Podcast : Luc Bourdin, de Laon à la fédération (1/3)
Partons à la rencontre d'un patineur au parcours extrêmement varié. Il a d'abord pratiqué en compétition, que ce soit en quad ou en inline, puis il s'est engagé dans les instances fédérales pour structurer la pratiquer du roller freestyle, avant de finalement monter sa propre société de conseil en skatepark. Rencontre avec Luc Bourdin.
Par alfathor

Luc Bourdin fait partir des acteurs majeurs qui permirent au roller freestyle ou roller acrobatique français de se structurer dans les années 1990. D’abord en tant que rider et président d’association, puis en s’impliquant progressivement dans les structures fédérales avant de venir entrepreneur aujourd’hui. Le premier de ces trois volets d’entretien revient sur sa carrière sportive.
Bonjour Luc Bourdin, nous commençons par la question rituelle : est-ce que tu peux te présenter ?
Salut à tous, je suis Luc Bourdin, je viens de Laon, dans l’Aisne. J’ai découvert le roller avec ma soeur, autour d’une mode dans les années 1984/1985. Elle en faisait, nous étions dans un petit village sans trop d’animation. J’y suis resté et pas elle.

Nous avions un petit groupe de potes collégiens avec lesquels nous avons monté une association. En effet, mon père m’a poussé à le faire, je ne foutais rien à l’école, il voit bien que c’est ma passion et que je passe beaucoup de temps sur les roulettes. Il me met alors en connexion avec la mission locale de la ville. Etant donné que j’étais mineur, les personnes de la mission locale, Gérald Mathieu et Bruno Douçot deviennent secrétaire et trésorier et moi vice-président. Pour l’anecdote, Gérald Mathieu est devenu président de la Commission Nationale de Roller Acrobatique (CNRA) par la suite. Autant dire qu’il s’est énormément impliqué dans notre projet ! C’est ainsi que s’est créé l’AS Team Laon fin 1991.
Ensuite, je suis parti à Reims. Nous y avons créé l’AS Team Reims, fin 1992. Pendant deux ans j’y étais allé rejoindre ma mère, jusqu’à son décès. Puis je suis revenu à Laon.

Que faisais-tu à cette période comme pratiques Luc Bourdin ?
Avant l’association, nous nous baladions, nous slalomions entre des canettes de Coca. Nous nous amusions à tenir en équilibre sur deux roues. A un moment, j’étais le meilleur patineur de Laon parce que je savais slalomer trois canettes sur un pied ! (rires). Le roller, c’était ma vie.
Avec l’association, au bout d’un an ou deux, nous allions à Paris au Trocadéro. Et je réimportais tout ce que je voyais là-bas à Laon. Je me suis bien mis au slalom et au saut du fait de ces inspirations. D’ailleurs, c’est autour du slalom et du saut que le club de Reims s’est structuré.
Le skateboard nous a également inspirés. Nous avons commencé à utiliser nos quads pour aller prendre les rails et les marches d’escaliers. Ma première photo de handrail en quad date de 1991, cinq ans avant que le street en ligne se développe en France. J’avais un niveau suffisant pour me faire plaisir en street en quad.

Photo : Kami
Laon et Reims, les échanges semblent récents. Dans les gens qui ont monté l’AS Team Reims, beaucoup ont continué par la suite dans la compétition et se sont beaucoup impliqués dans la discipline…
L’AS Team Reims a été très dynamique par la suite. Moi quand je suis parti faire l’armée, j’étais tellement moteur sur le club de Laon que ça a changé. Aujourd’hui, la partie skate est encore dynamique. A Reims, l’association s’est montée avec Nicolas Wegrich, Jérôme Coutand, qui fut un moment sélectionneur de l’équipe de France de saut et slalom.
La ville de Reims est plus grosse que Laon, il y a donc un vivier potentiel de riders plus important. A Reims, j’ai aussi fait de l’artistique ! Un club préexistait au nôtre. J’y faisais aussi du hockey en loisir. J’ai souvenir d’avoir intégré des sauts de street au milieu de mes prestations d’artistique (rires). J’ai également souvenir de démos que nous allions faire en Rolex, l’avant Solex. Nous étions derrière en Lycra, avec les bras tendus, c’était rigolo.

Luc Bourdin, tu as toujours été quelqu’un d’extrêmement polyvalent…
Oui, mais c’était aussi parce qu’il y avait finalement peu de choses structurées. Nous y avons contribué et nous avons « inventé » les disciplines qui se structurèrent plus tard. En effet, à l’époque, les seules disciplines structurées étaient le rink hockey, l’artistique et la course, les trois disciplines fondatrices de la fédération. Nous avons développé toutes les autres collectivement.
Quand tu es à Reims et à Laon, avec qui es-tu en contact en dehors de ces villes ?
Fin 1993, nous structurons le roller acrobatique autour de cinq clubs dont un au Trocadéro, un autre à la Défense avec Michel Fize. Il fut l’une des premières pierres de la Commission Nationale de Roller Acrobatique. Il y avait aussi les clubs de Rouen, Laon et Reims.

Nous arrivons à la création de la CNRA. Quel était l’état d’esprit à ce moment-là ?
Très rapidement après nos associations, nous structurons donc vraiment la CNRA en 1994. Le premier championnat de France à la Défense a lieu en 1994. Puis au Trocadéro en 1995. Très rapidement après nos associations. Les associations Rollermania, 340 et de la Défense étaient structurées avant nous.
Les premières actions furent des démonstrations et la création des règlements. Nous amenions alors les meilleurs de chaque club pour faire des démos et montrer notre sport. Nous avions alors été accueillis au sein de la fédération par la Commission Course, alors dirigée par Daniel Boivin.
Comment avez-vous été accueillis justement ?
Déjà, ce n’est pas la fédération qui nous accueille, mais la course. Pour la fédération, ce n’était pas évident, il fallait partager un gâteau qui n’était déjà pas très gros. C’est ainsi que nous l’avons ressenti. En revanche, nous avons ressenti de la bienveillance de gens comme Daniel Boivin ou Dominique Vasselin. Ils nous ont accueillis, nous ont aider à nous structurer.
Ainsi, nous avons pu mettre en place des stages, des compétitions. Nous voulions nous retrouver entre patineurs, partager la même passion. C’était toujours une fête.

Luc Bourdin, la CNRA rejoint le Comité National Course. Les premières compétitions sont arrivées rapidement…
Oui, nous avons mis 10 ans à avoir une commission nationale à part entière. Mais nous avons d’abord créé la commission pour organiser des événements ensemble, de se confronter. Nous nous rendons compte qu’ainsi nous pouvons repousser nos limites. L’objectif de la CNRA était d’organiser un circuit de compétition et de délivrer des titres. C’est d’ailleurs la première mission d’une commission quand tu rentres dans une fédération.
Quelles disciplines trouve-t-on alors ?
Au tout début, de 1993 à 1996, ce sont uniquement du saut et du slalom. Le high-jump est arrivé plus tard, car nous nous sommes enfermés dans notre carcan sécuritaire. Hakim Naït Chalal en parle d’ailleurs dans son podcast. Nous sommes allés jusqu’à interdire les figures tête en bas. Nous avions peur que les clubs envoient les gamins sur des figures tête en bas alors que les associations n’avaient pas les moyens suffisants pour s’entraîner. Nous ne pouvions pas autoriser ce que nous voyions alors faire par des personnes comme Manu Locus ou Taïg Khris. Nous ne voulions pas faire prendre de risque à cause de la hauteur de chute et du manque de moyens pour protéger les gamins. Le high-jump arrivera en 1996.
Au départ saut et slalom, puis vous travailliez à ce moment-là sur les premiers réglements et les premiers catalogues de figures…
Oui, il y avait notamment Michel Fize comme premier président, ensuite, lui ont succédé Gérald Mathieu et Christian Debackère qui est resté longtemps. Ce dernier a énormément contribué à la transition de cette commission. Nous avons eu notre autonomie à la fin de son mandat. Il a vu arriver le street en 1998, la rampe, puis le bowl.

Au départ, en slalom quels étaient les espacements Luc Bourdin ?
Oui, au départ, l’espacement du slalom, c’était 1,50 m et 1 m, avec des plots de 25 cm de haut quand même ! (rires). Il y avait aussi les figures imposées et libres, nous reprenions les codes de l’artistique. Un peu la connerie de pratiquer un sport où nous étions libres de faire ce que nous voulions et où nous avons créé des règles contraignantes pour nous confronter. Le problème d’un sport naissant est de figer les règles. Nous n’avons pas été stupides trop longtemps et nous avons modifié cela pour que le sport puisse évoluer. Il y a toujours ce risque de figer et d’empêcher d’aller plus vite, plus loin.
Parlons du matériel. Avec quoi roules-tu au départ ?
Au départ, j’ai une paire de patins à roulettes à lanières. Puis, ensuite, une paire d’Americana bleu, blanc et rouge avec une étoile. Je faisais alors du trafic de quad. J’allais chez ma mère à Reims, j’en achetais pour 90 francs, puis je le revendais à Laon à 110 francs. Ainsi, tous les 15 jours, je roulais avec une paire neuve, ça payait le déplacement, c’était rigolo !
Avant de connaître HawaiiSurf, c’était Intersport avec des quads et des platines Fiberlite. Des patins un peu souples avec une petite basket déjà montée et des Krypto. La vraie magie arrive effectivement quand je découvre HawaiiSurf, les platines Lazer…

C’était quand ?
Plutôt aux alentours de 1993. Quand nous avons eu les moyens de nous payer du matériel. Les Lazer étaient vraiment chères. La nervure de renfort sur laquelle je pouvais slider était vraiment fine. Ma première paire de Lazer doit remonter à 1995/1996. A cette période, je n’ai pas encore de titre. J’étais bon à Laon, mais à Paris, j’étais un cran en dessous. Quand je suis arrivé chez Hawaii Surf, Eric Gros m’a fait confiance et m’a écouté. Je lui ai expliqué que je n’avais pas de matos pour ma pratique. Nous les avons customisés en ajoutant des barres de protège-poignets sous les trucks pour faire des sliders. Il m’a laissé triturer les platines jusqu’à créer la Monolith. Je pense que je n’ai jamais payé une paire de Lazer puisqu’après ils m’ont sponsorisé.

Nous arrivons dans les années 1990 avec l’AS Team Laon, Reims, les compétitions. Luc Bourdin, je te rencontre en 1996. Tu n’avais pas trop d’argent…
Nous je n’avais pas beaucoup d’argent. J’étais en contrat aidé (CES – Contrant Emploi Solidarité). Je payais à peine le loyers et mon salaire me permettait à peine de manger. Je ne me suis pas super bien alimenté à cette période-là.
Nous arrivons sur la période charnière du roller en ligne…
Oui, avec notamment Wilfried Rossignol en 1996. En 1995, ma première réaction était « c’est de la merde, ça n’avance pas. J’étais un puriste du quad. » C’était moins efficace mais c’est rapidement devenu plus efficace, plus rapide, avec davantage de possibilités. Au départ, je faisais davantage de choses avec la Monolith que je développais avec HawaiiSurf. A l’époque, je ne voyais pas l’intérêt. J’étais jusqu’auboutiste. Je devais avoir un autocollant
Puis de nouveaux patins sont arrivés rapidement en 1996, comme les Roces Majestic. Des patins un peu plus développés. J’ai eu mon titre en saut à la maison. A partir de là, j’ai eu un partenariat avec Roces pendant un an, puis Razors. Ce changement de patins m’a permis de réaliser des figures que j’avais du mal à faire avec les Majestic à l’époque. Le matos évoluait très vite à l’époque en ligne, alors qu’en roller quad, il fallait attendre 10 ans.
En 1996, je fais encore du street en quad et en inline. C’est l’époque où je me suis fait beaucoup de blessures car j’ai voulu vite faire en line tout ce que je faisais en quad. Mes chevilles ont morflé, j’ai fait entorse sur entorse.

Walid : A cette époque là, je me faisais bien tailler parce que je faisais déjà du street en ligne, mais j’en faisais aussi en quad…
Il y a en effet cette période où le inline se développe et où je continue à faire des compétitions en quad. Comme ceux qui communiquent et les organisations qui font des événements reçoivent de l’argent du inline et tu n’es pas forcément bien vu avec tes quads. C’est un peu le truc de l’ancien temps face à l’innovation du inline. J’ai une petite fierté à Zurich quand je gagne face à des patineurs en ligne et aux gens des boites de roller. C’était du saut à l’international avec des figures engagées comme le Misty. C’est la première fois que je repartais d’une compétition avec un chèque.

On arrive au moment charnière de Bercy. C’est un événement dont nous avons parlé à plusieurs reprises dans nos précédents podcasts Luc Bourdin…
Oui, c’est la « deuxième couche », la deuxième étape. Avec l’avènement des marques de inline et de Crazy Roller. Au départ, il y avait une très bonne entente entre tous les acteurs… Et puis arrive Bercy qui est un véritable tournant pour la Commission de Roller Acrobatique qui était super bien accueillie. Jusque là, il y avait une très bonne image de la fédération, des pratiquants pour les pratiquants.
Puis, avec Bercy, la fédération a vu une opportunité de récupérer des sous. En gros : Bercy appelle la fédération, dont la communication s’appuyait sur une agence qui était payée sur ce qu’elle ramenait. L’agence a voulu que Bercy paie, alors que d’autres fédérations auraient été ravies d’avoir autant de médiatisation. Bercy a refusé. Donc la fédération a dit : « OK. Si un licencié participe, le licencié passera en commission de discipline ». Nous, en tant que riders et membre de la commission, nous nous défoncions pour notre sport et nous nous retrouvions avec une entité au dessus contre laquelle nous ne pouvions rien.
Comment cela s’est passé ?
Ceux qui n’étaient pas impliqués dans les instances fédérales ont déchiré leur licence car ils voulaient aller à Bercy, c’était tellement énorme ! Il s’est alors créé une scission énorme que nous avons mis 10 ans à rattraper. Les marques de roller inline se sont séparées de la fédération qui était trop estampillée saut, slalom et quad. Crazy Roller communiquait plutôt sur les nouvelles tendances du street. Comme je le disais, la fédération a remis 10 ans à proposer quelque chose d’attractif pour les riders.
Nous nous retrouvions entre le marteau et l’enclume. Nous étions convaincus que nous étions à notre place à la fédération. C’était l’organe auquel l’Etat donnait des sous pour développer notre sport. Ainsi, nous ne pouvions pas partir de la fédération et laisser d’autres faire à notre place ce que nous voulions mettre en oeuvre pour notre passion. Nous étions super légitimes et nous ne comprenions pas ce que faisait la fédération.

Walid : Cela a été un espèce de déchirement pour nombre de riders. A l’époque pour beaucoup, c’était « Fuck la fédé » et tu pouvais facilement basculer de ce côté-là comme tout le monde. D’un côté, il y avait un microcosme très franco-français avec du slalom et du saut. Et de l’autre, le monde du street qui explose avec des cassettes de roller. Le choix pouvait être rapide…
Oui, c’est ce moment entre Bercy et le premier championnat de France de street, avant de créer une équipe de France. Les meilleurs riders ont envie de s’affronter dans le street, mais ils restent une poignée. Cela concerne finalement peu de monde. Ceux qui ne font pas de compétition n’en ont rien à faire de la fédération.
Luc Bourdin, parles-nous de ta période UCPA…
Oui, avant d’arriver à la fédération en tant que salarié, j’y suis en tant qu’élu bénévole. J’étais au club de Laon en tant qu’employé et l’été je travaillais à l’UCPA. J’adorais transmettre et partager, j’ai pu évoluer pédagogiquement. J’arrivais à des trucs fous avec des ados, mais aussi avec des adultes. J’ai fait Tignes, Val d’Isère et Saint-Clément-de-Rivière près de Montpellier.
Durant cette période-là, j’ai eu la chance de pouvoir tester le matériel Salomon, un an avant qu’il sorte sur le marché ! Un détail changeait d’une paire sur l’autre, nous faisions des retours. Nous avons eu les premiers ST8, ST9, etc. Après Razors, je me suis fait sponsoriser par Salomon. C’était magique.
Cela fait charnière avec la fédération où on m’embauche pour mettre en oeuvre le premier brevet d’état de roller acrobatique. La fédé m’a recruté parce qu’à ce moment-là j’avais cette aura de pratiquant, mon expérience d’encadrant et de gestion de club…
Fin du premier volet de ce podcast consacré à Luc Bourdin. La suite bientôt !
Galerie photo











Pour aller plus loin
Locus
10 mars 2023 at 7 h 07 minalfathor
10 mars 2023 at 7 h 42 minreny
25 février 2023 at 23 h 15 min