Louis Legrand (France) : de la charcuterie au patin à roulettes
On peut dire que le parcours de Louis Legrand est assez extraordinaire. Charcutier de métier, il inventa un jour une paire de patins à roulettes qui le fit remarquer par le compositeur allemand Giacomo Meyerbeer. Ce dernier lui demanda de l'aider à mettre en place un scène de patinage dans l'opéra "Le Prophète"...
Par alfathor

Biographie de Louis Legrand (?-1869)
On peut dire que la vie de Louis Legrand a réservé quelques mystères et qu’il a fait couler beaucoup d’encre à son époque. On pourrait presque parler d’une double vie, tant son personnage « l’inconnu de la place de la Concorde » et Legrand se mélangent. Il a particulièrement suscité l’intérêt d’un journaliste de l’époque : Pierre Véron, qui écrivit sur lui à de multiples reprises dans de nombreuses publications.
Legrand et Constant : une seule et même personne ?
Plusieurs éléments glanés dans les publications de l’époque laissent penser que que Louis Legrand déambulait sur la place de la Concorde, sous son nom, mais aussi possiblement sous le pseudonyme de Constant. Une illustration montre » l’inconnu » patinant sur la place de la Concorde. Toutefois, nous trouvons une référence à Constant LAURENT comme l’un des copropriétaires du gymnase des patineurs dans la presse.
Robert Ignatius Letellier1 (2018) indique dans son ouvrage que Giacomo Meyerbeer s’inspira du patinage de Legrand… tout comme Sam Nieswizski indique que c’est en voyant Constant sur la place de la Concorde. En effet, Constant avait pour habitude de déambuler en patins à roulettes sur l’asphalte à proximité de l’Obélisque de la place de la Concorde, non loin des Champs-Elysées où habitait Meyerbeer.
Le journal « La Liberté » du 2 mai 1876, indique qu’il se produisait tous les soirs.
Pierre Véron décrit l’inconnu de la Place de la Concorde comme :
Long, maigre, sec […] D’une main, il tient un mouchoir avec lequel il s’éponge le front par intervalles ; de l’autre main, il tient une canne. pourquoi cette canne ? Abîme insondable ! Mystère sans fond ! […] Le chapeau noir sur la tête, le paletot sur les épaules, c’est à dire vêtu comme vous et moi, il ne craint pas de braver le respect humain et de se donner en spectacle pour satisfaire un goût innocent.
Pierre Véron dans la « Comédie en plein vent ». p. 83 à p.86 en 1866 et dans « Le Monde illustré, 29 juillet 1865 ». p. 74.

L’Agence de la presse départementale Lhoest et Compagnie2, le comparait à Lamartine par son physique et estimait son âge à une soixantaine d’années.
Louis Legrand et Saugnier, une collaboration précoce
Le « Courrier des théâtres » du 29 juin 1827 nous indique que Legrand et Saugnier avaient entrepris une levée de fond pour financer la fabricant de leurs patins et d’un lieu dédié au patinage dès 1827 :
MM. Legrand et Saugnier […] ont l’honneur de prévenir MM. les amateurs de l’exercice de patins sur la terre, qu’ils viennent d’ouvrir une souscription à l’effet de mettre promptement en émission leurs patins de nouvelle invention, dont il leur est fait beaucoup de demandes […] La souscription est de 25 fr. la paire, dont la distribution commencera à partir du 15 juillet prochain, pour les premières souscriptions. Ils préviennent aussi MM. les amateurs qu’ils auront incessamment l’avance de leur offrir un terrain sur lequel ils pourront s’exercer en toute saison.
Courrier des théâtres – 29 juin 1827
En outre, le 1er janvier 1828, ils étaient inscrits au registre du commerce de Paris (p. 540) à la rubrique des mécaniciens. Leur activité était domiciliée chez monsieur Saugnier, au 83 rue du Temple.
Le patin à roulettes de Louis Legrand
En 1848, Louis Legrand créa un patin équipé de deux roues en métal avec une bande de roulage en cuir. Les roues étaient simples (pour les hommes) ou doublées/jumelées (pour les femmes). Les roues se logaient dans un châssis en métal ressemblant à une lame de patin à glace fendue en deux. Cette configuration double apportait une plus grande stabilité aux débutants… et aux femmes pour « compenser la faiblesse de leur chevilles » (Morris Traub, 1944). On en trouve encore quelques rares exemplaires aujourd’hui dans des collections privées.

La rencontre du patineur Louis Legrand et du compositeur Giacomo Meyerbeer : deux hypothèses s’affrontent
Il raconte comme quoi c’est lui qui collabora avec Meyerbeer pour « Le prophète » en y apprenant au corps de ballet de l’Opéra ce fameux pas que chacun connaît.
Pierre Véron dans « Comédie en plein vent ». p. 83 à p.86 en 1866
La première hypothèse serait la suivante : Louis Legrand / Constant réalisait des démonstrations publiques de son invention. Giacomo Meyerbeer le remarqua et imagina une séquence sur glace pour son grand opéra en 5 actes : « Le Prophète ». Peu avant la première, il ajouta un ballet mettant en scène des patineurs dans la scène 15 du 3ème acte : Des fermières apportent en patinant des victuailles à des soldats qui les invitent à danser.
La seconde hypothèse introduit un autre personnage dans l’affaire : Le journal « Le Voleur illustré : cabinet de lecture universel » du 12 mai 1876, avance que c’est Nestor Roqueplan, directeur du Grand Opéra, qui aurait repéré Legrand sur la place de la Concorde et qui aurait eu l’idée de l’intégrer au Prophète.
Nestor Roqueplan, un peu gobe-mouche comme un pur parisien qu’il était, passant un jour dans ces parages, avise un cercle de curieux, s’y mêle, et dès le premier coup d’oeil, est frappé comme d’un trait de lumière. Il était alors directeur du grand Opéra, où il montait depuis plusieurs mois la grande machine du Prophète. Ce qui lui manquait, c’était un ballet, un ballet splendide, original, sans précédent. Son imagination galopait à la recherche d’une idée. « Euréka » j’ai trouvé ! D’un bon, l’idée est enfourchée : le ballet des patineurs est conçu. On sait quel en fut le succès.
Le Voleur illustré : cabinet de lecture universel – 12 mai 1876

Henry Mouhot, quant à lui, réconcilia les deux hypothèse dans son ouvrage (p. 72) grâce à un article paru dans La Patrie du 7 novembre 1876 et à la plume de Georges de Saint-Valery. L’article en question indique que Meyerbeer logeait au rond-point des Champs-Élysées, quand il descendait à Paris et qu’il remarqua l’original de la place de la Concorde et qu’il y vit la possibilité d’intégrer du patinage à son opéra. Roqueplan, metteur en scène, aurait alors sauté sur l’idée de Meyerbeer pour innover.
D’autre part, « l’Agence de la presse départementale Lhoest et Compagnie » du 24 septembre 1876 indique dans ses colonnes que Meyerbeer aurait assisté, 30 ans plus tôt à la consécration de Mazurier, dans son spectacle « La Neige », au théâtre des variétés, en 1820. Autant de pistes qui relient les différents protagonistes à travers l’histoire. Le même article indique d’ailleurs que le danseur, régisseur de danse et maître de ballet Auguste Mabille régla les chorégraphies du ballet des patineurs. Il lui fallut huit mois3 pour former les protagonistes… Et l’auteur Henry Mouhot indique également que Mabille se montrait extrêmement sévère !
Connaissant les exigences du maestro, qui tenait à ce que ses chefs-d’oeuvre fussent montés avec un soin minutieux, le régisseur de la danse, le fameux Mabille, était d’une sévérité proverbiale ; telle pauvre danseuse qui faisait un seul faux pas ou se trompait d’un quart de mesure était congédiée sans merci.
Henry Mouhot, La Rinkomanie, 1876, p. 71
Nous avons également trouvé ce commentaire :
Ce personnel d’enfants, de jeunes filles et de jeunes gens qui purent, grâce à lui, au jour donné de la première représentation, glisser sur la scène chaussés de patins à roulettes, aux applaudissements frénétiques du public.
Agence de la presse départementale Lhoest et Compagnie » du 24 septembre 1876
La mission de Legrand : produire et entretenir des patins mais aussi former les danseurs
Il fit appel à Louis Legrand pour fabriquer une centaine de paires de patins à roulettes et pour former les danseurs. On retrouve notamment trace dans les archives de la rémunération de Legrand pour sa tâche, que ce soit pour fournir le matériel, l’entretenir ou pour entraîner le corps du ballet. Le contrat signé stipule que Legrand aurait touché 800 Francs de l’époque pour cette tâche, une somme qui lui permis plus tard d’acheter son gymnase.
La première eut lieu le 16 avril 1849 à l’Opéra de Paris. En outre, de grands noms comme Chopin, Verdi, Théophile Gautier, Delacroix, Tourgueniev et Berlioz ont assisté à la première. Berlioz reprocha d’ailleurs aux patineurs le bruit des roulettes couvrant la musique.

Un engouement pour le patinage à roulettes suivit la représentation du Prophète
Le » Ballet des Patineurs « dans le troisième acte émerveilla la foule, tant et si bien que la rumeur se répandit à travers la ville et créa de l’intérêt pour le patinage à roulettes. Les « patins du prophète » se vendirent alors à Paris et furent utilisés sur l’asphalte des rues, les marbres, les parquets. Plusieurs fabricants copièrent alors les patins de Legrand. Il déposa donc un brevet pour ses patins le 21 août 1849 pour protéger son invention.

Source gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France
L’invention de Legrand s’exporte en Angleterre… et au delà !
L’opéra connut un tel succès qu’il s’exporta à Londres. D’ailleurs, les archives de presse indique qu’un cargo de patins à roulettes partit vers Angleterre. D’autre part, le maître de ballet de l’Opéra Royal Italien de Covent Garden (Londres) eut toutes les peines du monde à former sa troupe à ce nouveau type de patinage. Morris Traub indique ainsi dans son ouvrage « Roller Skating Through the Years » (1944) que plusieurs jeunes femmes du corps de ballet ont foncé droit dans les coulisses ou dans la fosse de l’orchestre avant d’acquérir la technique nécessaire. L’une d’elles fut d’ailleurs extraite avec difficulté d’une grosse caisse dans laquelle elle était tombée !
Malgré tout, la première Londonienne du Prophète eu lieu le 24 juillet 1849 et la pièce connut le même succès qu’à Paris. Le Prophète eu un retentissement international. En 1850, il faut aussi joué à Hambourg, puis à Vienne, Lisbonne, Anvers, La Nouvelle-Orléans, Budapest, Bruxelles, Prague, Bâle.

Les bons Yankees, ne se bornèrent pas à une admiration platonique, les jeunes gens et les miss lui firent franchir la rampe. On créa des Skating Rinks pour se livrer à cet exercice qui devint un exercice à la mode, et tout le monde s’empressa d’ imiteux ceux qui en avait pris l’initiative.
Agence de la presse départementale Lhoest et Compagnie, 24 septembre 1876
L’enthousiasme… puis l’échec du Gymnase des Patineurs. Un coup dur pour Legrand.
En 1849, Legrand créa également le Gymnase des Patineurs. Il se situait à p’orcimité d’Auteuil. A l’ouverture de ce lieu, les médias oscillaient entre ironie et enthousiasme. Plusieurs journaux lui prédisaient un avenir radieux. Malheureusement pour Legrand, son établissement se transforma en gouffre financier. La presse fut particulièrement féconde sur le Gymnase des Patineurs, nous avons sélectionné quelques articles que nous vous partageons ici.
Le journal « Le Charivari » du 15 septembre 1849, indique que le Gymnase des Patineurs aurait été créé en plein été :
Paris, avec une fatuité que rien n’égale, se vantait de posséder toutes les raretés imaginables ; il semblait que l’on ne pouvait plus créer dans ses murs aucun établissement nouveau. Et pourtant, Paris ne possédait pas encore un gymnase spécialement consacré aux patineurs.
Nous avions le gymnase Amoros, où l’on apprend à grimper à l’échelle sans y mettre les pieds. Le Gymnase lyrique, où des professeurs enseignent aux jeunes soldats l’art si difficile, mais si désagréable de la clarinette, plus quelques notions sur les cymbales et la grosse caisse. Nous avions enfin le Gymnase-Dramatique, fort avantageusement connu de l’Europe en général, et du boulevard Bonne-Nouvelle en particulier.
Eh bien ! tout cela n’était rien en comparaison du Gymnase des Patineurs, qu’un philantrope vient d’ouvrir aux Champs-Elysées, rue du Banquet. Désormais Paris pourra s’écrier, à l’instar d’un conducteur d’omnibus : Complet ! Le fait est que je ne vois plus ce qu’on pourrait inventer après le Gymnase des Patineurs, créé en plein été et en pleins Champs-Elysées. Ces lieux fortunés ont été qualifiés de la sorte ; sans doute parce qu’on avait le pressentiment qu un jour on pourrait y patiner dans toutes les saisons.
Les articles du Ménestrel en 1849
Un établissement curieux, vu la saison, vient de s’ouvrir, rue du banquet, aux Champs-Elysées, près le Château-des-Fleurs. C’est un Gymnae de Patineurs. M. Legrand, inventeur breveté, qui le premier a mis ces patins en usage sur le théâtre de l’Opéra, dans le ballet du Prophète, se charge d’en démontrer l’emploi à tous les amateurs.
Le Ménestrel – 23 septembre 1849
Il comportait un sol en asphalte. D’ailleurs, il est intéressant de noter la façon dont la plupart des journaux décrivent le sol et la pratique : » Patins à Roulettes sur Glace en asphalte. » notamment dans le journal La Voix du Peuple du 1 décembre 1849.

On trouve également cette référence :
Nous continuons à recommander aux amateurs de divertissements et de plaisirs fashionables, le Gymnase des Patineurs, rue du Banquet, aux Champs-Elysées. Cet ingénieux établissement, ouvert par M. Legrand, est destiné à une vogue durable.
Le Ménestrel : journal de musique – 18 novembre 1849
Notez que la « rue du banquet » dans laquelle se situait le gymnase des Patineurs s’appelle aujourd’hui « rue Galilée ». Le journal se trompa malheureusement. En effet, les patineurs boudèrent l’établissement (Sam Nieswizski, 1991).
La description du Gymnase des Patineurs
Les journaux « La Province » du 25 octobre 1849, le « Journal de Lille » du 24 octobre 1849 ou encore « Le Languedocien » du 9 décembre 1849, décrivent le Gymnase des Patineurs exactement dans les mêmes termes :
Dans la rue fameuse par un souvenir historique, et qui a pris le nom de rue du Banquet, rue située près de l’Arc-de- Triomphe, un spéculateur a eu l’idée d’ouvrir un gymnase des patineurs. Dans ce local, qui est tout simplement un espace de terrain entouré de murs où l’on a élevé deux ou trois tentes, espacé quelques chaises, où il n’y a ni arbres, ni fleurs, on a imaginé de couvrir d’asphalte une assez grande superficie du sol. Cet asphalte représente la glace d’un lac, d’un étang. Sur cette glace factice on court avec des patins armés de roulettes. Cet exercice ne manque pas de grâce et il commence à être à la mode parmi quelques jeunes et jolies femmes… Il y a au gymnase des professeurs. On y remarque également des enfants qui courent avec tant de rapidité que s’ils étaient sur la glace.
Journal de Lille – 24 octobre 1849
Le journal La Voix du Peuple du 23 octobre 1849 indique qu’il était « ouvert tous les jours de huit heures du matin jusqu’à la nuit. »
Des associés pour Legrand ?
Quelques indices laissent penser que Louis Legrand aurait pu s’associer avec une ou plusieurs autres personnes pour monter son Gymnase des Patineurs. En effet, l’annuaire général du commerce, de l’instustrie, de la magistrature et de l’administration du 1 janvier 1852 fait référence à un certain « Baboneau, directeur du Gymnase des patineurs, Chemin de Versailles, 36. » Il s’agissait sans doute de son adresse personnelle.
Une autre hypothèse peut également être avancée : l’endroit aurait pu être racheté en 1852 par Baboneau, à la suite de la banqueroute de Louis Legrand.
Les archives de presse indiquent que Legrand s’était associé à un certain Godain. Le père de ce dernier aurait rouvert un gymnase au 4 de la rue du banquet. Il se serait situé « derrière la bal du Château-de-fleurs » (La Liberté, 2 mai 1876). En outre, Legrand et Godain fils auraient « servis de professeurs aux premiers patineurs de Paris ».

D’autre part, le fils de ce monsieur Godain publia un communiqué dans Le Petit journal du 2 mai 1876. Il y apporte les éléments suivants :
Dans votre article d’hier, vous parlez du Skating […] Le premier gymnase de patineurs a été établié à Paris, par mon père, en 1852, rue du Banquet, n°4, situé derrière le bal du Château des Fleurs, aux Champs Elysées.
L’inventeur du patin à roulettes est un nommé M. Legrand qui, par amour de son invention, a perdu sa fortune. C’est ce monsieur que vous désignez sous le nom de fou qui tous les soirs allait sur la place de la Concorde faire cette espèce de réclame en faveur de son invention. C’est lui et moi qui, les premiers, avons servi de professeurs aux premiers patineurs de la capitale.
Ce qu’il y a de certain c’est que les parisiens de 1852 n’avaient aucun goût pour le skating. Car cette entreprise a coûté au moins 20,000 fr. de perte ; nous avions même de grands et élégants traîneaux pour les dames et les enfants.
Ad. Godain fils.
Notez que 20.000 francs de 1850 équivalent à 50.600 € en 2020.
L’Agence de la presse départementale Lhoest et Compagnie4, fait référence à un dénommé Lemaître comme propriétaire du skating-rink. Et pourtant l’article décrit les prestations de Legrand sur les trottoirs de la Concorde. L’article également que le skating de Legrand était déserté :
Ce fut le premier de ces établissements maintenant si courus, mais il n’y vint personne que lui, cet homme qui avait su deviner le premier les tendance de l’avenir.
Ouvertures et fermetures successives du gymnase de Louis Legrand
Dans le journal « Le Tintamarre » du 25 août 1850, il est annoncé la réouverture du Gymnase des Patineurs dans son ancien local au 36 rue du Banquet, près des Champs-Elysées, le 9 septembre 1850 :
« On annonce la réouverture prochaine du Gymnase des Painteurs, dans son ancien local, rue du Banquet, 36. C’est vers le 8 septembre qu’elle aura lieu. Les personnes qui auraient des exhibitions à faire, pourront se présenter de midi à cinq heures, à l’administration, du 1er au 5 septembre. »
Il en est de même dans le journal Le Pouvoir du 4 septembre 1850.
L’essai fait l’hiver dernier de ce novueau genre d’amusement ayant réussi et encouragé par l’administration, elle vient de faire de notables améliorations qui lui permettent d’annoncer la réouverture pour le 15 septembre courant. Des professeur expérimentés sont attachés à l’établissement qui sera ouvert tous les jours à toute heure.
Le Pouvoir – 4 septembre 1850
La revue « La Mode : revue des modes, galerie de moeurs, album des salons » du 5 janvier 1851 précise :
L’inauguration du Gymnase des patineurs est remise au samedi 24 [janvier 1851].
Puis dans « Le Nouvelliste » du 17 janvier 1852, on peut lire qu’une réouverture devait avoir lieu le lundi 19 février 1852. Même annonce dans le journal « Le Moniteur Parisien », dans son édition du dimanche 18 janvier 1852. Il annonce l’inauguration du Gymnase des Patineurs le lundi 19 janvier 1852.
Le journal La Presse du 23 janvier 1852 annonce lui aussi la réouverture du Gymnase des Patineurs le jeudi 22 février 1852 :
C’est décidément jeudi 22, qu’aura lieu l’inauguration du Gymnase des Patineurs, confié aux soins du directeur L. Deschamps, le professeur émérite.
Bref, l’endroit semble avoir fermé et rouvert à de multiples reprises, à moins qu’il y ait eu de nombreux lieux homonymes.
Il raconte la grandeur et la décadence du Gymnase des Patineurs. Une institution à laquelle il donna le jour et qu’il eut le malheur de voir trépasser dans sa fleur.
Pierre Véron dans « Comédie en plein vent ». p. 83 à p.86 en 1866

Comme neuf autre établissements de « spectacles secondaires », le gymnase des patineurs bénéficiait d’un régime fiscal particulier. Il n’était pas soumis à un contrôle journalier de sa recette, mais à un « abonnement » annuel, selon le « Journal des débats politiques et littéraires » du 17 mai 1852.
Un duel de patineur contre un vélocipède !
Le journal « Le Progrès de la Côte d’Or » du 30 janvier 1869 narre un duel. Ainsi, un vélocipède et un patineur s’affrontèrent sur trois tours autour de la Place de la Concorde. Une nouvelle preuve de l’émergence commune des deux pratiques.
La fin tragique de l’inventeur Louis Legrand
« Le Monde Illustré » du 23 avril 1870, évoque l’échec du gymnase et la mort de son fondateur. Et cela sous la plume de Pierre Veron :
Un paragraphe sur la résurrection du Gymnase des Patineurs, un fiasco d’autrefois, qui me paraît destiné à être encore un fiasco d’aujourd’hui. Le conservatoire du patinage, premier du nom, avait été l’invention de ce brave monomane que l’on voyait évoluer en pleine place de la Concorde sur ses patins à roulettes par quarante degrés de chaleur, et qui a rendu son âme à Dieu l’année dernière.
Le « Journal des Coiffeurs » du 1er septembre 1874, évoque la faillite et la mort de Constant :
Son avoir, car il s’est ruiné en fondant à Chaillot un gymnase des patineurs ; sa vie, car il est mort d’une fluxion de poitrine contractée dans l’exercice de ses fonctions. On voit que, dans ce métier-là, tout ne va pas autant qu’on pourrait le croire sur des roulettes.
Le « Journal des Coiffeurs » – 1er septembre 1874
Giacomo Meyerbeer, quant à lui, mourut à Paris le 2 mai 1864, cinq ans avant Legrand.
L’héritage de Louis Legrand
Plus de 20 ans après la première réprésentation du Prophète, l’opéra se jour encore, notamment en 1876, période de grande effervescence du patinage à roulettes dans le monde, poussé par les patins de Plimpton. Pourtant, et malgré les innovations technologiques de l’inventeur américain, les metteurs en scène continuent d’employer les patins de Legrand, pour la simple et bonne raison que leur roues alignées sont masquées par des lames métalliques ressemblant à celles des patins à glace.
Le ballet des patineurs, réglé à la création par le célèbre Mabille, n’a guère été modifié. M. Mérante n’y a introduit que de légères modifications nécessitées par l’augmentation du personnel. […] Le patin de l’Opéra n’a aucun rapport averc celui du skatinage. Les sujets de la danse m’affirment qu’il est beaucoup plus difficile, et que le meilleur skatineur du monde ne s’y tiendrait pas en équilibre pendant une demi-seconde. Le patin de l’Opéra est bordé de chaque côté de lames de métal dissimulant les roulettes ; il porte comme celui du Skating sur deux paires de roulettes, mais tellement rapprochées l’une de l’autre, qu’elles forment une ligne de trois ou quatre centimètres à peine. Comme avec les patins à glace, il suffit pour s’arrêter d’un coup de talon.
Le Figaro, 5 septembre 1876
La presse détaille la grande mode du patin à roulettes de 1876. Elle fait notamment référence aux skating rinks parisiens qui reproduisaient le ballet des patineurs :
L’éclat des lumières, le bruit des roulettes glissant sur l’asphalte, l’orchestre qui exécute régulièrement tous les soirs le ballet des patineurs du Prophète…
Le Voleur illustré : cabinet de lecture universel » du 12 mai 1876
San Nieswizski indique que des patineurs utilisaient encore des patins de Legrand en 1876, soit 8 ans après sa mort… Les siens et sans doute quelques copies de concurrents opportunistes.
L’émission « L’invitation au voyage » consacra une émission à la vie de Louis Legrand le 8 octobre 2019. Elle n’est malheureusement plus disponible en ligne.
Le ballet des patineurs de Giacomo Meyerbeer
L’après Louis Legrand
Le 21 novembre 1875, le journal Le Charivari consacre un encart à l’inauguration du « Nouveau Gymnase des Patineurs ».
La petite fête n’a pas manqué d’entrain. La devise : « Glissez, mortels, n’appuyez pas » était mise en pratique par un certain nombre de dames et de messieurs plus plein de bonne volonté que d’équilibre. J’ai regretté beaucoup que nos hommes politiques n’y fussent pas. Ils y auraent appris que c’est surtout en tournant qu’on fait la culbute.
Charivari, 21 novembre 1875
Pour aller plus loin
Giacomo Meyerbeer : a reader – publié par Robert Ignatius Letellier
Un article sur Le Prophète sur forumopera.com
Merci à David Herlihy, Sam Nieswizski, à la BNF et à Gallica