rampe. Alex Colin avait son style propre et il était connu comme une légende. Il avait notamment fait le Titus Skate Show en Allemagne. René Hulgreen était aussi en roller quad. Alex Colin est venu un jour et m’a dit :

« Manu, tu te débrouilles en quad, je suis en train de faire la promotion d’une marque qui s’appelle Rollerblade : est-ce que ça t’intéresse ? ». J’ai dit « feu ».

Manu Locus
Manu Locus en slide sur une main courante d'escalier
Manu Locus en slide sur une main courante d’escalier

Tu avais combien d’années de patin à ce moment-là ?

Je devais avoir deux ans de roller, pas plus.

Je n’ai pas fait de la rampe tout de suite. Le roller en ligne a débloqué beaucoup de choses pour moi, parce que j’étais petit, que je n’ai pas de cuisse. Alex Colin faisait de la rampe et du skatepark. Nous n’en avions pas à Nice, il fallait alors bouger à 20 km de là pour en faire. Cela a commencé à se débloquer.

Les premières tournées de Rollerblade se faisait avec des tournois de roller hockey. Chaque équipe dans les grandes ville devait se composer d’une femme et cinq patineurs hommes. A la fin, Rollerblade faisait le grand tournoi. J’ai dévoré cette période. Le temps défilait.

Peux-tu expliquer ce que cela voulait dire de faire du street à cette période ? Qu’est-ce que cela signifiait ? C’était quand même un peu roots…

J’étais le seul en roller en ligne à Nice. J’ai entendu l’interview podcast de Sébastien Laffargue et Gabrielle Denis, nous étions des OVNIs. Nous étions dénigrés, comme la trottinette il y a 15 ans. J’aimais bien me distinguer, cela a été une révélation au niveau de mon patinage. Je recherchais des spots pour faire du saut, du tac-tac. Le soul grind arrivait. Et un jour, des gens m’ont dit qu’ils avaient croisé un Américain qui roulait dans le coin, c’était Dallas Carlin. Il a été mon acolyte pendant un bon moment. Nous avons fait de la descente. Il a apporté tout le style et la mode qu’il y avait autour du roller street à l’époque : Frontside Grind, Backside Grind, SoulGrind. Pour moi c’est l’ADN du roller en ligne.

Manu Locus, tu commences alors à rouler pour Rollerblade. A quel moment débute véritablement l’équipe en France ?

Le team s’est fait durant les tournées Rollerblade. Je pense que les premières tournées Rollerblade étaient en 1994-1995. C’était vraiment embryonnaire. Alex Colin et Dallas Carlin étaient alors en contact avec Rollerblade. Ils ont appelé les copains pour constituer le team : moi et JP. Le premier team Rollerblade pour faire les démos de rampe en France, c’était Jean-Philippe Petit, Alex Colin, Dallas Carlin et moi. C’était une rampe sur verrins qui se dépliait. Elle devait faire 2,5 m de large sur 2 m de haut.

Première date de la première tournée Rollerblade
Première date de la première tournée Rollerblade – Alexandre Colin en « air » à l’ancienne

Première tournée, et à l’époque les magazines sont encore embryonnaires. Il y a RollerMag.

Oui, il y a RollerMag et aussi Crazy Roller. J’ai croisé Anthony Lunédic sur la première tournée Rollerblade. Il s’était alors présenté comme photographe pour le magazine.

Quelle était la relation avec Rollerblade ?

Je n’étais pas en sponsoring avec Rollerblade, c’était plutôt un partenariat. Ils me défrayaient pour aller sur les événements et fournissaient du matériel. Il faut faire ses preuves en tant que sportif et dans l’image.

La première fois où ils m’ont vu, c’était à la finale du grand tournoi de roller hockey à Ramatuelle. Entre temps j’ai croisé Fabrice Roger, un des seuls patineurs qui streetait réellement. Nous nous étions croisés lors de cette tournée et nous avions fait une démonstration improvisée sur un rail. J’ai pu montrer qu’il y avait un potentiel pour le street.

Premier magazine de roller - photographe : Vincent Lycki
Premier magazine de roller – photographe : Vincent Lycki

Comment était le roller street à l’époque dans le monde ?

La première vidéo que j’ai vu était Hoax 1. J’ai vu cette activité rebelle naître. Nous avions cette sensation de liberté, de ne pas avoir de règles. Il y avait Arlo Eisenberg, Chris Edwards et bien d’autres. Je regardais leurs vidéos VHS. Nous n’étions pas dans une relation communautaire comme on peut la connaître aujourd’hui avec les réseaux sociaux. Nous découvrions les images deux mois après, quand les cassettes arrivaient.

Cela commence à se démocratiser et l’équipe Rollerblade a grossi un peu…

Oui, les deux à trois premières années nous étions Jean-Philippe Petit, Alex Colin, Dallas Carlin et moi. JP a fait une tournée mais il travaillait et il en est sorti. Lors de la première tournée, Fabrice Roger et il nous a rejoint plus tard. La deuxième année je roulais avec Fabrice Roger, Dallas Carlin et Alex Colin. La troisième année Alex arrête aussi. Il y avait Magic, Gustavo, Bart Zamojski et moi.

Manu Locus en top soul sur un rail
Manu Locus en top soul sur un rail

J’ai devant moi un article de Crazy Roller de 1997 où Bart Zamojski termine une tournée avec vous (Fafa, Manu et Alex)…

Oui, et sur une ou deux dates, Taïg Khris est venu nous rejoindre. Je me souviens qu’il est arrivé chez Rollerblade après Bercy, après moi. Et il avait une vision professionnelle du roller. Il voulait en vivre ; Il a fait ce qu’il fallait pour gagner sa vie dans le roller. J’ai fait une démo avec lui au siège de Rollerblade Europe.

Comment vivais-tu à cette période Manu Locus ?

Pour la petite histoire, je travaillais déjà à l’époque où j’ai commencé le roller. J’ai donc passé un contrat moral avec mon père : « je vais arrêter de travailler : est-ce que tu peux m’aider à payer le loyer pendant un an, et le reste je me débrouille ? ». Ainsi, au début, j’ai gagné des prize-money. J’avais pris de l’avance en roller en ligne et à gagner des compétitions. Tout le milieu du roller en ligne était à l’arrache. Nous voyagions tous à l’œil en train, nous étions parfois quinze dans des chambres d’hôtel.

Luc Bourdin nous racontait une anecdote de 1995 sur une compétition au Trocadéro. Tout le monde était fédéré et il était interdit de faire des figures tête en bas. Et toi, comme tu n’étais pas à la fédération, tu as fait un misty flip et ça nous avait fait bien rire…

En fait, Rollerblade m’avait sollicité pour faire une démo. Je devais faire des photos. Je devais être le seul en ligne ce jour-là. J’ai d’ailleurs rencontré Roy Collet. J’ai donc fait le misty, sans casque. Alors Christian Debackère est venu me voir et m’a dit qu’il y avait un souci, que je n’avais pas le droit de faire cela et que c’était de l’impertinence. Contractuellement, j’étais venu représenter Rollerblade et le misty avait cette dimension underground qui correspondait au street et à l’image que nous voulions donner.

Couverture de magazine Sport Inline
Couverture de magazine Sport Inline en Italie

A l’époque, le nom Manu Locus était le mec dans les magazines : nous ne t’avions jamais vu mais nous te connaissions tous…

J’ai été au bon moment au bon endroit, je me suis donné les moyens d’être partout, de faire toutes les compétitions. Rollerblade m’a fait confiance assez vite. J’étais visible partout. Quand les magazines voulaient parler de roller en ligne et que j’étais là depuis le départ, les magazines me sollicitaient.

Cette relation avec les médias s’est faite assez naturellement ?

Ils venaient vers moi. Je suis plutôt timide. Et Rollerblade faisait le taf pour sa communication. Forcément, je me détachais du fait qu’il n’y avait pas grand monde.

Tu t’es retrouvé dans des démos de hockey ?

Non, je jouais parfois avec les copains, en street hockey. J’ai fait de la descente et du slalom pour rigoler. Toutes ces disciplines m’ont apporté. Mais c’est le street qui l’emportait.

Publicité pour Golden Grahams avec Manu Locus
Publicité pour Golden Grahams avec Manu Locus

Manu Locus, jusqu’où Rollerblade t’a fait voyager ?

La première année, je me déplaçais à l’arrache, notamment pour voir d’autres personnes en roller en ligne. La première année, nous devions être à peine une vingtaine de streeteurs en France. Je prenais beaucoup le train, la voiture, d’abord en France, puis en Allemagne, en Belgique, en Italie et en Suisse. C’était facile pour moi de bouger en Italie étant donné que Nice est à côté de la frontière et j’étais connu des Italiens. Puis j’ai fait mes preuves et des résultats. J’ai fait un partenariat avec Rollerblade et ils m’ont pris pour les tournées. Je n’étais que chez Rollerblade France. J’ai participé à des camps avec Rollerblade Europe. Peut-être que je ne communiquais pas assez pour aller aux Etats-Unis. J’étais déjà heureux de faire ce que je faisais. J’étais heureux de vivre le moment présent.

Y-a-t-il un moment où tu as été sponsorisé puis salarié ?

Oui, le team France est l’un des rares à avoir été salarié.

As-tu participé au développement de patins ?

Non, je ne les ai jamais sollicités pour ça. Dans ma tête, j’étais payé pour faire du patin à roulettes, ça me suffisait. D’autres sont allés chercher ça et ça me suffisait.

Comment s’est passée la transition et la sortie du roller ?

Un jour Rollerblade m’a appelé pour me dire qu’ils n’avaient plus d’argent. Je leur ai dit que dans ce cas, il valait mieux qu’ils fassent de la dotation à des jeunes qui en auraient besoin. Moi, j’ai vécu ce que j’avais voulu vivre. Entre temps, un gars de Nice a ouvert la franchise Roller Station à Nice et il m’a proposé de venir.

Ta carrière roller a duré de quel âge à quel âge Manu Locus ?

De 19 ans à 24 ou 25 ans, pas plus. Cela a été court mais intense, cela me suffisait, c’était exceptionnel d’avoir vécu le roller en ligne des débuts. C’était vraiment une aventure.

Qu’y avait-il comme grosses compétitions à part Bercy auxquelles tu as participé en Europe ?

Lausanne, nous y sommes allés avec le team Rollerblade, au deuxième il me semble. Deux semaines après, j’étais à Zurich qui était considéré comme le Championnat d’Europe à l’époque. Pour l’anecdote, je fais 4e à l’époque derrière Chris Edwards, Arlo Eisenberg et Ivano Gagliardo. Peu après, je finis premier à Zurich et Ivano vient me voir pour me féliciter. Il me dit : « Manu, tu méritais ma place à Lausanne et que je suis passé devant toi parce que j’étais Ivano ».

Ils invitaient les gars qui avaient fait premier aux X-Games, mais ils n’avaient pas mon adresse et je n’ai jamais reçu l’invitation. Nous ne savions pas ce qu’allait être la compétition. Trois ans plus tard, j’aurai regretté.

Résultats de la compétition de Lausanne en roller
Résultats de la compétition de Lausanne en roller

As-tu roulé avec Wilfried Rossignol ?

Non, mais je ne le connaissais pas. Il est arrivé deux ou trois ans après. Je le connaissais déjà parce qu’il avait fait une compétition avec Taïg. En fait le Misty vient de Taïg qui faisait le saut costal. Je trouvais cela impressionnant et pour moi qui venait du judo, je l’ai fait dériver en misty flip. La rotation du misty, c’est comme une chute avant de judo.

Après, tu te retrouves à travailler à Roller Station…

Oui, je me suis rendu compte de la différence. La semaine d’avant, je donnais des roues aux copains et la semaine d’après je les leur vendais. Cela a été difficile. Templar me donnait du matériel parce que la marque ne pouvait pas me payer et je pouvais soit le donner, soit le vendre. Je les donnais ou je les vendais pour rien aux copains. Le rapport avec les copains n’était pas le même. Je n’y suis resté qu’un an ou deux, je me suis rendu compte que je n’étais pas fait pour la vente et ça s’est mal terminé.

Est-ce que ton regard sur l’industrie du roller a changé après avoir travaillé dans les magasins ?

Non, ça allait. Je roulais un peu moins, c’est sûr. Beaucoup de marques sont arrivées comme Fila. Je ne lâchais pas mais je n’avais plus la même fibre.

As-tu été approché par d’autres marques après Rollerblade ?

Non, parce que j’étais très étiqueté Rollerblade. La marque m’a donné ma chance. Une fois, un commercial est venu me voir pour me dire qu’il me respectait parce que j’étais fidèle à RB. Roces m’a d’ailleurs dit que j’avais une image tellement associée à Rollerblade que ce n’étais pas possible de travailler ensemble.

Après le magasin, qu’as-tu fait de ta carrière ?

J’ai bossé dans le club de roller et j’ai passé mon brevet d’état. La présidente du club m’a incité à sortir de l’intérim et à venir travailler. Je commençais à apprendre aux jeunes à rouler, j’aimais bien. Je suis passé de l’autre côté et je suis rentré dans le système fédéral. Le premier B.E. de roller était niçois d’ailleurs, il s’agissait de Gilles Albuge. Il a été manager un court temps chez Salomon. Il a d’ailleurs fait des photos pour Crazy Roller et RollerMag.

Avec la team Europe Rollerblade Coyote
Avec la team Europe Rollerblade Coyote

Avec ton brevet d’état en poche, as-tu bougé de Nice ?

Non, non, je suis resté à Nice. J’ai passé un an dans le premier club de roller acrobatique à Nice. Après, il y a eu Nice Roller Attitude où j’ai travaillé également.

Passer d’une discipline où il n’y a pas de règle à ce milieu cadré, ça ne t’a pas fait bizarre ?

Si on veut avancer et si on veut que le roller avance, il faut entrer dans le système et le faire évoluer. Je n’ai jamais été un leader, je n’allais pas révolutionner le roller. Nous avons parlé des règlements roller une fois avec Luc Bourdin. Il m’a appelé pour me dire que nous allions mettre en place les premières règles du roller street. Il voulait profiter de mon expérience. Je n’avais pas le caractère à dire que cela va se passer de telle ou telle manière. Mais ce n’est pas mon tempérament de dire la façon dont les choses doivent se faire. Cela vient du judo je pense. Je respecte la décision des juges.

Quand on commence en roller, on est là pour le regard des autres. On est déjà jugé par le public, puis par les juges. Si on fait de la compétition, il faut accepter ces règles-là. J’ai commencé tard, donc j’avais un passif différent d’un adolescent.

Toi qui a connu ces débuts-là, comment vois-tu la pratique du roller street d’aujourd’hui ?

Je trouve que le matériel a fait énormément évoluer la pratique et inversement. C’est monstrueux ce que certains font. Je vois des figures aujourd’hui que je n’aurais même pas vu en rêve.

Déjà à l’époque, riders faisaient des figures d’extra-terrestres…

Oui, tous les mois il y avait de nouveaux tricks ! Aujourd’hui, tout est fait globalement, je ne vois pas comment on va pouvoir inventer d’autres trucs ou tordre les pieds d’une autre façon. Voir les choses s’inventer, cela a été génial.

Dans les vidéos, il y avait des part’ avec les chutes, ça donnait envie d’aller rouler. Avec quel matos tu roulais à l’époque ?

J’ai commencé avec des Lightning, puis des Chocolate, des Trooper, des TRS, des Daytona.

As-tu customisé tes rollers à cette période Manu Locus ?

Non, je me disais que l’on devait faire avec ce que l’on avait. C’est ma façon de voir les choses : on est bon ou on est pas bon. Je n’ai jamais vissé d’excroissance sur mes rollers pour mieux me caler. Certains collaient des pièces supplémentaires pour pouvoir grinder. Je faisais avec ce qu’il y avait.

Pour en revenir aux chutes, je trouve que cela fait partie du roller. Il y a bien quelques génies du roller mais c’est rare. J’ai connu le roller par la vidéo Hoax #1 où il y a toujours eu des chutes.

Manu Locus, il y a un moment où tu as arrêté le roller, qu’est-ce qui t’a fait arrêter ?

Le kitesurf. J’ai vu une exhibition de voile de traction à Tignes, j’étais en Coyote et je faisais des tournées de roller tout-terrain pour Rollerblade. J’avais besoin de voir autre chose. Un gars m’a prêté une voile de traction, j’ai essayé, cela m’a plu. Je suis même parti en Suède. J’ai même fait de la traction terrestre en roller, c’était génial ! J’en faisais à Fréjus.

Manu Locus avec ses paires de Rollerblade Coyote
Manu Locus avec ses paires de Rollerblade Coyote

Pendant tout ce temps où tu as fait du kite, c’était un loisir et quel était ton travail ?

Oui, je travaillais sur corde, les gars qui nettoient les vitres. C’était un boulot passion aussi, je l’avais découvert grâce à Gilles Albuge. J’ai commencé à Monaco. J’ai besoin de me mettre en danger. J’aime le roller parce que je me mets en danger. J’ai besoin de me sentir vivant et de me faire peur.

Manu Locus, tu es revenu au patin sur le tard. Qu’est-ce qui t’a fait revenir et à quel moment ?

C’est William Cerlo, un gars de Nice, reconnu dans le street pur parce qu’il a fait beaucoup d’ESA et de contests de street. Il m’a parlé du projet de skatepark indoor de Bob Lemarrant et m’a proposé de venir aider. Et petit à petit, j’ai remis les patins. Forcément, j’ai racheté des Rollerblade.

Tu as retrouvé le plaisir et les sensations d’autrefois ?

Beaucoup me disent qu’il va falloir que je me calme parce que je chute beaucoup ! Mais le problème, c’est que j’ai du mal à voir mes limites et que j’ai encore l’impression d’avoir 25 ans ! En fait, c’est vraiment une passion. J’aimerais que les anciens ne voient pas ça comme une passion d’ado. Si on fait attention à soi, à 50 ans, on peut encore rouler. Je veux prouver que le roller ne se limite pas à 25 ans.

J’ai fait les compétitions de le Dij’ Contest (Dijon), le FISE. Je me donne comme objectif de faire Lyon et Nantes. Je veux faire des compétitions, pas des festivals.

Manu Locus, y-a-t-il des jeunes que tu croises qui connaissent ta carrière ?

Non. Je trouve ça génial que les gens ne sachent pas qui tu es. Il y a des petits qui viennent me voir. Mais comme je n’ai pas les cheveux blancs, ils hallucinent. Je pourrais être le père de 90% de ceux qui roulent en skatepark.

Qui étaient les gens que tu admirais quand tu as commencé ?

Pour moi, c’était Chris Edwards. Mon style s’est inspiré du sien, il m’a énormément influencé. Son côté un peu bourrin. Il y avait aussi Arlo pour son côté un peu trash. Il tombait et s’en foutait. Chez les Français, chacun était dans son coin et avait sa façon de rouler. On voyait le passif quad qui influençait beaucoup la façon de rouler, notamment chez les Lyonnais avec Jean-Michel Nguyen. Il y avait aussi Fafa, Toto Ghali que j’avais croisé à Marseille avec le King of Bowl. Et évidemment Alex Colin. Ils ont apporté beaucoup dans la mentalité à avoir dans le roller : le côté rebelle.

Manu Locus, comment vois-tu la scène d’aujourd’hui ?

Le street aujourd’hui n’est plus le même. Il y a moins d’argent à se faire, cela devient un vrai sport. C’est une bonne évolution et une suite logique. Il y a les passionnés et les tous jeunes qui sont nés avec la fédération et les clubs, qui ne sont pas nés dans la rue. Les parents les emmènent pour faire du sport en skatepark et pas dans la rue.

Le quad, encore plus que le roller en ligne, était vraiment rebelle. J’avais l’image d’un roller pour les gamins. Je sentais les jeunes libres en quad. Ils avaient une sensation de liberté énorme, une façon de vivre. Je me souviens des Kiffunriderz avec Freddy Lavaury. Je l’avais croisé sur les tournées Rollerblade. J’ai adoré cette vidéo avec cet esprit freeride, de liberté.

Roller mag - Photographe Lionel chierico à Nice
Roller mag – Photographe Lionel chierico à Nice

Oui, on retrouve cela encore plus avec des vidéos des années 1980, avec des gens comme Tony Boy et d’autres. C’est vraiment la liberté à l’état pur.

La principale différence entre le roller en ligne et le quad à cette période est le fait de pouvoir glisser plus facilement sur des rambardes d’escaliers et les marches. Les rollers sont comme un prolongement du pied. Rien ne nous arrêtait.

Et pourtant, il y a eu des riders comme Taïg qui ont pris des rails en quad, notamment dans la vidéo Air Attack…

Oui, j’étais fou quand je l’ai vu faire ça ! Il m’a bluffé, il a streeté !

Manu Locus, comment abordes-tu le roller aujourd’hui avec les réseaux sociaux ? Chose que nous n’avions pas à l’époque…

Moi je suis limité à Facebook. C’est bien parce que cela permet à la communauté roller de persister. Mais je n’ai pas l’impression qu’il y ait beaucoup de nouvelles choses qui sortent, de nouvelles têtes d’affiches. Il faut dire que je suis un peu déconnecté. Certains me disent d’aller sur Instagram ; mais pour moi, ce n’est pas une source d’information.

Manu Locus, tu te vois rouler encore longtemps en street ?

Non, sauf si je me casse vraiment quelque chose, tant que je peux encore faire des grinds, je le ferai. Il y a pas longtemps, j’ai réussi à prendre un rail que personne n’est encore allé prendre à Montpellier. On voit le trick dans ma dernière vidéo. Je ne fais que trois choses : le frontside, le soul et peut-être encore autre chose, mais c’est limité. Je suis plutôt partisan de faire un trick sur 1000 spots que de rester squatter sur un spot unique.

Comment ça se passe avec ton petit, tu l’as initié au roller ?

Le mien n’est pas téméraire comme j’ai pu l’être. Il faut dire qu’il faut être un peu débile pour aimer se faire mal. Il faut avoir un caractère spécial pour tomber et accepter ça. En plus, ça m’embêterait de le voir tomber comme je suis tombé. Il me voit depuis qu’il est tout petit faire ça.

Manu Locus - avril 1993
Manu Locus – avril 1993

Et ton fils connaît-il toute ton histoire ?

Quand il me pose des questions, je lui réponds. Il ne sait pas forcément ce que je faisais avant. Je lui dis le minimum. Je n’ai pas besoin de tout lui raconter. Quand j’ai gagné le Dij’ Contest dans ma catégorie, il était fier.

Manu Locus, c’est l’heure de notre tribune libre, si tu souhaites dire quelque chose aux personnes qui nous suivent…

J’ai repris de la fibre, je suis content de refaire du roller maintenant. Ces sports extrêmes urbains peuvent se continuer loin. J’aimerais que ceux qui ont débuté avant ressortent les patins et me montrent qu’ils peuvent encore rouler. J’incite les anciens à rechausser les patins. Les jeunes ont une autre mentalité, mais j’ai peur que ce soit une activité sportive comme une autre qu’ils arrêteront quand ils rentreront dans la vie active. Quand j’ai écouté Wilfried Rossignol, j’ai trouvé dommage qu’il arrête. Wilfried a été l’un des grands phénomène roller street des années 1990. Dans les années 2000, pour moi, cela a été Alfano et en 2010-2020, cela a été Julien Cudot. Le milieu du roller a besoin que les anciens ressortent. Des gars comme Alfano sont encore connus et reconnus. Ce serait cool qu’ils redonnent une dynamique.

On parle des anciens avec un bon niveau qui roulent encore, cela fait penser qu’Anthony Avella est toujours très actif. Est-ce qu’il t’arrive de le croiser ?

Cela me fait plaisir que tu en parles ! Il a commencé à donner des cours avec moi. Il fait un super boulot. Cela lui prend beaucoup de temps. Il veut développer son club. Anthony a aussi eu beaucoup plus de titres que moi, j’imagine qu’il est un peu essoufflé. Désormais, il a des responsabilités qui font qu’il ne peut pas tout faire. Si je tombe et que je ne me fais pas mal, cela veut dire que c’est faisable pour d’autres. On peut avoir cinquante ans et continuer de rouler.

Oui, c’est notamment le cas de Gabrielle Denis que nous avons interviewé récemment…

Oui, cela a été un plaisir de la réentendre. J’ai vu qu’elle avait participé au Pro Bowl Contest. Je trouve ça génial, il en faut plus des personnes comme elles. Le skateboard a su garder ses légendes, le roller peut faire de même.

Merci Manu Locus, pour nous c’est le mot de la fin. Espérons voir prochainement un contest avec tous les anciens !

Pour aller plus loin

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Auteur
Alexandre Chartier 'alfathor'

Bonjour à tous, je suis Alexandre Chartier, fondateur et webmaster de rollerenligne.com. Le site a vu le jour officiellement le 11 décembre 2003 mais l'idée germait déjà depuis 2001 avec infosroller.free.fr. Le modeste projet d'étude est devenu un site associatif qui mobilise une belle équipe de bénévoles. Passionné de roller en général, tant en patin traditionnel qu'en roller en ligne, j'étudie le patinage à roulettes sous toutes ses formes et tous ses aspects : histoire, économie, sociologie, évolution technologique... Aspirine et/ou café recommandés si vous abordez l'un de ces sujets !

1 response to “Podcast : Manu Locus – ancien pro rider du team Rollerblade”

  1. Gabrielle Denis
    21 décembre 2022 at 18 h 15 min
    Merci Manu de nous faire revivre tous ces grands moments ! Et ce n'est pas fini ! Nous allons rider le plus longtemps possible !

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