Le patinage à roulettes, témoin et acteur et des mutations sociales

Le patinage à roulettes : souvent témoin des batailles et des conquêtes sociales ?

Alors que les grêves s’enchaînent et que les menaces de blocage du pays s’accentuent, nous viennent à l’esprit les images des mouvements sociaux de 1995… contre la réforme de retraite. Le roller y trouva alors (temporairement) une place inattendue dans le paysage urbain, comme mode de déplacement à part entière. Puis, l’esprit dérive et fait le lien entre différents faits historiques. De quels événements et mutations sociales le roller a-t-il été témoin ou acteur à travers l’histoire ? Voici ceux qui nous viennent à l’esprit.

Certains d’entre vous se souviendront notamment des mouvements de grêve de 1995, qui accompagnèrent le renouveau du roller en ligne.

1870-1900 : Le roller comme vecteur d’émancipation dans l’Angleterre victorienne

Alors que la société britannique étouffe dans le corset de l’Angleterre Victorienne, la jeunesse bourgeoise et plus largement les femmes trouvent une bouffée d’air dans les skating rinks fraîchement construits à travers le royaume. En l’absence de chaperons, cantonnés aux bord de pistes, ces lieux de liberté inédits offrent des opportunités de rapprochements physiques aux pratiquants. De même, les tenues se desserrent pour laisser davantage de liberté de mouvement.

Des traditions séculaires sont remises en question et un vent de liberté souffle dans les patinoires.

La patinoire est le terrain neutre au sein duquel les sexes peuvent se rencontrer sans tout le cérémonial et les contraintes sociales.

Agence australienne Port Macquarie News

Couple dansant en patin à roulettes durant la période Victorienne

1910 -1916 : « don’t be a scab! « 

Ces deux jeunes filles portent une écharpe « Don’t Be a Scab ». A New York, aux États-Unis, en 1916, ce terme qualifiait les briseurs de grève qui continuaient de travailler alors que la majorité des travailleurs étaient avaient cessé leur activité.

5 octobre 1919 : fin de la grève des chemins de fer à Londres

Le Petit Journal du 5 octobre 1919 titre sur la fin de la grève des chemins de fer à Londres. En réalité, le mouvement aurait pu s’amplifier et toucher d’autres secteurs d’activité. Le gouvernement de l’époque s’y préparait. La grève s’accompagna de sabotages des voies de chemin de fer et d’une forte recrudescence des accidents de la route :

L’augmentation du trafic dans les rues de la capitale amena une recrudescence d’accidents de la rue. On ne compte pas moins de 532 personnes écrasées qui ont dû être conduites dans les divers hôpitaux par les ambulances municipales.

Extrait d’un article du Petit Journal du 5 octobre 1919

Décembre 1924 : Le patin à roulettes comme mode de déplacement lors des grandes grèves des chemins de fer en Grande-Bretagne

Le 5 juin 1924, une grève des employés de chemins de fer des compagnies Great Western et London Electric Railways éclate. Dans un premier temps, elle débute alors que les syndicats s’y opposent. Le parlement s’inquiète alors à juste titre de la responsabilité de maintien du service et des solutions pour conserver un minimum de transports publics. En l’absence de leader connu, les négociations s’avèrent difficiles.

Alors que les stations de métro et de train se vident. Les rues se bondent d’autres modes de transports. Les tramways sont bondés et les queues interminables. Certains font un choix plus osé, et ce, quel que soit leur âge : ils chaussent les patins à roulettes pour se rendre au travail !

1926 : nouvelle grève générale en Grande-bretagne

Une nouvelle grève générale frappe l’Angleterre en 1926. C’est l’occasion pour la presse d’immortaliser une nouvelle fois un groupe de jeunes femmes qui se déplace en patins à roulettes dans les rues de Londres.

1949 : le patinage à roulettes fonctionne aussi en France pour aller travailler

Le journal « L’Aube » des samedi 26 et dimanche 27 novembre 1949 publie à sa « une » la photo d’un homme qui part au travail en patin à roulettes.

Cette grève intervient en plein conflit avec l’Indochine où des dockers refusent d’embarquer des armes en partance pour la guerre. Ils sont suivis par d’autres corps de métiers.

1962 : le patin à la roulettes lors de la grève du métro à Londres

Londre connaît une nouvelle grève du métro (the « Tube ») en 1962. Une fois encore, le patinage à roulettes vient à la rescousse des travailleurs qui souhaitent se rendre au bureau. Le pas n’est pas très assuré, mais l’intention est là ! (voir la vidéo sur le site de la British Pathé)

17 au 27 août 1963 : Le roller patine pour les droits civiques des afro-américains

En 2018, nous prenions la plume pour vous raconter le périple de plus de 1100 km de Ledger Smith vers Washington D.C. Il partait alors assister à ce qui fut sans doute l’un des discours les plus connus du XX^e siècle, le discours du pasteur Martin Luther King. Il fut prononcé à l’issue de la marche sur Washington pour l’emploi et la liberté. Sans doute l’un des plus grands plaidoyers contre le racisme de l’histoire.

1966 : le roller comme mode de transport durant les grèves à New-York

En 1966, les syndicats des transports en commun de New-York, Transport Workers Union of America (TWU) et Amalgamated Transit Union (ATU), appellent à la grève après l’expiration de leur contrat avec l’Autorité de transport de la ville de New-York. La grève paralysa toutes les lignes de bus et de tramway de la ville. Elle conduisit finalement à l’adoption de la loi Taylor. Celle-ci redéfinissait les droits et les limites des syndicats pour les employés publics à New York.

Comme par le passé, le patin à roulettes constitua une réponse originale aux blocages !

Le roller, au coeur des grandes grèves de fin 1995

Le 15 novembre 1995, Alain Juppé tente d’engager une réforme du système de protection sociale, incluant un alignement des régimes spéciaux de la SNCF sur le régime général. Devant la mobilisation massive dans le pays qui atteignit 2 millions de manifestants en France le 12 décembre 1995, il dut cependant faire machine arrière. Pendant trois semaines, les transports publics sont totalement paralysés et chacun cherche alors une solution pour continuer d’aller travailler. Les vélos ressortent des caves, mais également les rollers !

Ce mouvement de grève coïncide avec l’avènement du roller en ligne à travers le monde. Il va alors se vendre jusqu’à 2 millions de paires de roller par an en France entre 1996 et 1999. Le marché du roller est à son apogée. C’est également à cette période que les randonnées roller parisiennes vont rassembler plusieurs dizaines de milliers de patineurs chaque semaine. La presse s’empare alors du phénomène roller.

Le roller s’intègre ainsi dans l’évolution des mentalités et questionne notre mobilité en milieu urbain. Bien qu’il puisse être un mode de déplacement à part entière pour une personne disposant d’un bon niveau de pratique, il ne fut sans doute qu’un terreau fertile pour d’autres formes de mobilités plus accessibles qui arrivèrent par la suite : les trottinettes électriques et les gyropodes.

Pour souvenir, vous pouvez revoir ce reportage (à partir de 1min20.)

A partir de 2001 : le roller-derby moderne, comme pratique féministe et inclusive

Si le roller derby ou roller catch vit le jour dans les années 1930, sa forme modernisé renaquit au début des années 2000 avec un message résolument féministe. Le derby porte dans son essence un militantisme engagé. Au coeur des mutations sociales et des questionnements contemporains, le roller derby interroge sur le genre, l’inclusion, la tolérance.

Et c’est la ville d’Austin (Texas, USA) qui initia cette renaissance en 2001. Quelques années plus tard, en 2004, la première forme de la Women’s Flat Track Derby Association (WFTDA) vit le jour à son tour. Depuis lors, elle régule la discipline au niveau mondial. Le roller derby bénéficia largement du l’influence du film Whip it! sorti fin 2009. Ce dernier s’inspira du livre « Bliss » (Derby Girl dans son titre original), de Shauna Cross.

Le roller, comme hommage aux amérindiens déportés

Plus proche de nous, en 2021, la patineuse amérindienne Mélissa Skeet se lança dans un raid en patin à roulettes de 500 km à travers le territoire Navajo pour dénoncer les violentes faites aux femmes autochtones, dix fois plus souvent victimes de meurtre que la moyenne aux États-Unis.

Elle traversa un territoire ancestral à cheval entre l’Arizona, le Nouveau-Mexique, le Colorado et l’Utah. Sur sa bouche, symboliquement, une main rouge dessinée pour la faire taire.

Pour aller plus loin

Les grèves de 1995 sur Wikipedia

Un grand merci à Xavier Penou pour sa contribution !