Podcast : Grégoire Pinto, l’entrepreneur (2/2)
Second volet de notre podcast consacré à Grégoire Pinto. Après sa carrière sportive, tournons-nous vers sa carrière professionnelle : de son expérience chez Nike à la fondation d'Universkate avec Sébastien Laffargue...
Par alfathor

Grégoire Pinto : de la carrière sportive à la carrière professionnelle
Second volet du podcast consacré à la carrière de Grégoire Pinto. Après sa carrière sportive, nous abordons sa vie professionnelle et son rôle prépondérant chez Seba / FR Skates, associé avec Sébastien Laffargue. Si vous n’avez pas écouté la première partie, nous vous invitons à aller revenir sur le Balado Roller précédent.
Grégoire Pinto, passons maintenant à ton parcours professionnel. Tu nous disais que tu avais réussi à faire des stages et à toujours travailler dans le milieu du roller. Es-ce que cela a été compliqué de trouver un stage chez Benetton et d’aller travailler dans des magasins de roller ?
Grégoire Pinto : Alors c’est une bonne question parce que ça s’est fait, il y a eu une dynamique à lancer et c’est souvent ça. Cela a été la même chose par la suite avec Seba et avec Universkate. Il a fallu lancer la machine. J’aime dire qu’il a fallu commencer à faire tourner la roue. Une fois que la roue elle tourne, il y a une certaine inertie qui se met en place et ensuite c’est plus facile. Mais c’est vrai que c’est souvent dur de commencer. Donc oui, au début le tout premier shop j’ai bossé chez Vertical Line. Je pense que ça s’est fait parce qu’ils me sponsorisaient déjà et qu’ils cherchaient du monde pour la location. Cela s’est fait petit à petit. J’ai dû travailler d’abord le samedi.

Puis, après j’ai une période un peu en creux. Je me souviens que j’avais un peu galéré à bosser chez Nomade Shop. J’imagine que tout le monde voulait bosser là-bas et qu’il n’y avait pas forcément besoin de plus de personnes. Ils avaient une bonne équipe déjà, avec de bons vendeurs. Donc il n’y avait pas nécessairement besoin de monde en plus. J’ai eu un créneau, puis j’ai bien voulu travailler. Je me souviens que je me suis fait bouler quand j’ai voulu y travailler à l’époque.
Je crois qu’il y avait un Go Sport qui s’était monté de rue de Rivoli, il m’avait boulé aussi. il y avait un rayon roller pourtant. Enfin voilà, ça n’a pas été forcément facile. Mais bon, j’étais encore jeune. Je n’avais pas eu ma chance chez Roller Station non plus.
Tu n’as pas essayé de postuler chez Hawaii Surf Grégoire Pinto ?
Grégoire Pinto : Non, je n’ai pas fait Hawaii. J’ai travaillé chez Ilios, Vertical line, Nomade Shop. Disons que quand j’ai eu un créneau, je l’ai saisi. Ça n’a pas été nécessairement facile. J’ai réussi à en vivre quand même. Entre temps, si je ne travaillais pas le week-end en magasin, j’allais faire des figurations. Je faisais pas mal de figurations dans des séries, des films, etc. J’ai même eu un moment de gloire où je passais tous les jours à la télé dans une publicité pour des assurances. J’avais fait la fierté de mes parents à l’époque !
Vidéo : Publicité pour la GMF avec Grégoire Pinto
Il faut dire quand même qu’avant ça, mes parents m’ont souvent répété : » Non, mais arrête de faire du roller, travaille à l’école. » Comme une bonne tête de mule que je suis. J’avais fait que ce qui me plaisait. Et j’avais eu mon moment de gloire en 2003/2004, où je passais sur toutes les chaînes tous les jours pendant 2-3 ans. Et en même temps, j’avais été embauché chez Nike. Là, mes parents m’ont compris, ils m’ont dit « Ok, d’accord, ça va, tu t’assumes, tu gères, c’est bon, t’es en chemin pour faire bien. »
Alors là, tu as prononcé un mot qui va nous intéresser tous les deux, tu as prononcé le nom de Nike. Peux-tu nous en dire plus sur cette expérience Nike Bauer ?
Grégoire Pinto : Donc je travaillais chez Nomade Shop à l’époque… C’est toujours un monument du roller, mais à l’époque, même pour Nike c’était quand même intéressant pour eux d’aller voir ce qui se passait dans ce petit magasin, pour que ça vende autant. J’imagine que c’est ça qu’ils ont dû se dire. Les chiffres de ventes en France et les chiffres à Paris étaient fous.
« Mais qu’est ce qui se passe à Paris pourtant il n’y a pas d’intersport, il n’y a pas de go-sport, il n’y a pas de je ne sais pas quoi et pourtant ils vendent beaucoup de rollers. Comment ils font ? «
Grégoire Pinto, imaginant les questionnements de Nike
Ils ont dû se poser des questions. Et puis un jour de semaine où je travaillais à plein temps chez Nomade en 2000-2001, ils sont passés. Il n’y avait à peu près personne dans la boutique. Et tout d’un coup, en l’espace de 5 minutes, je vois 10 personnes habillées Nike de haut en bas. J’étais à l’atelier à l’époque, donc j’étais vendeur, mais mon poste c’était l’atelier. Un vendeur les accoste. mais ils répondent : « Non, c’est bon, on ne fait que regarder, c’est tout ». Et puis moi à un moment j’ai pris ma chance parce que j’ai entendu parler anglais donc je leur ai sauté dessus en anglais.
Et puis j’ai commencé à leur expliquer un peu l’essence du roller parisien. C’était alors le début du mouvement FSK, donc ils étaient au courant de ça, ça les intéressait. Je leur ai raconté un peu notre histoire du roller. Je les ai un peu « accrochés ». Et au bout de cinq minutes, j’avais tout le monde autour de moi, et j’expliquais un peu ce qu’était le roller. Puis, nous avons gardé contact après qu’ils soient partis.
Et comment ils sont revenus vers toi finalement Grégoire Pinto ?
Grégoire Pinto : J’avais dû leur dire que leurs patins n’étaient pas adaptés, parce que je savais qu’ils avaient fait des patins à l’époque qui n’étaient pas bien du tout. Ils avaient des chaussures hyper souples, des patins de fitness avec un châssis hyper long. Ce n’était pas du tout ce qui correspondait au freeride ou au freeskate. Je leur avais donc dit : » Bon, les gars, c’est ça qui manque un peu aujourd’hui, il y a ça à faire, etc. »
Donc j’étais assez motivé pour leur expliquer des trucs. Quand ils sont partis, il y en a un qui m’a laissé sa carte. Et puis petit à petit, j’ai fait un peu de consulting à distance. C’était le début d’Internet, donc je me souviens j’étais sur mes e-mails. J’étais alors revenu chez mes parents. Mais je me souviens que j’étais dans le salon, pendant des heures à écrire des mails, à expliquer, faire des briefings.
A la fin de chaque mail, je mettais toujours un mot pour leur dire » Si vous en voulez plus, n’hésitez pas. On peut faire un contrat. « Et un jour, de fil en aiguille, ils m’ont dit qu’il y avait peut-être un créneau pour moi. Mais c’était en Allemagne. Je leur ai dit :
« Pas de problème, ça ne me dérange pas d’aller en Allemagne, je suis prêt à tenter le truc. »
Grégoire Pinto répondant à Nike
A l’époque je ne parlais pas allemand. Mais comme j’ai eu la chance de parler anglais très tôt, j’étais assez bon. Je parlais aussi l’espagnol pas trop mal, enfin même plutôt bien. Ils cherchaient alors un chef de produit pour développer une gamme freeride.

Tu as donc commencé à travailler sur des modèles de roller de freeride ?
Grégoire Pinto : Je leur ai dit : » Vous avez Bauer les gars, vous avez des super patins de hockey. Il faut partir de cette base-là. Vous êtes connu pour Bauer, ça ferait un patin freeride, il faut juste changer ceci et changer cela et vous pourrez faire un truc canon ! »
Et c’était vraiment bien. Nous avions donc commencé à développer un patin, mais ça a pris du temps. Un processus de développement à partir de zéro prend toujours beaucoup de temps. Et je me souviens que juste avant ça, au tout début; ils avaient une gamme qui s’appelait « Endorphin ». Elle possédait des chaussures où on voyait la bulle d’air. Elle n’était pas fonctionnelle d’ailleurs, soit dit en passant, mais elle était là. Ils avaient aussi un nouveau concept qu’ils avaient développé juste avant que j’arrive : les premiers patins étaient en train d’arriver en 2003 et cela s’appelait la gamme « shoes ». L’idée était de faire un peu un chausson, donc pas du tout le concept freeride. C’était encore une fois leur concept super mou, super confortable, mais pas du tout adapté au marché du roller.
Donc ils ont lancé cette gamme-là et puis ils ont essayé de la vendre en parallèle du développement que nous étions en train de faire pour la gamme Freeride. Voilà comment cela s’est passé pour moi. J’avais quelques connexions à l’époque. J’avais donc branché Jean-Claude Lancien, je sais que vous en aviez parlé avec Akim…
Avec Eric Gros de Hawaii Surf aussi, oui…
Grégoire Pinto : Avec Eric aussi. Jean Claude Lancien avait bossé à Hawaii Surf. Je l’avais rapatrié pour qu’il fasse le représentant pour Nike. Nous avions bien avancé. Nous étions arrivés jusqu’à la fin du projet avec une gamme de patins comptant trois modèles. Ainsi, nous étions partis d’une base UFS sur un patin de hockey, un peu typée avec quelques changements. On avait mis un slider sur le côté, une super platine avec une base hyper large pour avoir vraiment un bon maintien, un châssis court et bas.
Bref, on avait réalisé une gamme super aboutie. Je me souviens qu’on avait fait la gamme 360, 150, 720. Alors, nous étions arrivés au bout du concept. Je veux pas aller trop vite pour dire ça parce que ça va déclencher beaucoup de choses mais en gros, quand je suis arrivé, ils ont lancé la gamme shoes en parallèle. C’était 2003 et ils ont eu énormément de commandes notamment, mais pas qu’en Corée.

Raconte-nous ce qui s’est passée avec la Corée du Sud Grégoire Pinto…
Grégoire Pinto : Nike a reçu une très grosse commande de Corée, avec des montants démesurés. La marque a produit plusieurs centaines de milliers de paires. C’est un chiffre énorme ! Même pour Rollerblade, même pour tout le monde dans l’industrie. Mais les gens de Nike avaient une grosse commande et ils étaient ravis de l’honorer. Mais, entre temps, le marché coréen s’est replié et pas seulement lui. En effet, c’était la fin de la période phare du roller donc 2003-2006. Et en parallèle c’est le moment où Salomon a arrêté. Ils avaient lancé le concept FSK et ça avait décollé. Mais pas suffisamment pour pallier à la catastrophique baisse du marché qu’il y a eu au début des années 2000. Rossignol a quitté le marché, enfin tous les grands mondes du roller partaient.
Je crois que Hypno ils avaient arrêté aussi alors que quand même ils avaient un brevet de patin détachable pas mal. Et c’est le moment où les industriels sont partis du marché du roller parce que les chiffres ne suivaient pas. A cette période, mon projet chez Nike s’est transformé du poste de chef de produit celui de développer des produits et une gamme.
Qu’avez-vous fait de ces centaines de milliers de paires Grégoire Pinto ?
Grégoire Pinto : On a un énorme inventaire avec ces centaines de milliers de paires à vendre. Donc, j’ai changé un peu ma mission, et je suis devenu commercial. Je n’avais pas le choix. Nous étions obligés de vendre ces patins que nous avions produits.
Donc sur les trois années que j’ai passé chez Nike, j’ai dû passer un an et demi à développer les produits et le reste à vendre les produits existants. En parallèle, la gamme « Shoes » marchait pas. Cependant, il y avait quand même de la demande sur les anciens « Endorphin » qui ne marchaient pas hyper bien mais qui se vendaient quand même. Donc je faisais des deals sur des Endorphin, des deals avec des « Shoes ». Merci Sacha Schwab, mon boss là-bas qui m’a donné la chance de créer des structures de prix, d’adapter des listes, de comprendre ce qu’est une marge, de comprendre un réseau, ce qu’est un agent, un représentant, un distributeur, combien les shops font de marge, etc. Donc je suis rentré dans une notion roller beaucoup plus « business. »
Là j’ai compris vraiment ce qui se passait. Je suis passé un peu dans une autre dimension. J’ai dû par la force des choses développer d’autres compétences. En fait, il y a un truc que je trouve vraiment incroyable, c’est que si tu parles avec des gens, personne ne te citera jamais comme élément un peu fondateur l’arrivée de la Corée et le gros crash que ça a généré. Pourtant, quand tu travailles dans un magasin ou quand tu as côtoyé des gens qui étaient dans le business, ça a été un élément vraiment très important.
En fait, c’est fou ces événements qui sont un peu passés sous le silence et qui ont vraiment eu un gros impact sur tout le marché…
» C’est malheureux, mais les industriels qui tenaient le marché ne l’ont pas vraiment redynamisé. Ils ne l’ont pas vraiment boosté. Alors, ils ont fait des profits et tant mieux pour eux, ils ont des entreprises qui marchent mais ils n’ont pas réalimenté la pompe, ils ont attendu qu’elle s’arrête. Et malheureusement, ça s’est passé comme ça. »
Grégoire Pinto
Et puis après, tu n’avais pas vraiment de compétition. Ce n’était pas vraiment un sport, c’était plus une mode. Et nous, c’est ça qu’on a essayé de changer. Et je pense que nous avons réussi à le faire : passer d’un effet de mode à un sport où il y a des athlètes qui s’entraînent, il y a des profs, des clubs, un vrai écosystème solide, de vraies bases qui permettent de gérer cela sur le long terme.
Comment était le marché du roller auparavant Grégoire Pinto ?
Grégoire Pinto : Il y avait le marché fitness avec les randos et puis le marché junior… et c’est tout. Il n’y avait pas vraiment d’autres choses. Donc avec des marques comme Powerslide également, il faut quand même leur attribuer cela, nous avons fait évoluer le marché. Depuis ces années-là, les grosses entreprises sont parties, le marché maintenant appartient essentiellement aux riders.
« C’est une différence fondamentale, nous sommes des entrepreneurs. Nous essayons d’avoir une entreprise qui marche mais nous sommes avant tout des pratiquants passionnés. Ainsi, noms sommes concernés par le bien-être de notre marché et nous faisons tout ce que nous pouvons pour le dynamiser et pour le pérenniser. »
Grégoire Pinto
Le marché, en réalité, c’est de faire en sorte que les gens roulent. Nous c’est ça notre credo : faire rouler les gens. Comme je le disais tout à l’heure, même si je roule moins, j’ai cette satisfaction personnelle de faire en sorte que les gens roulent bien. Car le marché, si tu fais rien pour le soutenir, tu passes par toutes les phases que tu apprends à l’école : lancement, croissance, maturité, déclin. Au bout d’un moment, si tu ne fais rien, ça se pète la gueule.
Comment expliques-tu la chute du marché au début des années 2000 ?
Grégoire Pinto : Quelque part c’est normal. Alors oui c’est dommage car cela a été hyper brutal. Cela a fait mal à beaucoup de monde. Le marché n’était pas forcément solide, avec des gens qui n’étaient pas suffisamment expérimentés. Beaucoup d’entrepreneurs ont ouvert des shops de roller mais ils ne savaient pas forcément comment marchait ce business. Ils ont fait des erreurs.
Et puis ensuite, il y a eu un effet dominos, des effets de chaîne. Au final, le marché a saturé. Quelqu’un commence à baisser le prix pour vendre son stock. Puis un autre le baisse encore plus, cela réduit les marges. En parallèle, les marques n’essaient plus d’améliorer leurs produits, mais essaient de produire moins cher. Et puis du coup, les patins baissent en qualité et ne sont pas confortables. Les clients achètent leur paire une fois, ils roulent une fois, ils arrêtent de rouler parce que c’est pas confortable, parce qu’ils tombent, parce qu’ils n’arrivent pas à rouler et c’est normal. Quelque part, rétrospectivement, c’était pas une surprise en fait. Évidemment, cela aurait été dur à anticiper et personne le l’a fait. Mais si tu regardes à posteriori, cela a du sens en fait.
Comment vois-tu le marché aujourd’hui Grégoire Pinto ?
Quelque part, ça a donné une chose bien : aujourd’hui, les riders tiennent l’industrie. Ainsi, je pense que nous n’avons pas fait les mêmes erreurs. Même s’il y a eu un gros boom du roller avec le COVID19, mais aussi d’autres sports outdoors, le marché reste difficile.
Là, nous sommes le 29 mars 2023, le marché il est difficile. En effet, il y a eu des effets de chaînes et une saturation du marché. Mais il y a quand même une différence qui est quand même fondamentale à mon avis : C’est que nous sommes concernés par apporter des nouvelles choses et continuer d’innover. Nous voulons continuer de faire rouler les gens. Nous ne voulons pas juste « trasher » le marché et faire moins cher ou encore vendre à Gosport pour écouler les stocks sur des sites de ventes privées.
Peux-tu nous expliquer comment tu es passé de « Je roule avec Sébastien Laffargue » à « je m’associe avec Seb et on monte notre business » ?
Grégoire Pinto : Avec Seb, nous roulions beaucoup avant tout cela. Nous nous connaissions déjà, toi Walid, et Alex. Avec Seb nous avions déjà vadrouillé aux quatre coins du monde et fait pas mal de trucs ensemble. Je me souviens que nous sommes allés à Cape Town (Afrique du Sud) pour une compétition de descente.
Je savais que je voulais être dans l’industrie et j’ai eu la chance de trouver ma voie. Lui en tant qu’athlète, il a eu une autre opportunité, c’est à dire qu’il a eu l’opportunité d’être sponsorisé. Et il a dit : » Voilà, je vais commencer à développer mes patins, mais il faut que ce soit des patins qui me conviennent sinon je ne peux pas rouler avec. »
J’étais dans l’industrie et lui a eu l’opportunité d’aller d’aller voir des fabricants. Moi je n’avais pas touché aux usines. J’avais bien quelques contacts avec les usines de Nike parce que j’étais en lien avec les commandes. Mais lui a été là-bas, en Chine. Il a visité les usines, il avait les contacts.
En parallèle, cela a été une option de faire en sorte que Seb soit une des icônes de la marque Nike pour mon projet. Tu vois, nous avions déjà cette idée de collaboration. Ainsi, nous avions déjà des projets communs potentiellement. Au début, je me souviens qu’il voulait même que je sois son agent. Nous avions déjà une ambition. D’autre part, avec Olivier Pinero, nous avions déjà créé une association et organisé des événements. Lui aussi vivotait du roller. Quand il y avait des castings, il était là. C’était souvent Seb et moi qui étions pris sur les tournages.
J’ai essayé de le rabattre chez Nike, ça n’a pas vraiment marché parce que lui il a eu l’opportunité de produire son modèle. Donc en parallèle, finalement je me suis retrouvé à vendre des produits chez Nike, lui il était déjà en train de lancer son projet. Les choses ont bien concordées.

Grégoire Pinto, quand as-tu finalement rejoint Sébastien Laffargue ?
En gros, lui a fini de développer son patin en 2005. Et Nike avait fini à peu près fini de vendre les patins en stock à cette période. Et c’était plus ou moins clair que le projet Nike allait s’arrêter à plus ou moins long terme. J’avais donc regardé et eu des contacts pour continuer à bosser chez Nike France. J’avais cette opportunité là. Mais en réalité, Seb m’a débauché. Il a vu que j’étais un peu le catalyseur dont il avait besoin pour Universkate. C’est pourquoi nous nous sommes mis d’accord. Je lui ai dit :
« Ok, je veux bien venir, mais il faut qu’on soit associés, qu’on soit partenaire. Donc oui c’était lui l’icône, le fondateur d’Universkate. Mais en même temps, j’étais le catalyseur. On a toujours fait une bonne équipe. »
Grégoire Pinto à Sébastien Laffargue
Quand on allait sur les championnats de France de slalom, on faisait les championnats de slalom en double. Tout ce qu’on avait fait ensemble, on l’avait bien fait. Ça avait toujours bien marché. On se connaissait, on savait tous les deux qui on avait en face. Il m’a simplement débauché. Il m’a dit, viens chez Universkat, on va faire un truc. Et puis moi, à l’époque, je rentrais d’Allemagne, je n’avais pas d’impératifs familiaux.
Comment ont réagi tes contact chez Nike ?
Grégoire Pinto : J’avais un peu d’argent comme j’avais un peu économisé avec Nike. Je pouvais donc me permettre d’investir. J’avais d’ailleurs parlé de ce projet avec mes potes de chez Nike. Je me posais la question, : qu’est-ce que je vais faire dans ma vie ? Est-ce que je continue chez Nike ? Est-ce que je me mets mon à compte ? Et c’est Monika Maier qui m’avait donné un bon conseil. Elle m’a dit : » écoute t’as rien à perdre c’est le moment de le faire. T’as pas d’enfant, t’as pas de famille, t’as pas de charge, t’as rien qui t’en empêche. »
C’est comme cela que e me suis associé avec Seb pour Universkate. C’était le tout début mais je crois que Seb avait déjà lancé une production avant que j’arrive, je pense que je suis arrivé pour la deuxième production. A l’époque, il était encore chez sa mère, il y avait des cartons plein le salon, c’était freestyle. Je suis arrivé en 2006. Je venais travailler chez sa mère, dans la chambre de Seb. Évidemment, je venais le matin et puis on faisait des heures, des journées à bosser sur l’ordi. Le soir, on allait rouler. On faisait de la promo. On tournait des vidéos.
Et puis vous êtes passés à la vitesse supérieure…
Lui faisait déjà des trucs. Et on a lancé la machine comme ça jusqu’à ce qu’on ait suffisamment d’argent pour louer un local. En 2007, je crois. On a eu un stagiaire qui s’appelait J.E. Chapartégui, qui après a fait du roller foot aussi. C’est lui qui nous avait aidé à trouver nos premiers locaux. Nous avions 60 m², on était les rois du monde ! Nous avions notre stock et nous faisions venir nos premiers containers. C’était parti. Mais grâce à Nike, j’avais un peu le bage pour créer une structure de prix, pour faire des produits cohérents. Et Seb était en bons termes avec l’usine qui avait bien compris le potentiel du truc. A l’époque évidemment c’était à peine une niche, mais c’était quand même quelque chose.
Puis, les choses se sont bien combinées, avec un bon timing, ça s’est bien fait. Je ne regrette pas puisque ça fait depuis 2005-2006 qu’on en est là, ça fait presque 20 ans d’Universkate. Donc c’était le bon choix.
Oui effectivement, j’ai testé votre première paire qui s’appelait Universkate, en 2004 ou 2005, dans ces eaux là…
Grégoire Pinto : Je me rappelle Seb qui était parti avec un des premiers prototypes. J’étais un jour par hasard chez Hawaii Surf et il était venu voir Eric avec une des premières paires. Eric Gros a été là depuis le début. Il a été un des premiers à nous soutenir. Il y a eu aussi Olivier Husson, de Nomade Shop. Voilà, les Français ont quand même bien joué le jeu. Il y a eu quelques Italiens aussi qui étaient là depuis le début. En Espagne, il y avait Inercia aussi, avec Matthias. Le fait qu’il y ait ce genre de produit là, ça a aussi poussé un peu quelques riders à devenir entrepreneurs, à monter leur propre shop, à faire un peu de distribution.
Donc on a créé un écosystème en fait. Et puis petit à petit; ça a grossi évidemment.
» Nous avons tout réinvesti, on gagnait que dalle. Quand je suis parti de chez Nike, pour Universkate, on a travaillé comme des dingues. On travaillait tous les weekends, tous les jours, toutes les semaines, pendant des années, on n’a fait que ça. Et pour une bouchée de pain. »
Grégoire Pinto
Puis vous êtes enfin devenus plus rentables…
Heureusement, j’avais un peu des réserves, Seb aussi. Et petit à petit, on a commencé à pouvoir se payer un peu. Mais on a tout réinvesti. A chaque fois qu’on a acheté un container, on le prévendait. Et puis avec l’argent qu’on récoltait, on en rachetait un autre et puis un autre et puis un autre. Il a fallu réinvestir à fond et puis voyager; faire la promo, etc. Donc ça a été beaucoup de travail mais ce n’était pas du travail parce qu’on adorait ce qu’on faisait.
Walid : A l’époque de Flaneurz, je vous ai toujours considérés comme nos grands frères et d’ailleurs vous nous avez beaucoup aidés aussi. Vous étiez ceux qui avaient réussi, les seuls du roller que je connaisse qui ont vraiment réussi à faire une marque…
Oui, nous avons eu de la réussite. Mais il faut mentionner la génération de Toto Ghali ou encore Vince Izaak, et évidemment Eric Gros qui ont quand même fait beaucoup de développement de produits. Il y a aussi eu Templar qui a fait de bonnes choses. Et après, effectivement, Flaneurz.
Et quand tu vois la révolution que Flaneurz a pu apporter aussi, parce que nous aussi on a un peu révolutionné le marché. On n’a pas révolutionné nécessairement le business à proprement parler, même si on a apporté beaucoup de choses. Voir comment les riders tiennent l’industrie. La French Connection avec Flaneurz, Toto, Vince… On a quand même une part importante dans l’industrie du roller, donc ça fait quand même ça fait plaisir de faire partie de ça.
Effectivement le souvenir que j’ai de vos débuts, c’est une marque de riders faite par des riders. Et ça à l’époque ça détonnait un petit peu parce que finalement vous n’étiez pas si nombreux. C’était plutôt des grands groupes de ski type Rossignol, Salomon. Je me souviens qu’il y avait Head par exemple dans le tennis qui avait investi dans le roller. Donc de grands groupes et pas des gens qui avaient cette culture du roller. Et vous vous faites un peu partie des premiers qui ont cette culture là…
Grégoire Pinto : Oui et ça c’est aussi peut-être lié à la culture de la descente. On partage pas mal de choses avec la culture skate et c’est vrai qu’on a peut-être indirectement été influencé par cela. Ou en tout cas on a vu un peu que dans l’industrie du skate, c’était les skateboarders qui tenaient le business.
Et c’est vrai que moi je me suis souvent posé la question du pourquoi. Je pense que le roller était plus jeune. Il a fallu une certaine maturité du marché du roller pour que les riders puissent prendre leur place. Au début ce ne sont pas forcément les riders qui vont pouvoir faire quelque chose. Il faut forcément quelqu’un qui a des moyens financiers, une ambition pour pour lancer un truc.
Cela n’aurait pas été pareil pour nous s’il n’y avait pas eu déjà quelque chose. Il a fallu Rollerblade pour lancer un peu le marché. Mais du coup, ça a généré d’autres géants. Et puis il a fallu qu’il y ait une dégringolade pour un peu faire de la place. Je me souviens que quand Salomon est parti et que nous sommes arrivés, nous étions souvent assimilés à eux, notamment dans le freeskate.
» C’est vrai qu’on nous a souvent pris pour le nouveau Salomon. Et c’est vrai que les gens qui cherchaient du Salomon, il n’y avait plus de Salomon, ils sont souvent venus vers nous. C’était une espèce de chance. »
Grégoire Pinto
Oui, le timing était bon, mais en même temps, ce sont les choses de la vie. Vous arrivez quand même dans un contexte qui n’était pas si évident que ça.
C’était en période de repli du marché complet. On n’a pas arrêté de nous dire que c’était impossible.
C’est le truc classique des startups en fait. Les startups qui marchent super bien sont souvent celles qui se montent dans les crises et qui performent. C’est parce qu’elles sont menées par des gens qui sont créatifs et qui savent comment naviguer dans le marché.
Grégoire Pinto : Après ça, c’est l’expérience un peu de Seb et la mienne. Mais je me souviens que Seb a créé beaucoup de choses, notamment des figures de roller. Par exemple les wheelings, tu vois à l’époque, si tu voulais faire un wheeling sur 20 plots en slalom, tout le monde te disait : » Mais non mais c’est impossible ! « . Et alors le faire en wheeling arrière : « Mais non, mais personne ne va jamais réussir à faire le wheeling arrière, c’est impossible ! « … Et Seb y arrive. Il pète le wheeling arrière direct ! Seb a cette force de se dire : » Ok bon, les autres ils n’y arrivent pas, moi je m’en fous je le fais. »
Je partage cela également : les autres ils font ce qu’ils font, moi je fais mon truc, je m’en fous. Nous avons confiance en nous et nous pensons que nous pouvons y arriver. Et si j’aime ce que je fais, je le fais bien. Quand je suis parti chez Nike, j’ai su que si je faisais quelque chose qui me plaisait, je le ferai bien. Cela s’est confirmé. J’ai pu avoir cet accomplissement personnel et Seb aussi.
Vous aviez aussi des produits différenciants quand même par rapport aux autres, Grégoire Pinto…
Oui, nous avions notre histoire. Et nous n’avons pas tout fait d’un coup, c’est plutôt une continuité, une chose logique pour nous. Et puis quand tu fais bien les choses ça marche, il n’y a pas de secret.
J’ai des souvenirs de ma période de street dans les années 1990, les streeters montaient des marques de rollers, de roues ou encore de fringues… mais certainement que c’était pas le bon moment. De plus, ils devaient gérer ça n’importe comment, sans doute parce qu’ils étaient trop jeunes…
Ouais. Mais ça n’a pas marché. Après, j’ai eu la chance d’avoir l’expérience de Nike et Seb avait aussi des atouts, et c’est ce qu’il fallait. On s’est bien trouvé. On avait la même ambition, la même volonté.
Si maintenant on regarde un peu, non pas derrière nous mais devant nous, comment est-ce que tu vois l’évolution du roller dans les années futures Grégoire Pinto ?
En ce moment c’est dur à dire. En tout cas, en ce qui nous concerne, nous avons une recette notamment par l’innovation. Nous avons beaucoup été copiés à l’époque avec Universkate. Même quand nous étions sponsorisés par Tecnica, nous leur disions : » Il faut mettre un slider ici, un pad ici, il faut ci, il faut ça… » Et eux répondaient : » Ah non, c’est impossible, ça marche pas comme ça, on peut pas faire ça… » . Et finalement, avec Universkate, nous l’avons fait et les autres l’ont fait dans la foulée.
» On a eu des marques qui faisaient une copie conforme de nos patins ! Enfin, ils essayaient en tout cas. Sauf qu’ils veulent faire moins cher donc ils font de la merde. »
Grégoire Pinto
Nous en tout cas, une des réponses pour continuer de nous développer est d’avoir des bons produits. Déjà c’est la première chose : si tu fais des bons produits, a priori, les gens vont en vouloir. Ensuite, l’effet de mode est important, surtout aujourd’hui avec les réseaux sociaux.
Encore une fois, nous avons beaucoup travaillé sur les piliers, on a la structure fondamentale. Nous avons des partenariats avec la fédération pour donner des cours, les clubs. Nous essayons aussi de pérenniser des circuits de compétition et de promouvoir notre sport.
Si tu regardes Universskate, je pense que nous pouvons être considérés comme des leaders en termes d’innovation. Nous avons une certaine place en termes de marché du roller, même si nous restons une petite entreprise par rapport à d’autres sur le marché.
De mémoire, le marché du roller est estimé par Decathlon a plus 6 milliards d’Euros par an sur le monde entier, en incluant les protections et le matos de protection…
Evidemment, nous en sommes très loin, nous restons sur une niche. Et je pense que rollerblade aujourd’hui est probablement 40 à 50 fois plus gros que nous. Mais même Powerslide, tu vois on est des acteurs majeurs, mais quel marché du roller on représente ? Tu parlais tout à l’heure de Head : quand j’ai quitté Nike, j’ai négocié pour pour devenir agent de Head. Donc en 2006-2007, en parallèle, puisqu’Universkate a vendu Seba, en parallèle nous avons toujours été un distributeur multimarques. Depuis le début on a toujours vendu les rou Giro, aujourd’hui on distribue Themskate, etc.
J’avais plus de mal à vendre les rollers Head que les rollers Seba ou Universkate à l’époque. Le marché Head s’est effondré, il est tombé clairement. D’ailleurs il n’y a plus de rollers Head à l’époque. Il n’y en a plus maintenant, mais Universkate on est toujours là.
C’est pareil pour les marques de skate. Peut-être que le skateboard est complètement tombé, il y a eu des gros boums et après des gros bam. Mais il y a quand même des marques qui tiennent. L’idée reste d’avoir quand même des entreprises qui sont pérennes et qui continuent d’innover. Elles doivent aussi continuer de faire vivre le sport le marché du roller.
Comment le marché va évoluer selon toi Grégoire Pinto ?
J’ai pas la réponse. Ce que je peux dire, c’est que nous essayons de continuer à faire les choses bien, d’amener de l’innovation, de sponsoriser, de dynamiser, de faire vivre notre passion aux autres et de partager. J’ai toujours vendu comme ça. J’essaie de faire en sorte que les patineurs puissent acheter des bons produits, qu’ils puissent s’amuser, s’exprimer, se trouver et vivre un peu ce que nous avons vécu en tant que riders.
Après il y aura peut-être des innovations comme Flaneurz, qui a pu être un « game changer », comme le roller électrique par exemple. Donc il y a peut-être des choses qui arriveront avec plus ou moins de réussite. J’en sais rien. Mais en tout cas, en ce qui nous concerne, nous continuons de travailler, de pousser, de dynamiser.
Le marché est ce qu’il est. Nous avons toujours été en décalage. J’espère que ça continuera bien, il n’y a pas de raison.

Et comment vois-tu ce retour du quad et cette nouvelle population qui arrive et qui se met au roller ?
Très bien, franchement c’est super cool, c’est ce qui s’est passé, il y a eu beaucoup de choses bien, il y a Moxi qui a fait des choses vachement bien également. Vous avez aussi fait beaucoup avec Flaneurz. Nous, avec Luminous, avons quand même apporté aussi un produit qui permet d’appréhender les roues lumineuses avec une autre dimension. Quand tu roules avec des lumières, tu es vu, et il y a donc un aspect sécuritaire. De plus, les gens te regardent.
Et le quad c’est pareil. Il a bénéficié de cet effet de mode. C’est très bien qu’il soit là, je trouve. Et comme je l’ai dit au tout début, pour moi; il n’y a pas de distinction, que tu fasses du quad, du inline, du 3 roues, 4 ou 5 roues, c’est la même chose. Peu importe la pratique. Peut être que demain un pratiquant de quad aura envie ou besoin d’acheter une paire de inline pour aller plus vite pour se déplacer.
Grégoire Pinto, c’est le moment de notre tribune libre. Quel message as-tu envie de faire passer aux auditrices et aux auditeurs de Balado Roller ?
Je vais essayer de faire simple. Tout d’abord, je voulais mettre le roller en général en avant. En effet, je trouve qu’on a de la chance de tous faire partie de ce milieu-là. Nous sommes tous impliqués d’une manière ou d’une autre. Il y a beaucoup de gens qui peuvent profiter un peu de notre travail collectif. Même de ce que vous faites.
C’est difficile de remercier une personne ou une autre. Donc je pense juste qu’on a de la chance de faire partie de cette communauté-là, qu’on continue tous à faire tourner la roue. Continuons tous de mettre un peu la main ou le pied dans les rollers, plus exactement, pour essayer de partager notre passion. Je pense que tout le monde se reconnaîtra un peu là-dedans. J’espère. Et comme ça j’oublie personne.
Merci beaucoup Grégoire Pinto. Après avoir interviewé Sébastien Laffargue, nous avons ainsi les deux faces de la pièce de l’histoire d’Universkate. C’est très cool d’avoir les deux points de vue et d’appréhender votre complémentarité.
Pour aller plus loin
Franck Andersen
7 mai 2023 at 17 h 26 min