Podcast : de Francis à Tom Shanon (2/2)
Second volet du podcast consacré à l’histoire de Francis. Dans ce deuxième épisode nous découvrons comment il a développé le personnage de Tom Shanon et comment il a fait de sa passion un véritable métier...
Par Walid NOUH

Second épisode du podcast consacré à Francis alias Tom Shanon. Si vous n’avez pas encore écouté le premier épisode, nous vous conseillons fortement de le faire avant de commencer cette seconde partie. Francis est un patineur de rue très talentueux qui a patiné dans les années 1980 et début des années 1990. Il a apporté une grande contribution à l’essor du roller acrobatique et à sa reconnaissance au niveau fédéral. Par la suite, il a totalement bifurqué pour devenir un artiste de music-hall renommé. Et c’est cette aventure incroyable que nous allons évoquer dans ce second épisode…
Francis, tu décides de t’orienter vers le spectacle. Mais au départ t’y connais rien. Donc tu passes par toute une phase d’apprentissage. Je suppose qu’au départ tu tâtonnes ?
D’abord il faut comprendre le contexte de l’époque. Et ça c’est vraiment très important. D’ailleurs cela pourrait aider quelques patineurs qui voudraient se lancer dans le spectacle. Là il y a tellement de choses à dire, mais je vais essayer de synthétiser.
Il n’y avait pas de modèle économique. C’est-à-dire que je me lançais. C’était une vraie aventure. Je ne savais même pas le nom de mon métier. D’ailleurs, je ne savais même pas comment on appelait le métier que j’allais faire. Je ne savais pas encore ce que j’allais faire sur scène. Ni si ce serait sur scène ou en dehors, si c’était dans un théâtre.
Je savais juste que j’avais du talent, que les gens reconnaissaient que je faisais du saut, du salom, de la danse. Oui, de la danse. Bon, je faisais des pirouettes. Est-ce que c’est de la danse, faire des pirouettes ? Je ne me suis jamais considéré comme danseur, mais bon, j’apprenais très vite.
Et il n’y avait pas de modèle économique. Il n’y avait pas internet non plus. Donc tout ce que tu faisais, tu devais l’imaginer, tu devais innover… Autre chose, qui est très très important à comprendre, et ça qui peut justement aider les autres patineurs, c’est que j’ai compris que rester, ou même revenir dans le milieu du roller, ça allait m’être, on va dire, pas toxique, mais c’est un paradigme.

Peux-tu nous expliquer cela, Tom Shanon ?
Les patineurs avaient leurs codes, leur langage, leur manière de parler. Et j’avais du mal à m’en détacher. À chaque fois que je revenais avec eux, je retombais dedans. Et j’avais compris qu’il fallait que je m’en aille.
De plus, il y avait aussi un autre problème : les patineurs de la rue, que ce soit du saut ou du slalom… Et j’ai mis un mot là-dessus. En fait j’ai inventé un terme qui a déjà été repris d’ailleurs dans le marketing. J’ai écrit un article à ce sujet et puis j’ai vu sur internet que des marketeurs ont pris ce terme, c’est le « syndrome de l’expert« .
Alors qu’est-ce que c’est que ce syndrome de l’expert, Tom Shanon ?
Les patineurs de la rue avaient le syndrome de l’expert. Mais d’autres, ça peut être un informaticien, ça peut être n’importe qui, tous les corps de métier sont touchés. C’est quoi ? C’est croire que tu es bon techniquement, que tu améliores ta technique et que ça suffira. Mais c’est une grave erreur, surtout si tu vas dans le spectacle.
Ce n’est pas la technique qui compte? Après tu vas me demander ce qui compte. En tout cas, dans mon métier, c’est l’émotion.
Par exemple, je me rappelle très bien quand je faisais du saut avec Hom au 340. On inventait des noms de figures et on faisait des sauts. Alors il y avait le sac à dos, après le sac à dos, il y avait le sac à dos catch, puis après on savait plus quoi catcher, alors on catchait les roues, et pourquoi pas on catcherait la roue extérieure avant ?
C’est ça le syndrome de l’expert, ça ne sert à rien. Et à chaque fois que je revenais voir des anciens patineurs, la majorité d’entre eux étaient dans le syndrome de l’expert. Mais tu le vois d’ailleurs aujourd’hui.
» Si tu vas sur Internet, ils pensent que la technique est la chose la plus importante. Or la technique n’est qu’un instrument. La technique n’est pas une fin en soi. »
Tom Shanon
Voilà. Et sachant que je voulais devenir pro dans le spectacle, que j’avais pas d’avenir dans la compétition, j’ai coupé les ponts. Je suis donc parti et je suis allé à l’armée.
Qu’as-tu fait à l’armée ?
A l’armée je m’entraînais, je ne rentrais pas chez moi ou alors une fois par mois seulement. Sinon je restais à la caserne, au gymnase, pour m’entraîner.
Et ensuite qu’as-tu fait ?
Une fois que je suis sorti de mon service militaire, j’ai réussi à trouver une cave près de chez moi. J’y ai mis au point un spectacle. Alors accroche-toi, j’ai fait des spectacles entre temps, mais j’ai mis six ans dans une cave pour mettre au point le numéro où je fais un peu d’équilibrisme, où tu places des cylindres les uns sur les autres avec une passerelle au-dessus. Et tu es en équilibre sur cette passerelle en roller. Voilà, c’est ce numéro.
Il y a 8 minutes de numéro sur scène. Et c’était très bien comme ça que je me coupe des patineurs de la rue. Parce qu’en fait, là, j’ai appris que ce n’est pas la technique qui compte. Evidemment, il y a de la technique, mais il y a aussi une manière de regarder ton public, une manière de rentrer sur scène, une courbe. Il y a la courbe de l’émotion, comment tu rentres, comment tu crées de l’émotion, comment tu sors de scène, comment tu joues de ton personnage. Et tout ça, je l’ai fait. Je commençais un petit à petit, c’était en parallèle. J’envoyais des prospectus un petit peu partout. Mais j’ai quand même mis six ans dans une cave pour que ce numéro soit vraiment au point. Et quand je dis au point, c’était vraiment un entraînement intense parce que j’étais quand même dur envers moi-même.
Il y a tout le marketing et plein d’autres choses comme la construction, la musique, le montage audio. A l’époque, il n’y avait pas beaucoup de matériel pour faire du montage. Bref, techniquement, j’arrivais le matin dans ma cave et je me disais :
» Ok, tu fais le numéro, il dure 8 minutes, tu dois le faire 10 fois de suite sans faire une erreur. A chaque fois que tu fais une erreur, tu recommences à zéro tes 10 fois de suite. »
Tom Shanon
Et tu recommençais combien de fois comme ça ?
Ça pouvait durer très longtemps. Parce que si à la 9e tentative je faisais une petite erreur, je recommençais ma série de 10 à partir de zéro. Et puis en fait c’était très bien. C’était très bien parce qu’après sur scène j’étais assez à l’aise, tellement j’avais l’habitude. Attention, t’as toujours le track. J’étais tellement préparé. Mais ça ne s’est pas fait du jour au lendemain. Les gens des fois me demandent : Mais quand est-ce que t’as commencé à monter sur scène ?
Mais ce n’était pas du jour au lendemain…
Non, j’ai commencé à faire des démonstrations dans la rue. Il y avait des mairies, des villes, même des entreprises qui me demandaient de faire des démonstrations. Voilà, ce fut progressif.
D’ailleurs, je fais une très grande différence entre démonstration et spectacle. Ce n’est pas du tout la même chose. Ça, je tiens à le préciser.
» Une démonstration, c’est une prestation technique où tu cherches à prouver que tu es fort. Un spectacle, ce n’est pas une prestation technique. La technique n’est pas une fin en soi dans un spectacle. »
Tom Shanon
C’est juste un outil pour présenter un résultat qui doit te créer de l’émotion, qui doit créer au spectateur une émotion. C’est vraiment très important qu’on comprenne bien, pour tous les patineurs qui veulent faire du spectacle, qu’on comprenne bien la différence entre une démonstration et un spectacle.
Donc là tu passes six ans à peaufiner ton spectacle, tu dis que t’envoies des prospectus un peu partout… Quelles ont été les premières réponses positives ? Comment as-tu mis le pied à l’étrier ?
Je reviens un petit peu en arrière : il n’y avait pas de modèle économique et je savais même pas quel nom portait mon métier. Et donc qu’est-ce que j’avais fait : Parce qu’à l’armée, je m’entraînais dans le gymnase, j’avais créé un numéro. Il faut que je revienne dessus parce que c’est important pour répondre à ta question.
Mon but était de m’inventer un modèle économique. Si tu fais du saut par-dessus des voitures, tu ne peux pas mettre une voiture tout le temps, tous les jours, dans un endroit où tu aurais très peu de contrats. Si je faisais du slalom, j’aurais très peu de contrats, parce que tu peux pas toujours avoir tel ou tel espace. Et puis souvent c’est en extérieur, il peut pleuvoir.
Donc il fallait que j’invente un numéro dont le modèle économique me permettrait de passer partout. Un numéro qui pouvait être présenté dehors comme dedans. Je voulais pouvoir faire mon numéro dans des théâtres par exemple, sur une petite scène comme sur une grande scène et qui soit très facilement transportable en avion.
Quelles solutions as-tu donc trouvé pour créer ton spectacle Tom Shanon ?
C’est très important que le producteur qui t’engage à l’autre bout du monde n’ait pas à payer 500 kg de bagages. Là, j’ai que 60 kg de bagages. Donc je suis très mobile. C’est un numéro passe-partout.
Qu’est-ce qui s’est passé au début ?
Une fois que j’ai compris un petit peu la tournure du modèle de mon numéro, j’ai commencé à faire des vidéos. Franchement, quand je les regarde aujourd’hui, j’ai honte parce que… Voilà, je rigole, non mais c’est vrai. C’était le début. D’ailleurs, j’avais le syndrome de l’expert. Je faisais du nunchaku en même temps, je lançais mes nunchaku. D’ailleurs, je le fais toujours.
Je lançais mes nunchaku et je les rattrapais dans le creux de la cheville. En fait, ça sert à rien. Au début, tu penses que c’est la technique qui va te servir à trouver des contrats. Hé bien, pas du tout. Mais je suis tombé dans ce piège. J’ai compris ça petit à petit. Et donc, à l’époque, c’était les Pages Jaunes. Donc j’allais à la poste, j’ouvrais les bottins, et je regardais, je cherchais des agent artistiques. On est alors en 1993.
Comment les as-tu démarchés Tom Shanon ?
Je prenais un carnet, je notais leur adresse et je leur envoyais des cassettes VHS. Mais ce qu’on ne dit pas, c’est que agent artistique, ça ne veut rien dire. Agent artistique, producteur, ça ne veut rien dire. Agent artistique de quoi ? De mannequin ? Ou encore de comédien ? De cirque ? Donc en fait, c’était juste écrit agent artistique. Et moi, je faisais une liste interminable, je faisais des copies de VHS par centaines et je les envoyais partout en France. Et c’était très dur de savoir à qui m’adresser à l’extérieur de la France. En effet, il n’y avait pas Internet, donc ça se limitait à la France. Ainsi, à plusieurs reprises, j’ai fait évoluer mon numéro. Tous les trois mois, allez j’exagère, tous les six mois, je changeais de version et je filmais une nouvelle vidéo et je renvoyais des vidéos.
Bon, je faisais quelques petites démonstrations mais qui n’étaient pas terribles pour des villes et des trucs comme ça, mais ce n’était pas très intéressant. Et un jour, alors que le téléphone ne sonnait plus depuis pas mal de temps, il sonne enfin. J’ai une secrétaire au téléphone qui me demande à parler à Tom Shanon. Je dis : » Oui, c’est moi. »
On ne l’a pas dit jusqu’à présent : Tom Shanon c’est ton nom de scène. Personne ne connaît Francis dans ce milieu là je suppose…
Voilà. Alors si on fait une petite parenthèse : parce que je voulais protéger à tout prix mes numéros, j’ai essayé de faire en sorte que les patineurs ne connaissent pas ce que je faisais. Oui, je les ai protégés en fait auprès d’un organisme. Parce qu’il faut te rendre compte que j’avais fait le pari que j’allais vivre du roller. Et j’avais pris l’habitude aussi de voir tous les copains. Moi j’ai fait pareil, je regardais les grands et je les copiais.
Je regardais les meilleurs que moi et je copiais les meilleurs que moi. Et un jour j’étais meilleur que les autres. En patin, dans la rue, un jour je voyais les enfants ou les plus grands, qui me copiaient. Mais ça c’est normal. Mais à partir du moment où je me suis dit : « Je vais vivre du roller, le roller va remplir mon frigo… J’avais plus d’ambition que ça mais je vais vivre du roller, je vais innover et inventer des trucs. A partir de ce moment-là, j’ai tout fait pour me couper du monde du roller et cacher mes vidéos. J’avais très peur de me faire copier parce que j’avais inventé des trucs. Voilà, maintenant je suis tranquille parce que je suis passé à une autre émission.
Donc là, le téléphone sonne, on revient là-dessus….
Voilà, le téléphone sonne et il y a un agent qui m’appelle, c’est sa secrétaire qui me demande. Elle me dit : « Je suis l’agent exclusif du Moulin Rouge. Mais moi je ne comprenais pas parce que j’étais encore dans la rue, dans ma tête. Mes références étaient les démonstrations pour les villes. Et elle me dit :
» Je suis Carmen Bajot, agent exclusif du Moulin Rouge. »
Mais je me rendais pas compte de ce que cela voulait dire. Après, avec le recul, quand je parlais avec mes collègues, ils me disaient : » Waouh ! Tu ne t’es pas rendu compte de ce que ça veut dire ! » Je pourrais te dire plus tard. Et donc Carmen Bajot me dit : » Ecoutez, je veux vous voir le plus vite possible, je vais vous voir demain si vous pouvez. »
Tom Shanon : « Oui, je peux venir demain. »
Elle était sur Paris. Je vais dans son bureau. Et là je vois qu’elle était l’agent numéro 1 dans le monde, que ce soit à Broadway, aux Etats-Unis, à Las Vegas. Mais en plus, elle avait l’exclusivité du Moulin Rouge. Je rentre dans son bureau et là je change totalement de paradigme. C’est à dire d’univers, de contexte. Je vois sur les murs des théâtres de variété, des casinos, des tableaux de casinos, Las Vegas, Broadway, le Moulin Rouge, le Lido.
Alors, comment cela s’est passé avec Carmen Bajot ?
Tu vois, c’est totalement quelque chose de différent de ce que je connaissais avant. Et elle me dit :
« Ecoutez Tom vous avez un potentiel, mais il y a beaucoup de choses que vous devez changer. »
Carmen Bajot à Tom Shanon
Et c’est vrai qu’elle avait raison. Donc, elle m’a dit : « On va regarder votre vidéo ensemble celle que vous m’avez envoyé et je vais vous dire tout ce qui va pas. Et revenez me voir quand vous aurez fait les changements. »
Il faut à peu près trois mois pour retravailler un numéro. Ce n’est pas facile de changer vite un numéro. Je dirais même trois mois voire six mois. Sans parler des costumes et du reste.
Nous regardons donc la vidéo ensemble et elle me dit que je présenterais 20 minutes de numéro tout seul. Si tu es patineur de la route, tu ne comprends pas ce que ça veut dire, mais c’est trop ! On ne fait pas 20 minutes de numéro seul sur scène. Un numéro visuel, donc.
Qu’est-ce que c’est qu’un numéro visuel Tom Shanon ?
Je suis artiste visuel. C’est entre quatre minutes et neuf minutes. Au-delà c’est trop. Nous sommes engagés pour impacter. Quand on nous engage, on ne peut pas faire 20 minutes. Et donc j’ai regardé avec elle la vidéo. Elle me disait :
» Bon, ça c’est bien, ça vous enlevez, ça c’est bien, c’est trop long, ça c’est ça bien… »
Carmen Bajot à Tom Shanon
Je faisais des trucs de fou. Mais je me rends compte que ça ne servait à rien. Je demandais à un assistant de venir avec une raquette et une balle de ping-pong. Et puis moi je montais sur mes rouleaux. Ensuite, je lui disais de jongler avec la balle de ping-pong, de se rapprocher et pouf, je tapais sur la balle de ping-pong, je lui mettais une cigarette sur la tête, puis je cassais la cigarette sur sa tête avec mon nunchaku. Mais j’étais sur mes rouleaux j’étais perché sur mes rouleaux. Elle me disait : « ça sert à rien ».
Je ne comprenais pas pourquoi ça servait à rien. Je lui disais mais bon elle m’a permis d’épurer mon numéro. Ce qu’lle m’a surtout permis de comprendre, c’est ce changement d’univers. Et là j’ai compris que j’allais dans un autre domaine.
Tom Shanon, tu refais plus ou moins ton numéro ou tu le raccourcis ? Tu le réduis ?
Ouais, je n’arrêtais pas de le changer, quasiment à chaque fois. Parce que j’allais quand même sur scène. Elle croyait tellement en moi… Ah oui, ce que j’ai oublié de vous dire c’est qu’elle me disait :
» Je vais tout faire pour que tu sois au Moulin Rouge, mais là actuellement tu ne peux pas, tu n’as pas le niveau. »
Carmen Bajot à Tom Shanon
Et elle m’a donné tellement de motivation ! C’était une lumière qui s’éclairait, je voyais enfin là où j’allais aller. Je voyais enfin un modèle économique se dessiner. Et donc, elle m’envoyait de temps en temps en Italie pour me rôder, à gauche à droite. Et à chaque fois que je revenais en France, je faisais des changements, des adaptations. Jusqu’au jour où elle m’a dit :
» Bon là je pense que t’es prêt, je t’emmène au Moulin Rouge ! »
Carmen Bajot à Tom Shanon
Et voilà ! Vraiment elle a cru en moi et pourtant je venais de vraiment très très loin.
Ton vrai premier gros contrat c’est donc le Moulin Rouge ?
Non, ce n’est pas le Moulin Rouge.
Alors pourquoi le Moulin Rouge est-il si important Tom Shanon ?
En fait, je ne comprenais pas, au début surtout, quand la secrétaire m’a appelé et qu’elle me disait qu’elle était la secrétaire de Carmen Bajot, je comprenais pas ce que cela voulait dire. Mais en fait, quand tu parles avec les artistes d’aujourd’hui… Pas de la génération actuelle. Aujourd’hui ils ne savent pas ce que le spectacle a changé. Mais en 1990 ou 2000, il faut savoir que dans le monde il y avait trois ou quatre spots qui rayonnaient.
En France, en fait, il n’y avait rien d’intéressant. Là où c’était vraiment intéressant, c’était en Allemagne. Tu as beaucoup de thèmes de variété. C’est génial de travailler en Allemagne : les salaires sont super. C’est déjà pas mal. Après, tu as Broadway, Las Vegas… Et tout en haut, alors qu’il n’y a rien en France, tu as, pour les agents artistiques, je te parle bien, de référence, tu as le Lido et le Moulin Rouge. Mais moi je ne réalisais pas en fait. Maintenant, je comprends. Parce qu’en fait, tu n’as que trois places au Moulin Rouge, tu n’as que trois artistes visuels, mais tous les artistes du monde se battent pour y aller. Tu as les magiciens, les artistes du cirque, les jongleurs, les acrobates, les contorsionnistes.
Donc tu n’en mesurais pas la portée…
Non, je ne savais pas que le Moulin Rouge était tellement important pour un CV. Et voilà pourquoi je parle du Moulin Rouge. Et dans le milieu, dès que tu dis « le Moulin Rouge », tout était tout de suite compris. Notamment par les professionnels, les agents, les producteurs. Tu n’avais plus à prouver que tu étais un bon artiste. C’était un véritable tremplin. Ça m’a beaucoup aidé, ça m’a ouvert énormément de portes.
Mais maintenant, la nouvelle génération ne comprend pas ça, parce que les choses ont changé. Maintenant, tout le monde veut être influenceur, veut travailler au ciel et au soleil. Tu vois c’est vraiment très différent. Mais des années 1950 et même avant, jusqu’aux années 2000, 2005, 2010, c’était comme ça que ça se passait. Tu disais que tu faisais tel ou tel contrat et on comprenait tout de suite ton niveau. Là tu comprends qu’en fait ton métier est viable et que tu peux vraiment gagner ta vie avec.
Et donc pour donner un peu une idée aux auditrices et aux auditeurs, dans quels types de lieu tu as joué ton spectacle ? Devant quel public ?
Cela dépend des continents et des pays. En Allemagne. J’adore l’Allemagne. J’adore leur mentalité pour travailler. En Allemagne, ce sont les théâtres de variété.
Alors qu’est-ce que c’est un théâtre de variété, Tom Shanon ?
Déjà, c’est un dîner spectacle où les gens viennent comme à l’opéra. Ils viennent bien habillés et dînent, mangent et boivent près de la scène. Il y a des artistes visuels comme dans l’émission de Patrick Sébastien : » Le plus grand cabaret du monde ». Certains trouveront ça un peu ringard.
Et bien en Allemagne, c’est très culturel en fait. Cela n’existe pas en France, mais en Allemagne, on appelle ça des théâtres de variété. C’est comme ici en France avec le cinéma : les gens viennent voir des artistes visuels sur scène. Tu as des magiciens, mais aussi des artistes de cirque qui font en même temps du cabaret. Il est parfois paossible de passer du cirque au cabaret, en fonction de l’adaptation de son numéro. Après tu as les casinos.
Tu as donc aussi travaillé dans des casinos ?
Oui, j’ai travaillé par exemple à côté de Hong Kong, à Macao. Le casino qui s’appelle le Grand Lisboa. C’est un casino fantastique. Et donc là, il y a une scène avec des danseuses, c’est un spectacle. Je travaillais deux fois par jour. Travailler plus que deux fois par jour, c’est beaucoup. Même si tu restes huit minutes sur scène, c’est fatigant.
J’ai aussi fait beaucoup de croisières. Sur de gros bateaux où tu as 5.000 passagers, avec des théâtres qui accueillent 2.000 personnes.
Et donc, comme il y a deux séances par jour, il y a une séance à 20 heures et une seconde séance à 22 heures. Au spectacle de 20 heures, il y a 2 000 personnes qui viennent te voir pendant que l’autre moitié des passagers, les autres 2000, vont dîner. Pendant qu’ils dînent, la première moitié regarde le spectacle. Une fois que le spectacle est terminé, ils se croisent et ceux qui ont fini de dîner viennent regarder le spectacle et ceux qui n’ont pas dîné vont dîner. Ça c’est les croisières, c’est intéressant.
Alors bon, moi je voulais arrêter les croisières. Puis j’ai eu mon enfant qui est né. Et j’ai donc décidé de moins partir parce que je partais quasiment dix mois par an. Je partais tout le temps à l’étranger.

Tom Shanon, j’allais te demander la durée moyenne de tes déplacements…
Alors ça dépend, tu as les galas, j’en ai fait beaucoup. Les galas c’est quand tu fais un contrat, tu arrives dans un endroit et tu repars le soir. Ça c’est un gala. T’as des contrats en Allemagne, c’est un mois, deux mois, voire trois mois. J’ai fait un contrat de dix mois en Allemagne qui était super. Au Fantasia Land. D’ailleurs le théâtre s’appelle le Fantissima. Ça c’était un super contrat de dix mois. Les croisières c’est six mois. Mais si tu veux prolonger ton contrat, tu restes six mois de plus. Donc tu restes un an finalement sur un bateau.
Certes tu fais le tour du monde, tu visites le monde c’est sympa, mais bon si tu as un enfant c’est compliqué. Moi, ce que j’ai décidé de faire en fait c’est : une fois que j’avais suffisamment d’argent, j’ai acheté une maison avec un atelier de création. Ainsi, cela me permettait de créer d’autres numéros. Je savais q’un jour j’allais arrêter d’être sur scène. Je me suis dit qu’il fallait que je créée des numéros pour les autres. Mais de créer des numéros qui soient réplicables, c’est-à-dire que je peux mettre entre les mains de quelqu’un d’autre. Par exemple, j’ai créé un numéro où j’ai fait un casting : j’ai pris des pilotes d’avions télécommandés, des bons pilotes.
Tu pensais donc à l’après…
Oui. Tu investis dans du matériel, dans des effets spéciaux, dans un costume. Tu regardes si ça marche, et si ça marche, tu le répliques. Une fois, deux fois, trois fois. Et tu les vois un petit peu partout. Donc, j’ai acheté une maison. Et ce qui était très important pour moi, c’était d’avoir un grand atelier pour créer, ça c’est un truc que j’apprécie beaucoup.
Est-ce qu’entre le moment où tu commences à faire des spectacles jusqu’à maintenant, ta technique ou tes compétences en roller ont évolué ? Ou est-ce que tu es arrivé avec tellement de bagage au départ qu’en fait, finalement, le roller, tu n’avais pas vraiment besoin de le travailler et que tu te concentrais sur le reste ?
Mon patinage a évolué toute ma vie. C’est incroyable, mais toute ma vie. Là maintenant, je patine. Alors petite parenthèse, je fais moins de spectacles, c’est un choix volontaire. Parce que tu pensais peut-être que je fais toujours autant de spectacles. J’en fais, mais je refuse beaucoup de spectacles parce que j’ai un autre business.
Mon patinage a évolué tout au long de ma vie. J’ai eu ma période vitesse, j’ai eu ma période saut, avec ce qu’on ressent quand on fait du saut. Ma période slalom, ma période catch. Tu te rappelles que j’ai fait du catch sur le périph’ et tout ça. Et quand j’ai créé mon spectacle, je me contentais de mes acquis et donc dans cette cave je me suis entraîné 6 ans. Et oui, mon patinage a évolué, ma manière de patiner. Mais petite parenthèse, je ne patine pas du tout de la même manière quand je suis sur scène que lorsque je prends mes rollers et que je vais patiner au Louvre par exemple. C’est totalement différent.
C’est la même paire de rollers que tu utilises Tom Shanon ?
Alors oui, je ne change jamais de paire de rollers. Disons que jusqu’à ce qu’elles soient usées. Ce que j’aime, c’est quand je les chausse. Et j’ai toujours la même paire de roller. Parce que ce que j’apprécie particulièrement, c’est que lorsque j’enfile mes rollers, parce que j’ai un désir irrésistible, parce qu’il fait beau, parce que c’est un beau soir d’été et que j’ai envie de patiner dans la rue, ce que j’adore c’est de les chausser et tout de suite de me sentir bien dedans. Tu vois, tout de suite. Je n’aime pas ce temps que tu mets à t’adapter. Bref, c’est comme ça. Et je garde la même paire de rollers.
Les roues je les change évidemment, ça tourne en fonction de l’usure du matériel, bien sûr. Évidemment, des paires de rollers, j’en ai eu plein. Mais si ta question c’était est-ce que j’ai la même paire de rollers sur scène que quand je patine dans la rue, oui c’est la même paire de rollers.

Il y a quelque chose qui m’interpelle beaucoup : si je prends les quelques patineurs de l’époque dont on a parlé un peu, com Hom qui est devenu maintenant un artiste très reconnu. Ou encore Philippe Dussol en termes de films, il est parti aux Etats-Unis. Si tu prends Taïg qui est quand même le premier professionnel en roller. Comment tu expliques que finalement, tous les quatre, vous ayez eu des chemins différents et vraiment très loin de cette bande du Trocadéro des années 1980 ?
Ça c’est une super question. Je ne sais pas s’il y a un lien quelconque, ce qui est lié à l’ambiance de l’époque ou tout ça. C’est une super question. Je sais pas si c’est la réponse, ça peut être un début de réponse.
Il faut bien se remettre dans le contexte de l’époque, le roller n’était pas la mode et si tu voulais faire du roller, il fallait vraiment le vouloir. Et déjà cela faisait une première étape, une première sélection naturelle. Je sais pas si tu vois ce que je veux dire. Alors attention, le volume de patineurs qu’il va y avoir dans les années futures et qu’il y a déjà d’ailleurs va augmenter, grâce à internet, grâce aux vidéos qui se partagent sur Youtube et tout ça. Mais vraiment le roller, ce n’était pas la mode. Quant à cette époque là dans les années 80, même 90, tu faisais du roller, c’était parce que t’étais un enfant, c’était presque une remarque désobligeante. Pour vraiment comprendre le contexte, je pense qu’il y avait eu une très belle émulation.
Je dois reconnaître que cette émulation a commencé au Trocadéro. Après la Défense, j’ai poursuivi un petit peu en créant ce club avec Michel Fize. Mais il y avait une très belle émulation entre tous les patineurs que tu viens de citer. Cependant, il y en avait aussi d’autres, il ne faut pas les oublier. C’est vrai, c’est incroyable qu’il y ait autant d’anciens patineurs qui se soient allés si loin et qui se soient professionnalisés.

Toi Tom Shanon, Phil Dussol et Hom, vous aviez une émulation particulière…
Quand tu voyais Phil Dussol, Taïg ou Hom… Mais moi j’étais à Saint-Germain-en-Laye, donc je ne venais pas tous les jours en tout cas, c’était vraiment que de temps en temps. Mais Hom, par exemple, déjà très très tôt, je voyais qu’il était talentueux. C’est vraiment quelqu’un qui avait du génie en lui, ça se voit tout de suite.
» Hom était mon meilleur rival, vraiment. Et je crois que j’ai appris de lui, il a appris de moi, comme on a appris de Philippe. On a tous appris ensemble et ça a créé une émulation. »
Tom Shanon
Est-ce qu’il y avait plus d’émulation avant qu’il y en a aujourd’hui ?
Est-ce qu’il y a eu plus d’émulation dans les années 2000 ou 2010, je sais pas. C’est vrai que c’est une très bonne question. Hom était un petit peu plus jeune. On s’est croisés quand il était au 340. Moi je partais et c’est vrai que je voyais dans son oeil qu’il avait compris beaucoup de choses.
Et je pense qu’il comprenait que j’avais compris beaucoup de choses. Il avait compris que je m’étais détaché. Ici aussi on avait du recul. Il y avait une mode du roller en ligne vers les années 1995, un truc comme ça. Mais il ne faut pas oublier que nous, on avait déjà beaucoup de recul. Nous, le roller n’était pas une mode. Donc je pense que quelqu’un comme Hom ou Taïg ou les autres avait suffisamment de recul pour se dire :
« Ok, ça ne doit pas s’arrêter là, c’est pas une fin en soi, le roller n’est pas une fin en soi. C’est un outil qui va nous permettre d’accomplir quelque chose dans notre vie et que ce soit la mode ou que ce soit pas la mode, ça change rien pour nous. »
Tom Shanon
Toute à l’heure tu parlais du côté visuel et des émotions, si je prends l’exemple de Philippe Dussol qui saute par dessus une voiture, enfin quatre voitures ou un hélicoptère, je pense qu’il avait très très bien compris le côté visuel et spectaculaire..Et Taïg a compris dans les premiers également, très tôt qu’il voulait faire du roller et être professionnel. C’est vachement intéressant de parler à des gens qui ont le recul et qui, quand le line arrive, avec l’argent, eux ont déjà assez de recul pour savoir.
C’est ça. Parce que je pense que Taïg, il a dû croiser, parce que lui, il avait déjà du recul. Ceux qui font de la rampe ont plutôt l’esprit du fun avant tout. C’est l’amitié avant tout. Et avec le recul qu’il avait, je comprends que sa priorité c’était de se professionnaliser.
Je comprends bien, très très bien la position de Taïg. D’ailleurs, moi, personnellement, j’aurais fait la même chose que lui, avec le recul. J’aurais pas pris le roller pour une mode.
Les gens utilisent le roller ou toute autre activité de loisir, utilisent leur discipline comme un moyen inconscient de se faire des amis. Et il y a une phrase que j’aime bien ressortir, c’est : « Y’a qui qui vient ? ».

Qu’est-ce que ça veut dire « y’a qui qui vient » pour toi Tom Shanon ?
Admettons, au Trocadéro, un patineur arrive le premier. Il n’y a personne, donc il ne patines pas. Un deuxième arrive et il demande : » il y a qui qui vient ? »
Mais on n’est pas assez nombreux, alors on ne patine toujours pas et on attend qu’il y ait assez de monde pour patiner. C’est ça l’effet » Il y a qui qui vient ? « . Mais les patineurs comme Taïg n’ont pas besoin d’attendre qu’il y ait du monde pour patiner. Et quand il y a eu la mode du roller en ligne vers 1994-1995, ces patineurs sont tombés dans la mode et ils n’avaient pas ce recul-là. Et donc pour la majorité, je pense que c’était un moyen de rencontrer d’autres patineurs et de se faire des amis. Mais ça, moi je m’en foutais, tu vois, je n’avais pas besoin d’attendre que les autres viennent.
Je pense que Taïg, ça devait certainement être la même chose pour lui. Il faudra lui demander.
Je compte bien qu’avec Alexandre, dans les mois à venir, on puisse interviewer Taïg, Hom, Philippe Dussol et d’autres…
Quand je t’ai eu au téléphone le mois dernier, tu m’avais dit : « C’est marrant Francis, mais j’ai l’impression que vous les anciens, vous ne voulez pas être interviewés. Et moi c’est vrai, je ne voulais pas être interviewé. Tu le sais bien, ça fait je ne sais pas combien de fois que tu me demandes. Et ça ne m’étonne pas. Pour certains, déjà ils n’ont peut-être pas envie de parler de ça, mais ils vont se sentir peut-être incompris parce que c’était un autre contexte. C’est vrai que j’ai beaucoup hésité à accepter cette interview.
Il y a pas mal de gens que nous avons interviewé, de Nice, de Marseille, etc. à peu près dans les mêmes années que vous, et qui parlent et qui racontent des choses un peu similaires. Donc aussi l’intérêt c’est de pouvoir un peu donner des idées de comment était le roller… Donc, Tom Shanon, tu commences à faire du music hall, tu es tout seul. Est-ce qu’il y a d’autres gens qui faisaient du music-hall en roller ?
Oui, en parallèle. Le roller en music-hall existe depuis très longtemps. La forme la plus classique remonte avant même ma naissance. Depuis peut-être 50 ans, Cela se présente sous la forme d’une table circulaire d’à peu près de 2,50 m de diamètre. Un couple y évolue avec l’homme porteur et la femme qui, avec la force centrifuge tournoie autour du porteur et ils font des figures. Ce sont souvent des familles de cirque. Alors maintenant avec internet il y a plein de gens qui copient et ce ne sont plus forcément des familles de cirque. Mais ça ça a existé depuis très longtemps.

Un gars est venu me voir, il jonglait en roller, c’était pas mal. Il faisait des téâthres de variété, dans les années 1990. Et il avait une espèce de mini rampe, mais toute petite, peut-être de 1,50 m. Il faisait des va-et-vient et il jonglait. Peut-être qu’aujourd’hui, ça doit exister, mais disons qu’il faut faire une différence entre ceux qui viennent du cirque et qui font des porter en couple. Je ne suis pas trop sûr de ce qu’il se passe sur Internet. Mais pendant plus de 25 ans, j’étais tout seul. D’ailleurs, pour te dire, le milieu est tellement petit qu’on se connaît tous, quasiment.
C’est donc un tout petit milieu que celui du music-hall en roller ou en patins à roulettes, Tom Shanon…
Oui, de temps en temps, je croise un collègue. Je le rencontre en Allemagne pour la première fois et je le croise sur un bateau ou je le croise en Asie ou je le croise en France. Donc le milieu est très petit. Et quand quelqu’un fait quelque chose de nouveau, ça se sait tout de suite dans ce milieu. On n’est pas beaucoup d’artistes professionnels qui font du music-hall.
Et malgré le fait que le milieu soit tout petit et malgré la barrière à l’entrée pour être capable de faire un spectacle, parce qu’il faut quand même des compétences de très haut niveau…
Malgré ça, j’avais quand même peur d’être copié. Je comprends très bien que des gens puissent s’inspirer de tes spectacles, mais j’ai du mal à voir comment quelqu’un qui sortirait de nulle part pourrait avoir les compétences nécessaires pour faire un truc où le niveau en roller est si élevé. D’autant plus que le numéro, quand je le fais, c’est ma personnalité qui ressort. Donc ça c’est très dur à copier. Mais c’est pas que de ça dont j’ai peur.
J’avais peur que… tu vois l’équilibre sur rouleau, qui existe déjà dans le cirque, mais personne ne le fait en roller. J’avais peur qu’en fait, des patineurs commencent à le copier et qu’ils se banalisent. C’est-à-dire que ça peut être comme le skateboard, ça peut être un jeu d’enfant, et en fait que tout le monde se mette à prendre un cylindre, une planche et à faire du roller dessus et qu’en fait ça se banalise.
Ce n’est pas le fait de dire que c’est moi qui l’ai inventé. C’est surtout le risque que ce soit banalisé. Tu sais ça va très vite une mode : tu prends un rouleau de chantier, n’importe quoi, un tube en PVC, tu mets une planche dessus, tout le monde a une planche, tu te mets en roller, pof tu lances une mode. Et j’avais très peur de ça.
Copier mon numéro dans son intégralité, c’est un peu plus difficile. Maise voulais pas prendre de risques. Et puis ce sont deux mondes différents. J’ai fait exprès aussi de m’éloigner des patineurs parce qu’à chaque fois je revenais, je retombais encore dans le syndrome de l’expert. D’ailleurs, je préfère ne même pas regarder les patineurs, je patine dans mon coin.
Pourquoi Tom Shanon ?
Parce que cela me ramène dans de mauvaises habitudes. En effet, ça me redonne des réflexes que je ne veux pas avoir.
Je fais une petite parenthèse par rapport à ton matériel : Tu roulais dans la rue, avec des Bauer et des platines Lazer. Aujourd’hui, tu roules avec quoi ?
J’ai une paire de Risport en cuir, mais simple. J’ai des platines Roll’Line Energy en titane, des roues Impulse tendres à l’avant et deux roues dures à l’arrière.
Petite anecdote, j’ai un patinage très très spécifique, mais ça aide pour faire des pirouettes assises par exemple. Quand tu fais une pirouette assise sur une jambe, ça aide. Et figure-toi que j’ai fabriqué des roues recouvertes de moquettes. Alors je t’explique le contexte. Un jour je travaille pour un cabaret, la scène était une plaque de plexiglas avec des poissons en dessous. Et le directeur ,e voulait absolument pas que je raye la scène avec mes roues. Avec les Kryptos, tu peux pas rayer la scène.
Je me dis : je vais faire en sorte de pas rayer la scène. Et donc je suis allé à cette époque, chercher dans un magasin un morceau de moquette. Et j’ai recouvert de moquette les roues dures avec du double face c’était provisoire, ça restait là. Enfin peut-être juste pour la soirée. J’ai réussi à faire mon numéro avec avec deux roues recouvertes de moquettes.
Je dois t’avouer que j’ai toujours été hyper jaloux de tes platines Roll’Line Energy, Tom Shanon… parce que j’en voulais mais le prix c’était pas dans mon budget. A l’époque c’était le top du top.
C’est pas le roller qui fait le patineur. Vraiment, il faut s’enlever ça du crâne. Je sais que toi t’es un fou des montages. Je t’ai vu combien de fois avec des rollers ! Mais tu le sais déjà, c’est pas ton matos qui fait le patineur. Ça c’est rien à voir. C’est encore le syndrome de l’expert. Évidemment potentiellement si tu as une bonne paire de rollers, tu feras mieux du roller. Mais c’est pas le matos qui fait tout. Je ferme la parenthèse.
Est-ce que tous tes spectacles que tu proposes intègrent du roller désormais ou est-ce que ça a évolué avec le temps et que finalement tu t’es fait connaître avec des spectacles en roller mais que maintenant tu proposes d’autres choses ?
Je vais répondre à ta première question les spectacles que je crée. Oui alors j’en ai créé un et j’utilise toujours le roller. J’ai un numéro comique avec des marionnettes en roller que je vends très bien. Mais dans les nouveaux spectacles que je crée, non il n’y a pas forcément de roller. Parce ce que finalement, il n’y a que moi qui ferai du roller. Je crée aussi des spectacles pour les autres, je te dis par exemple ce numéro avec les avions télécommandés, donc il n’y a pas de roller. Par contre pour répondre à ta question, oui je fais toujours du roller.

Et de quelle manière ton patinage a évolué Tom Shanon ?
Maintenant, quand je fais du roller, mais ça a toujours été comme ça, de toute façon, j’en fais, c’est un besoin de me recueillir. Je vais faire du roller comme si j’allais prier. Alors ça semble des grands mots mais c’est vraiment ça. C’est une évolution dans mon patinage. Pour moi et pour pas mal de gens de notre génération, le roller c’est un mode de vie. C’est-à-dire que tu ne te poses pas la question de faire du roller, tu sors, tu prends tes rollers.
J’aimerais bien comprendre, Tom Shanon, qu’est-ce que tu entends par un « recueillement »…
Est-ce que je vais être assez clair pour être compris ? On va faire un parallèle. Tu sais, t’as des danseurs qui dansent tout seuls. Ils n’ont pas besoin d’être vus par un public. Ils sont dans un état de transcendance ou de transe. En fait je me connecte à l’univers, voilà, tout simplement, pour être clair, je me connecte à l’univers.
Après maintenant, qui veut comprendre, comprend. Mais je ne cherche plus la performance technique. Je patine. Et bien sûr que je fais des trucs techniques. Mais je cherche plus à solliciter mon ossature, ma musculature comme avant. Je cherche par exemple à patiner de manière fluide, à être en harmonie avec l’univers qui m’entoure. Mais vraiment, c’est juste une évolution dans mon patinage. Et c’est vrai qu’à force de patiner d’année en année, surtout quand tu es artiste, parfois c’est très dur. Et à force d’entraînement, on a de petits rituels. On a des habitudes. On sait à quelle heure on va manger, à quelle heure on doit manger pour être optimum pour le moment où on doit faire son numéro.
» Mais quand je te dis que je vais patiner, c’est comme un rite. Et je me connecte à l’univers qui est autour de moi. Puis, c’est dur à expliquer mais j’ai pas forcément envie de convaincre les gens de quoi que ce soit. J’ai pas de croyances particulières, c’est juste une manière d’être bien. »
Tom Shanon
Ceux qui font parfois poussent les arts martiaux très loin, c’est aussi un art. Ils ont aussi une manière de vivre leur art au-delà d’un sport. Ils vivent leur art et ils sont bien dans leur peau. Et au moment où ils pratiquent, ils sont dans un état particulier.
Et c’est à peu près du même ordre. Moi avec l’aspect de la glisse… et je patine souvent avec de la musique.
Les souvenirs que j’ai de toi sur les spots, c’est exactement ça. Tu es là sans être vraiment là. Je savais très bien qui tu étais et je te voyais patiner. Je reconnaissais ton style inimitable. Ce n’est pas que ça ne sert à rien de venir te parler, mais tu es dans ton coin Tom Shanon…
C’est bien quand il y a les autres, c’est très bien. Mais je ne cherche pas à patiner absolument parce qu’il y a les autres. Je cherche à patiner pour rentrer dans cet état de bien-être. Voilà, c’est tout. Après, s’il y a les autres tant mieux, mais même s’il n’y a personne ce n’est pas important. Le plus important pour moi, ce qui me donne envie de patiner et qui me facilite la tâche pour rentrer dans cet état, c’est : est-ce que l’endroit où je patine a une âme ? C’est un peu un langage d’artiste que j’utilise, mais est-ce que c’est un endroit qui présente, qui est charismatique ? Tu vois quand tu patines au bord de la mer c’est pas la même chose que quand tu patines à la campagne à côté des vaches. Ce sont deux atmosphères très différentes.
C’est une anecdote qui va rejoindre ça justement. Il y a des endroits qui me donnent particulièrement envie de patiner et ça me facilite cette entrée en « transe ». Je n’ai pas besoin des autres. J’ai un très bon exemple. Je travaillais sur un bateau. Le soir après le spectacle, quand tous les passagers allaient se coucher, vers les 2h du matin, je prenais les clés de la discothèque du bateau qui est à 5 mètres sous le niveau de la mer. Et seul, je mettais la sono en marche et je patinais. Tu vois, là, tu comprends ?
Tu patines 5 mètres au niveau de la mer, au milieu de l’océan, tu mets la musique à fond dans une discothèque. Et voilà, t’as pas besoin d’autre chose. C’est très facile de rentrer dans cet état de transe… Et ça m’a beaucoup aidé à progresser en roller, de rentrer dans ces états sans drogue ni rien.
Tom Shanon, nous arrivons à la fin de l’interview. Nous avons une question rituelle qui est une tribune libre. Tu peux donc parler de ce que tu veux, faire passer un message…
Si, je dois expliquer l’une des raisons pour laquelle j’ai pu accomplir toutes ces épreuves, parce que c’est dur, ce n’est pas seulement la détermination, c’est aussi l’endurance. Ça c’est vraiment très important, être endurant dans la détermination.
Autre petit message que je voudrais passer à tout le monde, c’est que vraiment moi je prédis qu’il va y avoir plein d’accidents mortels. Quand je vois ce qui se passe aujourd’hui sur Internet, je sais pas, on n’a pas parlé de ça, mais moi je voulais battre des records, accrocher une moto à 200 km/h, etc. Heureusement que je n’ai pas fait tout ça, même si j’en étais prêt. Mais il y a une telle émulation aujourd’hui sur internet, où tout le monde essaie de faire du buzz et des vues. Ils prennent trop de risques totalement inutiles. Et ça ne va pas leur servir vraiment dans la vie.
J’avais aussi l’intention de faire des trucs comme ça. Et avec du recul, je réalise que ça n’en valait pas la peine. Parce que là vraiment je prédis, dans les années qui vont venir, des morts dans tous les domaines, que ce soit dans le cirque, dans la moto, le BMX, le skate et toutes les disciplines, le parkour. Autre chose, pour terminer. Il faut faire attention : je ne suis pas là pour faire la morale aux uns et aux autres, mais quand tu te lances dans une aventure comme ça, il faut faire attention de ne pas être… alors c’est une expression que j’ai inventée peut-être, qu’elle existait avant, il faut faire attention de ne pas être esclave de sa liberté.
Qu’est-ce que cela signifie pour toi ?
Ça veut dire que tu es, tu veux à tout prix vivre de ta passion et tu vas tellement loin que finalement tu es en train de survivre et tu en es esclave. Mais il faut comprendre qu’il y a très très peu d’élus. En effet, j’ai vu beaucoup d’artistes déchanter et baisser les bras. Et la dernière chose que je voulais dire c’est est la suivante : le roller c’est toute ma vie et pourtant le roller c’est insignifiant.
Ça veut dire qu’en fait, cela aurait pu être le roller ou une autre passion. Le roller c’est juste un outil qui te permet de comprendre des lois universelles qui existent partout. C’est juste un apprentissage. Mais j’aurais pu apprendre tout ce que j’ai appris dans d’autres disciplines. Ces apprentissages-là se croisent. Si tu es un passionné de saut en parachute, tu as beaucoup de règles qui se retrouvent dans tous les domaines.
Et le roller, j’adore, c’est ma vie, mais en même temps c’est insignifiant.
Conclusion par Walid :
Francis / Tom Shanon, je voudrais vraiment te remercier parce que ça fait longtemps que je voulais qu’on ait cette discussion. Avant, nous l’aurions eu par écrit sur rollerquad.net et cela aurait été un article, certes long mais pas aussi long et on n’aurait pas pu rentrer autant dans le détail. C’est un vrai plaisir pour moi de pouvoir aborder tous ces sujets-là parce qu’on en a un peu parlé nous tous les deux quand on se croisait mais même pas forcément de cette manière là. Et je suis vraiment content que les gens puissent enfin entendre ce que tu as à dire parce que c’est passionnant et parce que c’est quelque chose qu’on n’entendra jamais. Peut-être si nous parvenons à interviewe Hom, il dira peut-être des trucs un peu identiques…
Tom Shanon : C’était un plaisir Walid.
Fermeture par Walid :
Nous sommes arrivés à la fin de ces deux épisodes consacrés à Francis, alias Tom Shanon. Nous espérons que vous avez pris autant de plaisir à l’écouter que nous en avons eu à l’enregistrer. Si c’est le cas, nous vous invitons à en parler autour de vous et à le partager sur les réseaux sociaux. Cela nous ferait vraiment très plaisir et ça nous aiderait beaucoup ! A bientôt pour de nouvelles histoires passionnantes…
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