Entretien avec Eric Gros, ancien gérant de Hawaii Surf
Les micros de Balad'O Roller et rollerenligne.com sont partis à la rencontre d'Eric Gros, l'ancien fondateur et propriétaire du shop Hawaii Surf. Le magasin a vu le jour en 1976 et il est progressivement devenu une référence incontournable dans le domaine de la glisse. Découvrons ensemble le parcours d'Eric depuis plus de 40 ans…
Par
alfathor

Eric Gros : les sports de glisse dans la peau
Bonjour Eric, peux-tu te présenter ?
Bonjour à tous, Eric Gros, 62 ans. Je suis à la retraite depuis quelques années. Je suis le fondateur du shop Hawaii Surf. J’ai démarré juste à la sortie des études, je n’étais pas très fort à l’école. J’ai d’ailleurs raté mon bac.
Je n’ai jamais trop bossé à l’école alors que j’ai bossé comme un con après dans la vie. Pour ceux qui écoutent, ce n’est pas forcément la réussite à l’école qui fait la réussite dans la vie après…
Eric Gros
Quels étaient tes sports de prédilection ?
J’ai débuté par le skateboard. J’en faisais avant d’ouvrir le magasin. Ma grand mère m’a prêté 30.000 Francs et j’ai monté Hawaii Surf dans un bout de garage de mon père. C’est la passion du skateboard qui m’a fait débuter. Au fur et à mesure de l’évolution du shop, j’ai pratiqué tous les sports qu’on a vendus, que ce soit le roller, du wakeboard ou autre.

Quand tu as commencé, y avait-il d’autres magasins du type de Hawaii Surf ?
Oui, il y en avait quelques autres comme Direct System ou Chattanooga. La plupart avaient une vie tellement courte que cela tournait. De nombreux shops ont fermé leurs portes.
Eric Gros, comment est venue la diversification ?
Cela a mis du temps, plusieurs années. Au départ, le shop ne s’appelait même pas Hawaii Surf, mais Skateboarder House. Nous ne faisions que du skateboard. Cela a duré au moins 3 ou 4 ans. Nous faisions des démos, nous avions un team. Nous avions aussi une rampe que nous chargions dans une estafette. Je sponsorisais 4 ou 5 potes. Le weekend, nous prenions notre bahut et nous partions en démo un peu partout. Je distribuais des marques françaises et j’importais aussi des marques US. Toutes ces marques nous faisaient rêver.
Effectivement, Hawaii Surf avait toujours des produits qu’on ne trouvait pas ailleurs…

Oui, nous faisions les sales gosses ! Nous aimions les beaux jouets et nous allions les chercher à l’étranger. En effet, il y en avait peu en France à l’époque. C’est pourquoi nous avons toujours cherché les meilleurs jouets de la terre, là où ils étaient. Nous ne regardions pas le prix, nous ne vendions pas le produit en fonction du prix. Le marché était alors vierge. Et quand on regardait les magazines US, on faisait des commandes par courrier, puis on envoyait l’argent de banque à banque et on recevait la came au magasin.
Quelles sont les disciplines arrivées après le skate ?
C’était le roller, par le biais de l’Italie. Un de nos fournisseurs de skate est venu avec des platines. Nous avons commencé à travailler avec lui. Mon père était dessinateur industriel et il a proposé de retravailler sur le patin avec l’Italien. Cela n’avançait pas, du coup nous avons commencé à fabriquer nos propres patins Elite qui ont évolué pendant 20 ou 30 ans. Même roues, même roulements qu’en skateboard.
Après, on a enchaîné avec la planche à voile. C’est là que nous avons changé de nom de « Skateboarder House » à « Hawaii Surf ». La planche nous a submergé, c’était la folie à l’époque. Nous en vendions plus que les skateboards et les rollers. Financièrement, c’était beaucoup plus important, c’était 4 fois plus cher.
Rapidement, vous avez produit vos propres modèles…
Oui, en général, nous recevions du matériel pourri au magasin. Nous avions la connaissance des produits et l’on s’est vite dit que c’était impossible de patiner avec le matériel que l’on recevait. Nous vendions quand même des patins Boen, des Bauer, des patins américains.
Mon père a commencé à dessiner des platines. Nous avons vu que l’aluminium injecté n’était pas une bonne solution. D’autre part, le plastique était trop souple. Nous avons donc cherché et trouvé un acier qui s’utilise pour les couteaux et l’aviation avec un acier forgé. C’était une révolution : léger, aérodynamique, avec pied gauche et pied droit, c’était une première mondiale. Des trucs tout basique, de la logique mais personne n’y avait pensé avant.

Les premières patins que nous avons fait étaient pour la vitesse et la compétition. Puis nous avons produit un truc plus costaud. Il n’y a pas eu énormément d’évolutions en 15 ans. Notre modèle était plutôt bien pensé d’entrée de jeu. Cela coûtait cher parce que la fabrication se faisait avec des matériaux qui correspondaient le mieux à notre besoin.
« En général, les fabricants prennent les choses à l’envers. Ils fixent un prix de vente, il faut que ça rentre dedans. Et puis ils fabriquent de la merde qui ne tient pas. »
Vous avez en effet produit quelques modèles emblématiques du roller comme les platines Lazer
Oui, on a fait une Rolls, on a fait un truc magique à l’époque.
« Les lazer que j’avais il y a 20 ans, je les ai toujours, elles tiennent toujours. La première fois que j’ai eu des platines lazer, c’était indescriptible ».
Walid Nouh

Hawaii Surf a aussi été l’un des premiers magasins à faire de la vente dans les clubs…
Oui, nous avions même un magasin itinérant. Nous avions une personne qui allait dans les clubs pour proposer du matériel. Mais cela n’a pas été très rentable. En effet, les patineurs voulaient souvent du matériel perfectionné mais à moindre prix, alors que ce n’était pas notre philosophie.

Eric Gros : comment s’est passée la transition du marché du quad vers le inline ?
Le quad était un marché de niche, mais il fallait souvent venir chez nous pour trouver du bon matériel. Puis le roller en ligne est arrivé. J’ai vu Rollerblade émerger aux Etats-Unis. D’un seul coup, le patin inline s’est amélioré. C’était l’époque des Metroblade. Les chaussons avaient un tissu qui faisait 3 mm d’épaisseur, nous ne nous rendions pas compte. Les produits étaient pourtant aboutis.
Puis d’autres marques sont arrivées chez Roces. Nous sommes passés d’une dizaine de paire de quads par semaine à 20 paires par jour avec le roller en ligne. Cela a écrasé le quad. Le ligne était plus simple avec moins de perte d’équilibre, c’était plus stable.
Pendant quelques années, nous n’avons quasiment plus vendu de quad. Commercialement, le inline était soutenu par l’industrie avec des sommes importantes. C’est devenu un sport. Vous vous souvenez sans doute des randonnées de 50.000 personnes où il fallait attendre 45 minutes au feu en voiture. On était content parce qu’on vendait pas mal de inline.

Comment est arrivé le déclin ? A quel moment le marché a ralenti ?
Chez Hawaii Surf, nous avons toujours anticipé, avec trois ou quatre cordes à notre arc. Quand il faisait froid l’hiver et que le roller ralentissait, on pouvait s’appuyer sur le snowboard. Il y avait aussi le skate, le longboard et d’autres activités qui nous permettaient d’anticiper. Je pense que ce qui l’a fait baisser, c’est l’usure, la lassitude, les gens sont passés à autre chose.
Je ne vous cache pas que j’ai vraiment lâché les liens avec tout et tout le monde avec la retraite. J’ai perdu de vue la pratique, le marché. Quand tu n’est plus dedans, tu perds vite pied. Je ne peux pas vous répondre sur l’avenir. Wilfried Rossignol parlait des patins à moteurs dans son podcast, les gamins sont de plus en plus fainéants au fil des âges. Je me demande si on ne va pas en arriver là. Maintenant les mômes préfèrent jouer aux jeux vidéos.
« Quand j’ai vu qu’on se défonçait et qu’on ne gagnait plus d’argent, j’ai lâché. La vie n’est plus en phase avec ce que j’ai connu. Aujourd’hui, les mecs font du skate 6 mois et passent à autre chose. »
Eric Gros, tu es aussi un passionné d’histoire et de belles pièces. Il te reste une belle collection ?
Quand je voyais un beau produit, qu’il soit récent ou vieux, ça me faisait craquer. La technique m’a toujours intéressé. Il y a tellement de trucs qui ont marqué notre évolution. J’ai toujours beaucoup de choses.
Tu as aussi une passion pour les arts urbains, peux-tu en parler ?
Oui, j’ai failli monter une galerie, récemment, parce que je collectionnais. Ma grand-mère était peintre. J’ai commencé à collection des planches de skateboard d’artistes. Toute cette culture nous a bercés sur le design de planches de skate. Nous avons été bercés par des graphistes, que ce soit dans le skate, le surf. J’étais sensible à ça. Ce sont surtout des sérigraphies. Cela m’a ouvert d’autres horizons que le sport de glisse.

Tribune libre pour toi Eric Gros, si tu souhaites ajouter quelque chose…
Oui, sortez de vos jeux vidéos. Les sports de glisse, c’est l’apprentissage de la dureté de la vie. Quand tu prends une taule par terre et que tu recommences jusqu’à ce que ça passe. Sortez prendre l’air et faire des jeux à l’extérieur. J’ai sans doute l’air un peu vieux con avec cette mentalité, mais les souvenirs de ride avec les potes.
Sinon, je tiens juste à repréciser quelque chose : je ne suis plus chez Hawaii Surf depuis 2019. C’est l’occasion pour dire que cela n’a plus rien à voir avec ce que cela a pu être. C’est une formule différente qu’on choisi de mettre en place les nouveaux propriétaires.