Le roller est-il un jeu d’enfant ?

Par | Publié le 1 janvier 2022 | Mis à jour le 3 janvier 2024 | Catégories : Toutes | Sous-catégories : Histoire du roller | 34488
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Depuis sa création au milieu du 18e siècle, l’image et la pratique du patinage à roulettes ont régulièrement évolué. Pratique excentrique, loisir aristocratique, sport marginal, jouet pour enfant, le roller est multifacettes ! Alors, pour vous, le roller est-il un simple jeu d’enfants ou véritable discipline sportive ?

Faire du roller en famille

La pratique du patinage à roulettes traverse les époques, les classes d’âges et les classes sociales

De nombreuses pratiques sportives furent inventées en Europe, partirent en territoire anglo-saxon avant de revenir en Europe modernisées et réglementées. Elles séduisaient souvent les classes sociales les plus élevées avant de susciter l’engouement des couches populaires et d’être délaissées par ceux-là même qui l’avaient initiée. La perception et la pratique du patinage à roulettes ont régulièrement évolué au fil de ses 260 ans d’histoire…

Les origines : des inventeurs géniaux et isolés

Les premières foulées des patins à roulettes reviennent à leurs inventeurs. Leurs profils et leurs métiers sont éclectiques : horloger, charcutier, sculpteur… Toutefois, nombre d’entre eux ont pour dénominateur commun une passion pour la mécanique.

Merlin : le génie des automates

Le plus connu et le plus ancien répertorié à l’heure actuelle reste John Joseph Merlin (1735- 1803). Transfuge du patinage sur glace, son prototype possédait des roues alignées. Merlin est un homme affable, sociable et cultivé. Il fréquente l’aristocratie Britannique devant laquelle il fit démonstration de son invention. L’histoire retient qu’au cours d’une soirée mondaine à Londres où Merlin présenta son invention en jouant du violon, il ne put contrôler sa trajectoire, brisa un miroir de grande valeur et se blessa gravement. Le patinage à roulettes ne débuta donc pas officiellement dans les rues, mais bien sur les lisses parquets d’intérieurs cossus.

Jean Garcin "Le beau Narcisse"
Extrait de l’ouvrage de Jean Garcin sur le patinage à glace et à roulettes : « Le beau Narcisse »

Van Lede : les patins à roulettes sortent au bord des canaux

A la suite de Merlin, Maximilliaan Lodewijk Van Lede, élève de l’académie de Bruges créa une paire de ces étranges engins en 1789. Il était sculpteur et médailliste de l’Académie de Paris. Ses patins auraient servi à un patineur Suisse qui relia Scheveningen à La Haye devant des milliers de personnes le 19 août 1790. A notre connaissance, cet événement est le premier où une foule a pu découvrir les prouesses du patineur.

Les inventeurs se succèdent, mais la pratique du patinage à roulettes reste confidentielle

En 1819, le français Charles Louis Petibled, mécanicien, conçut un nouveau modèle de patins à roulettes et le breveta. De nombreux inventeurs se succèdent par la suite : l’écossais John Spence, Robert John Tyers, August Löhner, Louis Legrand, Jean Garcin. Tous les inventeurs que nous avons cités sont européens et furent également patineurs sur glace.

Le patin de Robert John Tyers (1823)
Le patin de Robert John Tyers (1823)

La pratique du patinage à roulettes sort de la confidentialité

Les premiers professeurs de patinage à roulettes

Progressivement, le patin à roulettes essaime en Europe. A Londres, en 1823, des écoles de patinage de Tyers ouvrent dans des courts de tennis désaffectés. Robillon, fonda une autre école à Bordeaux,

Garcin construisit le patin en ligne le plus élaboré et le nomma « Cingar ». Célèbre patineur sur glace français sous le Premier Empire et la Restauration, il rédigea un ouvrage intitulé « Le vrai patineur, ou principes de l’art de patiner avec grâce (1813) ». Garcin enseigna aussi la pratique du patinage à roulettes dans sa propre école. En 1828, il fit construire son « gymnase » ou « école du Cingar » (Nieswiszki, 1991) près du bassin de la Villette. Il ferma quelques années plus tard après de nombreux accidents. Sachant la haute estime qu’il portait au patinage et à ses standards, il est probable que Garcin ne dispensait ses cours qu’à des personnes issues de milieux aisés.

Le mouvement va encore s’accélérer avec l’arrivée du patin à essieux durant la seconde moitié du XIXe siècle.

Les patins à roulettes montent sur scène et s’exhibe en public

Les artistes comprennent l’intérêt du patinage à roulettes pour la scène. Les roulettes remplacent avantageusement les lames de la glace et donnent l’illusion dans les décors de paysages glacés. Ainsi, le « Peintre » ou « les plaisirs de l’hiver » est donné pour la première fois à Berlin en 1818.

Un original devant les badauds de la place de la concorde (Collection personnelle de Sam Nieswizski)

En 1823, Robillon met en scène « Nathalie ou la Laitière Suisse » à Bordeaux. C’est le premier danseur à évoluer sur roulettes en France.

Puis, en 1824, Dumas est en représentation au Cirque Olympique à Paris dans « La vivandière ». Le patinage à roulettes se fait donc connaître par le biais des ballets mais reste cantonné à la scène.

Il faut attendre 1849, l’inconnu de la place de la Concorde et le succès du Prophète de Giacomo Meyerbeer pour voir les prémices d’un véritable marché patinage à roulettes se dessiner. En effet, le patin de Louis Legrand utilisé par les artistes connaît une forte demande à Paris, à Londres et dans d’autres capitales Européennes.

« C’est avec des patins à trois roues alignées qu’en 1849, un original étonnait les badauds de la place de la Concorde. »

Des patins à roulettes du français Louis Legrand (1849)
Des patins à roulettes de l’inventeur français Louis Legrand (1849)

La pratique du patinage à roulettes s’est d’abord répandue dans les classes supérieures

Sam Nieswizski cite des personnages de l’aristocratie comme principaux pratiquants : En 1820, le Chevalier de Saint-Georges en France au Palais Royal. Concédons qu’à cette époque, les loisirs ne pouvaient guère être pratiqués que par des personnes qui disposaient du temps et des moyens financiers suffisants pour s’adonner à des activités telles que le patinage à roulettes.

« Au départ, les gens qui patinaient à glace étaient des aristocrates. Les gens qui patinaient à Paris venaient avec un monocle, un chapeau haut de forme, avec une canne, à la fois pour l’élégance mais aussi pour l’équilibre. Et quand il y a eu les premiers quads dans les années 1870, c’était les mêmes qui, en l’absence de glace patinaient à roulettes. Donc ce fut un sport très aristocratique. L’aristocratie et la haute bourgeoisie. ».

Sam Nieswizski – 2003

Au XIXe siècle, les loisirs ne concernent qu’une faible fraction du corps social. Thorstein Veblen a appelé la « leisure class » les classes supérieures généralement exemptes des travaux d’industrie et de la besogne mais qui en tirent profit. Les loisirs, considérés comme occupation improductive permettent de se distinguer, de rivaliser, de faire montre de son appartenance supérieure. Ils s’inscrivent dans une logique d’ostentation.

De l’invention à l’industrialisation : le tournant du patin traditionnel à essieux

Illustration de chute en patinage à roulettes, omniprésente à travers l'histoire
Illustration de chute en patinage à roulettes, omniprésente à travers l’histoire

Avec Plimpton, le patin à roulettes change d’échelle

Les patins à roues alignées régnèrent jusqu’en 1863, date de l’apparition du patin à roulettes à deux essieux de James Leonard Plimpton. L’âme d’entrepreneur de Plimpton changea la donne. En effet, il créa un véritable modèle économique clé en main pour les futurs propriétaires de patinoires à roulettes. En cela, nous pouvons dire qu’il a véritablement participé à la massification de la pratique du patinage à roulettes dans la seconde moitié du XIXe siècle.

Depuis les Etats-Unis : les patins traditionnels conquièrent l’Europe et le monde

Les patins traditionnels, plus maniables et produits à une échelle industrielle, éclipsèrent rapidement le patin en ligne. Ils se répandirent rapidement, d’abord en Amérique du Nord, puis en Europe.

« Et quand il y a eu les premiers quads dans les années 1870, c’était les mêmes qui, en l’absence de glace patinaient à roulettes. Donc ce fut un sport très aristocratique. L’aristocratie et la haute bourgeoisie. « 

Sam Nieswizski – 2003

Les années 1870 : la première mode du patinage à roulettes est lancée

En 1876, déjà, la presse parlait de la mode du patinage à Paris :

« Le skatinage est à la mode. Il a avantageusement remplacé le vélocipède. (…) On skatine partout c’est de la frénésie. (…) Les skatineurs ne se livrent à leurs plaisirs que dans des endroits spéciaux, et ne peuvent se faire du mal qu’entre eux . »

Le Figaro, mai 1876

Les patineurs évoluaient alors essentiellement dans des milieux clos et lisses : les skating-rinks. Les premiers établissement à sortir de terre rivalisaient de luxe, proposant des surfaces de patinage toujours plus vastes aux patineurs. Par exemple, le Prince’s Club de Londres accueillait des gardes, des membres du parlement et même des lords. En outre, seule une fraction dominante se livrait alors à ces activités.

Du haut vers le bas, le patin se diffuse dans les autres classes sociales

En quelques années, le patinage s’étendit aux autres couches de la société et des skating rinks moins luxueux ouvrirent leur porte avec des tarifs d’entrée très abordables. Le nombre de skating-rinks explosa dans le monde, notamment à Paris. Cependant, l’entrée de certains skating-rinks restait parfois soumise à des conditions particulières comme la cooptation, une stratégie qui permettait à l’aristocratie de se distinguer de la masse. Les skating rinks les plus sélects arboraient également des décors et des services plus ostentatoires, tels que des orchestres comptant jusqu’à une vingtaine de musiciens !

Malgré tout, la pratique se répandit inexorablement dans les couches bourgeoises et populaires. La distinction sociale s’opéra alors par l’intermédiaire des lieux d’évolution. A Paris, le contraste entre rive droite et rive gauche fut flagrant.

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Washington DC roller skating rink (1880)

« (..)des bourgeois plutôt délurés, pas des bourgeois traditionnels pour la mode de 1876. Plus tard, il y a eu une autre grande mode en 1914. Cela a commencé de la même façon avec des aristocrates et cela s’est ensuite démocratisé dans le sens sportif parce que pour faire du sport ils mettaient des casquettes, des vestes courtes, les femmes portaient des jupes culottes et puis très vite c’est devenu un peu voyou. Il y a des gens qui venaient pour emballer d’une façon grossière, il y avait des bagarres. J’ai constaté en discutant avec d’autres gens qui venaient d’autres sports que c’était un phénomène général. Les sports commencent aristocratiquement, se démocratisent et deviennent voyou. Voila grosso modo les grandes lignes. »

De la bourgeoisie au public étudiant

Sam Nieswizski abonde également dans ce sens :

« Et puis çà a commencé à se démocratiser, à devenir un sport plus populaire. Ceux qui fréquentaient les patinoires, c’était sur la rive gauche des étudiants qui venaient pour s’amuser et sur l’ensemble de Paris, c’était des gens qui fréquentaient les bals. C’était aux environs de 1876-1879 à peu près. » (Sam Nieswizski – 2002)

Cette vérité énoncée par Sam Nieswizski est effectivement un fait sociologique avéré. Il complète son argumentation en nous décrivant l’ensemble des couches sociales :

« Du côté des étudiants, c’était du genre décontracté et du côté bourgeois, c’était plutôt le haut de forme, le monocle. Les filles s’habillaient comme pour les sports de glace alors qu’il faisait chaud, avec des manchons de fourrure. En fait c’est très récent le fait que le patin à roulettes soit vraiment autonome. Il est longtemps resté une imitation du patin sur glace. Un remplacement. »

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Ambiance d’un skating rink aux Etats-Unis en 1900

Force est de constater que le patinage à roulettes a longtemps conservé les codes vestimentaire du patinage sur glace.

Au début du 20e siècle, le patinage à roulettes s’ouvre à une pratique plus familiale

Après deux modes successives dans les années 1870 et 1890, le patinage retomba quelques temps dans l’oubli. Il fallu attendre la première décennie du 20e siècle pour le voir renaître. Il revint sous deux formes : le patin traditionnel en skating rink et les patins bicyclettes ou patins-cycles.

L’influence victorienne reste omniprésente dans le monde anglo-saxon

Dans les skating rinks, l’influence de l’Angleterre Victorienne reste présente, même aux Etats-Unis. Par exemple, l’Arcadia Roller Rink de Détroit, extrêmement populaire en 1904, dédié une journée par semaine aux femmes mais la jupe doit descendre sous la cheville !

American Palace Pier St Leonards
American Palace Pier St Leonards

Les patins cycles en roue libre

Bien que l’invention remonte à 1860, les patins cycles connurent un regain d’intérêt durant la période 1900-1925 avec de nombreuses courses organisées à Longchamp ou encore Auteuil. Ces patins permettaient également la pratique dans les chemins.

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Une course de patins-bicyclettes à Lonchamp en 1898

La photo ci-dessus montre quelques gentlemen au départ d’une course. Leur tenue vestimentaire s’est en partie adaptée à une pratique plus sportive et plus compétitive. Les femmes concouraient également sur des formats de courses spécifiques.

Les prémices d’une pratique familiale

En parallèle, la pratique familiale se développe grâce à une remise à plat des règlements dans les skating-rinks. Leur propriétaires ont bien compris qu’un peu d’ordre est nécessaire à la bonne marche de leurs affaires. Les prostituées sont invitées à quitter les lieux, les patineurs éméchés ou violents sont remerciés, des créneaux sont désormais spécialement dédiés aux familles.

Le skating rink de l'Alhambra de Bordeaux en 1903
Le skating rink de l’Alhambra de Bordeaux en 1903

Dans les années 30, l’ouvrage « The allure of the rink« , Sarah Webber indique que les skating rinks devinrent des lieux de sociabilité où les Américains venaient après le travail ou pour leurs premiers rendez-vous. Elle précise notamment que les frères Martin imposaient un code vestimentaire pour élargir leur clientèle à un public familial.

La seconde Guerre mondiale marque l’avènement de la pratique populaire

A la veille de la seconde guerre mondiale, l’arrivée du roller catch

En février 1939, à quelques mois de la Seconde Guerre-Mondiale, le roller catch arrive des Etats-Unis arrive au Vel d’Hiv à Paris. Les grandes personnalités de l’époque s’invitent autour de la piste pour assister aux rencontres entre les USA et l’Europe : Carpentier, Marcel Cerdan, Louis Chaillot, les frères Bukovac, Henri Declane et bien d’autres. La pratique est mixte, hommes et femmes peuvent cohabiter sur la piste. La violence fait partie du jeu pour le plus grand bonheur des spectateurs.

Match de roller catch au Vel d'Hiv - Jean Roire - Regard (19 février 1939)
Match de roller catch au Vel d’Hiv – Jean Roire – Regard (19 février 1939)

La parenthèse de la guerre

Pendant la seconde Guerre Mondial, le patinage perdure plus modestement. Une partie des skating rinks est réquisitionné pour l’effort de guerre. Quelques courses ont lieu, notamment à Paris en septembre 1942 où Louis Fichaux remporte le « Grand Prix de Paris Soir » en pleine occupation Allemande.

Le patinage se pratique cependant à l’extérieur, notamment chez les plus jeunes. Pour preuve, cette célèbre photo de Robert Doisneau de 1943, prise au pied de la tour Eiffel.

Des enfants en patins à roulettes Fulgur en 1943
Des enfants en patins à roulettes Fulgur en 1943 – photo de Robert Doisneau

Le patinage à roulettes entre à l’école

Puis, un nouveau cycle démarra à la fin de la Seconde Guerre Mondiale. Aux Etats-Unis, plus de 200 universités et 5000 écoles publiques intègrent le patinage à roulettes dans leur programme éducatif. L’école militaire de West Point utilise le patinage pour aider ses troupes à garder la forme. Le gouvernement encourage même cette pratique en tant que mode de déplacement.

Les années 50 marquèrent l’avènement de l’American Way of Life. La pratique populaire inonde les milliers de skating rinks aux USA. Le patinage s’inscrit dans le quotidien, à l’image des « carhop » ou autres « drive-in » qui proposent le service à votre portière grâce à des serveuses en patins à roulettes !

Serveuse en patins à roulettes dans les années 1950
Serveuse en patins à roulettes dans les années 1950

Les tournées des Skating Vanities et de leur star Gloria Nord reprennent. Elles déplacent les foules aux Etats-Unis et en Europe. Le roller catch réinvestit également le Vel D’Hiv dès 1947.

Les années 60 : une perception contrastée du patinage à roulettes par le public

En France, le patinage à roulettes ne connaît pas le même élan sociétal qu’aux Etats-Unis. La pratique investit les lieux publics, mais ce sont essentiellement les enfants qui s’y adonnent.

À cette époque le patinage à roulettes était considéré comme un jeu d’enfants. « 

Sam Nieswizski, 2019

Les patineurs adultes pratiquant en public suscitent des sentiments mitigés, allant de la stupéfaction à la moquerie. Florimond Dufour était l’un d’eux. Il investissait les esplanades du Trocadéro et le Palais de Tokyo de 1950 à 1975. Accompagné de son gramophone, il exécutait des pas de danse devant le public. Il fut ainsi immortalisé par Doisneau.

Florimond Dufour, le patineur solitaire immortalisé par Robert Doisneau
Florimond Dufour, le patineur solitaire immortalisé par Robert Doisneau

Les années 1970 et 1980 sont marquées par la fièvre disco

Le patinage à roulettes crève l’écran

Les années 70 et 80 virent resurgir le patin traditionnel après une relative accalmie. Le cinéma met le patinage à l’honneur dans plusieurs films aux scénarii très éclectiques, à l’image de la pluralité des pratiques du roller. Kansas City Bomber (1972) se focalise sur la pratique du roller derby féminin. Rollerball (1975) est un film de science-fiction dystopique s’appuyant sur le patinage. Skatetown, U.S.A. (1979), Roller Boogie (1979) ou encore Xanadu (1980) braquent les caméra sur la fièvre roller disco. Il s’inscrit décidément dans la culture populaire.

Raquel Welch -Kansas City Bombers (1972)
Raquel Welch -Kansas City Bombers (1972)

Le roller des années 1980

La légende veut que le roller revienne grâce au skateboard. Les fabricants américains auraient eu sur les bras un énorme stock de trucks et de roues de skateboard invendus. Il aurait donc fallu « recycler » tout ce matériel.

« Le patin à roues alignées renaît aux Etats-Unis dans le courant des années 80, mais doucement. J’y suis allé en 1983 à Central Park, on voyait seulement quelques types en patin en ligne et cela a gagné la France et vraiment décollé en 1993, c’est la date précise. »

Ce retour de la pratique ne s’est pas fait par hasard, mais grâce à plusieurs facteurs : l’attirance pour les pratiques dites « californiennes », l’élan écologiste et la naissance de la culture « fun ». La période coïncide également avec le succès du disco. On pensera notamment au film « Roll’Bounce » qui montre bien l’ambiance de l’époque aux Etats-Unis.

Scène du film Roll Bounce (2005)
Scène du film Roll Bounce (2005)

La pratique en France dans les années 80 selon Serge Rodriguez

« Le quad des années 80, c’est pour les enfants une façon de s’amuser. Pour les adultes, c’est soit une façon de continuer une pratique de glace, soit de réaliser un rêve d’enfant. Continuer à faire du patin adulte (…) c’est aussi un comportement marginal. Dès qu’on est adulte et qu’on a une paire de quad aux pieds, on est un peu exclu parce que l’on est considéré comme des enfants. »

Serge Rodriguez – 2002


« Dans les années 80, de nombreux patineurs adultes qui allaient acheter des quads disaient que c’était pour leur enfant parce qu’ils avaient honte. »

Serge Rodriguez – 2002
Serge Rodriguez au Trocadéro
Serge Rodriguez au Trocadéro

« Je connaissais des gens qui patinaient et qui ne disaient pas à leur voisin qu’ils faisaient du patin à roulettes. Ils partaient de chez eux à pied et chaussaient 500 m plus loin pour ne pas que leurs voisins les voient. »

Serge Rodriguez – 2003

Une pratique sauvage et marginale

A la dalle Montparnasse, les riders se réunissaient pour pratiquer le saut ou le slalom ou organiser des randonnées sauvages. Le Trocadéro et ses pentes

Une méconnaissance et une incompréhension de la pratique s’est installée à cette époque. Durant une dizaine d’années, le roller est resté en veille, jusqu’à l’arrivée du roller en ligne qui a chamboulé le marché mais surtout massifié la pratique.

Cette image de pratiquant marginal est encore tenace aujourd’hui, particulièrement dans le roller street. A l’époque, le film Subway (1985) véhicule à sa manière cette image de sport rebelle. La scène du patineur échappant aux forces de police dans le métro reste l’une des plus connues du cinéma Français.

Pourtant, le retour du patin à roues alignées n’a pas changé immédiatement l’image du roller. Les patineurs furent longtemps regardés comme des extra-terrestres.

Les années 1990 : les mentalités évoluent

Un début de reconnaissance : le rink hockey en démonstration aux J.O. de Barcelone en 1992

Par ailleurs, En 1992, le roller quad fut présenté aux Jeux Olympiques de Barcelone, sous l’impulsion de Juan Antonio Samaranch, alors président du C.I.O et adepte de ce sport. Il s’agissait alors de rink-hockey, une des pratiques les plus anciennes en compétition dont l’aspect sportif renforçait le sérieux.

L'équipe d'Argentine, championne olympique de rink hockey 1992
L’équipe d’Argentine, championne olympique de rink hockey 1992

Depuis 1992 et la présentation du Rink-hockey (hockey sur patins traditionnels à essieux proche du hockey sur gazon) aux Jeux-Olympiques de 1992. Le roller n’a pas réussi à entrer dans le cercle très fermé des disciplines olympiques. Leur nombre a d’ailleurs encore diminué, passant de 28 à 26. La porte s’est entrebâillée au skateboard, mais elle mettra encore du temps à s’ouvrir au roller.

Un facteur d’évolution des mentalités : les grèves de 1995 et l’arrivée du roller en ligne

L’image de mauvais garçon des années 80 a progressivement laissé place à une pratique plus « cool », écologique, dans l’ère du temps. Durant les grèves qui paralyse la France 1995, les cadres chaussent les rollers en ligne pour partir travailler. Douche recommandée à l’arrivée !

Patineur en costume et cravate - crédit : Adobe Stock
Patineur en costume et cravate – crédit : Adobe Stock

Selon la légende, le pays aurait tellement été paralysé que de nombreuses personnes cherchèrent des solutions alternatives pour se déplacer au quotidien : à pied, en vélo ou en roller. La machine était lancée. Avec la pratique de masse, le roller a partiellement perdu la dimension distinctive et marginale qu’il pouvait posséder au début des années 1990.

Comme le note Christian Pocielllo :

« Inventées, importées, appropriées ou promues par des groupes culturellement favorisés, les sports nouveaux subiront une « popularisation » et une divulgation progressive et, quoique différentielle, généralement inéluctable ».

Sports et société. Approche socioculturelle des pratiques. Paris, Vigot, 1981, p. 174

Le roller franchit une nouvelle fois l’Atlantique

A ce moment de l’histoire contemporaine, l’objet roller arrive à peine des Etats-Unis. Outre-Atlantique, 29 à 30 millions de personnes chaussent régulièrement les patins en ligne. En France, seuls quelques farfelus s’acharnent à descendre à toute allure les pentes du Trocadéro ou à occuper la dalle Montparnasse. La fameuse randonnée du vendredi soir, la Friday Night Fever, en est encore à ses balbutiements.

Des randonnées sauvages aux randonnées roller populaires de masse

Les organisateurs de randonnées ont eu beaucoup de mal à légitimer leur pratique du du patinage à roulettes. Les conflits avec les municipalités et les préfectures sont nombreux. Les maires et préfets y voyaient une forme de manifestation, cherchant quelles motivations politiques ou sociales peuvent motiver ces pratiques. Il flotte alors un parfum d’incompréhension. La presse nationale s’interroge sur les causes de ce phénomène. Les randos, sous le feux des médias, et notamment de l’Express, deviennent une véritable vitrines pour le roller. Les pratiquants « marginaux » des débuts voient petit à petit se greffer à leurs randos des cadres, des employés, et d’autres patineurs issus de classes sociales variées. La randonnée Rollers et Coquillages accueille jusqu’à 25.000 patineurs certains weekends !

La randonnée Rollers et Coquillages
La randonnée Rollers et Coquillages

De leur côté, les fabricants tels que Rollerblade, Roces ou encore Salomon, à grand renfort de publicité tentent de pousser le phénomène. De grandes marques quelles que Wanadoo, France Télécom ou d’autres s’emparent du phénomène. Entre 1995 et 2000, le roller bénéficie d’une exposition sans précédent dans l’époque contemporaine. Et progressivement, la pratique se diversifie puis le marché se segmente pour répondre à toutes les attentes.

Une considération inégale en fonction des pratiques du patinage à roulettes

Durant les années 1990, le grand public met tous les patineurs dans le même panier, plutôt par méconnaissance de la pratique du patinage à roulettes. En effet, la distinction entre les randonneurs, les slalomeurs ou les pratiquants de roller agressif est floue voire inexistante. De ce fait, le moindre randonnée est affublé d’une image de rebelle ou de casseur de mobilier urbain. Il en résulte un fleurissement d’arrêtés municipaux interdisant la pratique du roller et du skateboard en ville.

entree magasin roller interdite small
Le roller : interdit dans certains lieux publics

La pratique du roller street : entre sanction, médiation et incompréhension

Le roller « agressif » se développe pourtant, envers et contre tout. Le choc avec les autorités est un peu plus brutal. C’est donc d’abord le rejet qui marque cette période.

Des encoches dans les marbres du Corum à Montpellier
Des encoches dans les marbres du Corum à Montpellier

Les maires essaient vainement d’interdire la pratique du roller dans de nombreux lieux publics, puis de cantonner le street à une pratique en skatepark. Là encore, la méconnaissance des motivations des pratiquants va engendrer des dépenses inutiles dans des skateparks désertés.

L’obstination des riders amène à des pratiques délirantes où les villes créent des encoches dans leurs murets ou y dressent des morceaux de métal pour rendre les spots impraticables.

Il faudra de nombreuses années avant que les mairies et les constructeurs d’équipement urbains mènent une réflexion conjointe avec les riders pour adapter le mobilier urbain à la pratique.

Le roller course : un sport pas vraiment pris au sérieux

Le patinage de vitesse a connu un sort à peine plus favorable. La tenue des pratiquants, proche de celle des cyclistes donne au grand public des signes reconnaissables et identifiables plus rassurants et déjà connus de tous. Le port du casque est considéré comme une preuve de sérieux. Les nombreux titres mondiaux des champions Français ne changent rien à l’affaire, tant ils sont peu médiatisés.

Toujours-est-il que sur la route, le patineur ou le peloton ont encore bien du mal à acquérir une légitimité. Les automobilistes klaxonnent ou hurlent souvent, furieux de voir leur espace rogné par une nouvelle pratique étrange et méconnue. Malgré tout, la vitesse force progressivement le respect des cyclistes qui prennent conscience de la vélocité du roller. En outre, le développement des voies vertes favorise une pratique durable.

La réglementation roller : un statut de piéton par défaut

Dans une logique de déplacement, la pratique du patinage à roulettes vient naturellement à l’esprit. De plus en plus de personnes utilisent leur roller au quotidien pour aller au travail. La police cherche ses marques, ne sachant s’il faut condamner ou laisser faire, s’il faut rouler sur la route ou le trottoir. Le vide juridique flagrant qui reste aujourd’hui amène à des situations ridicules où la gendarmerie demande à un patineur au milieu des champs en rase campagne de monter sur un trottoir inexistant.

En ville, les patineurs jonglent entre pistes cyclables, trottoirs, chaussées et voies de bus pour se faufiler dans la circulation. Le pratiquant ne sait plus vraiment où il doit évoluer. Du coup, c’est au bon vouloir de chacun et en fonction des humeurs des autorités.

Les années 2000 : une alternance de renaissances passagères

Le marché du roller s’étiole considérablement durant la première décennie des années. De nombreux magasins ferment et le roller laisse place à la trottinette dans l’esprit des plus jeunes, ainsi qu’aux divers modes de déplacements électriques tels que les gyropodes chez les adultes.

2009-2015 : le roller derby se structure dans le monde et en France

Aux Etats-Unis, le roller derby s’est modernisé. En effet, les femmes se sont résolument appropriées la pratique du roller derby avec la création de la WFTDA. Le film de Drew Barrymore, Bliss / Whip it! sorti en 2009, agit comme un catalyseur de la pratique du roller derby. Des centaines de « leagues » voient le jour à travers le monde. En France, plus de 130 clubs naissent en quelques années, totalisant plus de 4500 licencié(e)s, à 90% féminines. Les médias s’emparent de ce phénomène féminin et féministe, offrant ponctuellement une grande visibilité à la pratique.

Rencontre de roller derby Montpellier contre Nantes en 2012 - à Albert Batteux
Rencontre de roller derby Montpellier contre Nantes en 2012

2016-2018 : la série phénomène Soy Luna

La série Argentine Soy Luna débarque en France le 8 avril 2016. Cette série télévisée Argentine créée par Jorge Edelstein est diffusée sur Disney+. En quelques mois, la pratique du patinage à roulettes et les ventes de patins traditionnels décollent grâce à la série.

Elle est plus particulièrement populaire chez les petites filles de 6 à 12 ans. Les effectifs de la fédération bondissent de près de 15.000 licenciées sur une année. En outre, la part des femmes licenciées passe de 46 à 54%. Les séries pour enfants, boostent pratique du roller et du patin à roulettes, comme ce fut le cas pour d’autres sports dans les années 80.

Soy Luna
Soy Luna

2019 à nos jours : le COVID19 booste le marché du roller et du patin à roulettes

Quelques influenceuses ont profité du confinement pour rechausser les patins à roulettes et esquisser des pas de danse dans les rues désertes. Une nouvelle trainée de poudre se consume pour le plus grand bonheur des fabricants. En parallèle, avec les patinoires à glace fermées, les pratiquants de hockey sur glace investissent dans des roulettes. Les familles ressortent leurs anciens rollers et patinent à proximité de chez elles. La pratique du patinage à roulettes et marché du roller repartent. Cependant, l’Asie, dont les usines ont fermé à cause de la pandémie, n’est pas en mesure de répondre à l’accroissement de la demande. La pratique du roller a de nouveau le vent dans le dos mais la fourniture de matériel ne suit pas ! De quoi exaspérer les magasins et les marques qui attendaient l’embellie depuis plus d’une décennie.

Conclusion

Le patinage à roulettes connaît un parcours assez classique

Le roller a suivi la trajectoire de nombreuses autres pratiques sportives. Il a voyagé de ses racines Européennes vers les pays Anglo-Saxons (Royaume-Uni et Etats-Unis), il a été adopté par les classes sociales les plus favorisées avant d’infuser dans les couches populaires à travers les siècles. Les processus de distinction sociales s’opérèrent alors par le biais des lieux de pratique, plus ou moins luxueux. Les modes passèrent et revinrent au gré des innovations technologiques. La dimension puérile de la pratique du patinage à roulettes ne date pas de ses origines, mais semble plutôt remonter au milieu du 20e siècle.

Durant les 30 dernières années, la segmentation croissante du marché a vu émerger de nouvelles modalités de pratique. Désormais, la distinction s’opère à la fois par le type de matériel, la technique, les lieux de pratique et les groupes au sein desquels évoluent les pratiquants.

Le roller à l’âge de la maturité

Le roller bénéficie aujourd’hui, de la brèche créée par la précédente génération de pratiquants. Les jeunes des années 1990 sont devenus parents et nombre d’entre eux ont sans doute participé au moins une fois à une randonnée populaire. Leur tolérance et leur perception de la pratique du roller sont différentes de celles des générations précédentes, plus tournées vers l’automobile. D’un rejet complet, le roller semble trouver progressivement sa place dans le paysage urbain. S’il n’a pas encore de véritable statut en France, on peut espérer que les exemples de nos voisins européens donneront une image mature à un sport si vieux et pourtant si jeune…

Bien que l’image du roller et du patinage à roulettes ait évolué favorablement ces dernières années, le chemin reste long afin que le patinage trouve une véritable légitimité. La France semble en retard par rapport à ses voisins Européens. En effet, contrairement à la Belgique, le patinage à roulettes ne possède pas de véritable statut. Par ailleurs, le public peine à percevoir sa dimension sportive ou sa plus value en tant que mode de déplacement.

La dimension puérile de la pratique du roller : une spécialité nationale ?

Si le roller n’a que peu de crédit en France, il est des pays où il s’est imposé comme une des disciplines majeures.

En Colombie, le patin s’est progressivement hissé vers les sommets, s’approchant lentement des scores réalisés par le dieu football et la reine Formule 1.

Dans les pays latins comme l’Italie, l’Espagne ou le Portugal, le rink hockey et le patinage artistique sont diffusés en direct sur les grandes chaînes.

En Suisse et en Allemagne, les courses réunissent de milliers de patineurs, sans parler des rendez-vous asiatiques en Corée et en Chine.

La famille Rodriguez en patins à roulettes
La pratique du patinage à roulettes en famille

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Le grand retour du roller quad (L’express, 2021)

Photos : Alexandre Chartier et Serge Rodriguez
Merci à Sam Nieswizski, Serge Rodriguez et Boramy Thong – Article du 19 mars 2007 mis à jour le 1er janvier 2022

Auteur

Alexandre Chartier

''alfathor''

Alexandre est le fondateur et webmaster de rollerenligne.com depuis 2003. C'est un passionné de roller en général, tant en patin traditionnel qu'en roller en ligne. Il aime le patinage à roulettes sous tous ses aspects : histoire, économie, sociologie, évolution technologique... Aspirine et/ou café recommandés si vous abordez un de ces sujets !

Une réponse pour “Le roller est-il un jeu d’enfant ?

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