Podcast : Luc Bourdin, concepteur de skateparks (3/3)
Dernier volet de notre entretien avec Luc Bourdin. Tout jeune, Luc dessinait et construisait déjà des modules de skateparks. Il transformera cette passion en une véritable activité professionnelle en rejoignant la FF Roller Skateboard - Fédération Française de Roller et Skateboard puis en montant sa propre société en 2018 : Evolving Skatepark. Retour sur son parcours dans le monde de l'équipement...
Par
alfathor

Luc Bourdin : d’une mission fédérale à à la création de sa société de conception de skateparks
Troisième volet de notre podcast consacré à la carrière de Luc Bourdin. Vous pouvez écouter le premier volet sur ses débuts de rider et le second sur sa carrière à la FFRS. Il a toujours eu une appétence pour la conception et la fabrication de skateparks. Dans ce dernier volet du podcast Balado Roller, il nous explique le cheminement qui l’a conduit d’une passion à une véritable activité professionnelle.
Luc Bourdin, qu’est-ce qui t’a amené à t’intéresser à la conception de skateparks ?
Je pense que cela remonte à la période où j’étais à l’AS Team Laon. Nous avions récupéré un vieux module dont nous avons fait un quarter. Je crois que c’était une micro-rampe que nous avons coupé en deux, la premier partie pour faire un lanceur et la seconde pour faire une table de saut en ajoutant une plateforme et un plan incliné. Il n’y avait que 80 cm à franchir et tu montais à la verticale, mais peu importe ! Ma spécialité était vraiment l’amplitude en saut, j’étais bien aérien et je pense que ce module y a contribué.
Nous avons fait nos premiers modules à partir de modules de récup’. Puis, lors des soirées du nouvel an, nous construisions un module sur lequel nous roulions toutes la nuit avec les potes. Des sessions à base de musique, de projection vidéo. Nous étions soixante ou soixante dix avec les Parisiens et les Rémois. Je me souviens d’une année où il n’y avait pas le chauffage et ça piquait un peu ! Rires. Mais ce sont de bons souvenirs. Je ne concevais pas les modules pour antant.

Quand as-tu fait ta première prestation de conseil en skatepark Luc Bourdin ?
Comme j’étais employé du club de l’AS Team Laon, un jour, nous avons été constactés par la mairie de Soissons. Ils voulaient faire un skatepark que je me suis retrouvé à dessiner. Cela m’a fait une première expérience.
Par la suite, à la fédération, puisqu’il y avait cette logique de pérenniser mon poste et que des mairies étaient demandeuses, j’ai développé ce savoir-faire. Cette prestation devait pérenniser mon poste. L’avantage d’une fédération est cette aura nationale. Cela m’a fait pas mal d’expérience.
Concernant la prestation de conseil, il faut que je salue Jean-Philippe Chapelle ! C’était un grand monsieur du roller qui a notamment mis en place le village de Rennes sur Roulettes avec toutes ses animations. Il est toujours engagé aujourd’hui dans le milieu du sport. Un clin d’oeil pour lui qui m’a permis de lancer cette prestation.

Une anecdote à partager avec nous sur la conception de skatepark Luc Bourdin ?
Une des missions les plus décalées que j’ai eu à faire remonte à 2004, à Séoul. Ils sont venus me chercher et ils voulaient faire un X-Game Coréen. C’était une nébuleuse, nous ne savions pas trop où nous mettions les pieds. La prestation s’élevait à 50.000 €. Cela nous a notamment permis d’acheter l’appareil photo de la fédération. Il a permis à faire de nombreux clichés des compétitions par la suite. Cela a permis aussi d’envoyer Jean-Sébastien Guèze faire le suivi du chantier à Séoul. Il venait plutôt du skateboard. Aujourd’hui, il est responsable équipement du skateboard à la fédération. Encore un clin d’oeil. Tout ce monde là est toujours dans l’aventure. Je l’ai recroisé 20 ans plus tard à cette fonction.
Parles-nous de ton investissement dans les normes de skatepark, Luc Bourdin…
Et dans le même temps que la réforme des brevets d’état, je travaillais sur les normes AFNOR pour la création de skateparks. Cela m’a énormément appris également. Je me suis rendu compte de la complexité de la mise en place des normes et j’ai fait l’analogie avec d’autres industries. Je me suis dit : « Si cela se passe comme ça ailleurs, ça fait peur ». Parce que là, en gros, tu vas normaliser par rapport à de la sécurité qui est définie par des gens autour de la table. Chacun a des intérêts liés à sa profession.
Par exemple, dans le cas des fabricants de skateparks, il peuvent avoir des camions de 2,40 m de large, parce qu’après ils passent en convoi exceptionnel. Ainsi, leurs modules feront 2,40 m de large et pas plus. Et donc ils se battront pour que cela ne fasse pas 2,50 m. Peu importe s’il n’y a pas de cohérence sur la sécurité, ce qui compte est leur modèle économique. Ils sont plus nombreux autour de la table et ont plus de poids dans le vote.
J’ai donc dû batailler pour défendre mon point de vue et celui des pratiquants sur la sécurité, en expliquant que les riders ne devaient pas sortir et tomber hors du module, avoir une distance d’élan appropriée et des modules avec de bonnes proportions. J’ai donc dû créer des documents estampillés FFRS et justifier techniquement les choses face à des gens qui défendaient un point de vue économique.

Il y avait donc du lobbying face à toi…
Je faisais de la production technique pour justifier la pertinence de mes productions, face à des gens qui défendaient un point de vue commercial.
Qui définit quels sont les acteurs et membres à s’investir dans la mise en place d’une norme ?
L’AFNOR lance un appel à plein de corps de métiers. C’est donc assez ouvert. En revanche, l’entrée peut être payante. Mais en tant qu’utilisateur, c’est gratuit. Cependant, cela coûte de l’argent de se déplacer aux réunions sur trois ou quatre ans, de défendre des intérêts. Des associations sont venues ponctuellement. Mais elles ne peuvent pas suivre des intérêts normatifs dans la durée. Le process prend plusieurs années.
Suivre l’élaboration d’une norme peut s’avérer complexe. Il faut ingérer des documents de plusieurs dizaines de pages avec du jargon technique et normatif. Il faut savoir que l’enquête existe pour y répondre.
Les normes sur lesquelles tu as travaillé existent toujours ?
Oui, j’ai travaillé sur quatre versions, dont les normes françaises. Au bout d’un certain nombre d’années, nous avons fait évoluer cette norme. Puis ensuite, nous avons travaillé sur la norme européenne. Et là les Allemands ont pris le lead pour orienter. Les bureaux de contrôle ont une libre interprétation des textes en Allemagne. Nous nous battions plutôt sur la perception de la norme, alors qu’en France, les normes sont appliquées à la lettre.
Rendre les modules fonctionnels ne suffit pas. Aujourd’hui, tu peux toujours mettre un module de 3 mètres de haut à 2 mètres d’un mur. C’est débile et ça ne fonctionne pas mais c’est toujours possible. Les bureaux de contrôle des débuts venaient des aires de jeu. Ils se sont spécialisés aujourd’hui et ça va mieux. Il y a eu beaucoup d’aberrations dans un premier temps. La norme a toutefois tiré les skateparks vers le haut. Et cela se ressent dans le prix des équipements qui valaient trois fois moins cher auparavant. Cela a fait monter le prix d’achat parce que moins de produits sous-dimensionnés se vendent. Cela n’a pas bridé la créativité pour autant, malgré les textes. J’ai récemment retravaillé sur la norme des pumptracks aussi.

Tu travailles sur cela dans le cadre de ta société ?
Oui, tout à fait. Je me suis fait la main dans l’associatif. Puis, avec la fédération, j’ai appris ce qu’était une norme. Avec la commission freestyle et l’équipement, j’ai pu affiner mes compétences, notamment en prenant en compte les niveaux des riders. J’ai pu travailler sur la réglementation, la normalisation. Comme j’étais pratiquant, j’avais aussi l’idée de dessiner et l’idée de l’usage. En tant qu’éducateur sportif, je voyais aussi comment enseigner dessus. Grâce à mon expérience, je pouvais aussi envisager le haut niveau dessus et avoir enfin le regard d’un juge sur les contests. Je voyais aussi le lieu en tant qu’organisateur d’événement. Tout cela réuni, a fait que quand j’ai quitté la fédération, j’ai pu monter ma boîte avec une compétence transversale.
J’avais tout, sauf la compétence de maître d’oeuvre : d’aller définir l’équipement dans son intégralité, dans le cadre d’un marché public, de suivre un chantier. Du coup, quand je me suis lancé, je faisais plutôt de l’assistance à maîtrise d’ouvrage. Je donnais du conseil aux municipalités. Puis, quand je me suis associé, nous avons commencé à faire de la maîtrise d’oeuvre. Un de mes associés a trouvé la bonne expérience de maîtrise d’oeuvre. Ainsi, avec la société, nous répondons désormais à des marchés de maîtrise d’oeuvre qui est devenu le coeur de notre métier. Nous suivons les entreprises qui réalisent.
Quels sont les profils de tes associés ? D’où viennent-ils ?
Moi, je viens du nord (rires) ! Les autres viennent de Bordeaux. Le premier est un ami qui a des compétences dans la création de société. Au bout d’un an il m’a mis en relation avec une autre personne qui avait une compétence qui me manquait. Il est arrivé assez tôt dans le développement de la boîte pour ne pas être saturé par la demande. Il était pratiquant de vélo en descente mais n’était pas pratiquant de skatepark. Il a pu s’approprier ces compétences et nous avons pu travailler et tout faire à deux. C’est arrivé au bon moment, avant les élections municipales où il y avait beaucoup de demandes des municipalités pour faire des skateparks. Nous en avons bien bénéficié et nous avons gagné des références et des marchés.
» Le COVID a mis une grosse claque au marché des concepteurs de skatepark, et à nous aussi. Mais nous bénéficions désormais de l’après avec une demande folle. »
Luc Bourdin, Evolving Skatepark
Peux-tu nous dire quelques mots sur cette reprise du marché des équipements sportifs ?
Nous bénéficions aussi de l’effet olympique. C’est une pratique de plein air, multigénérationnelle. Les skateparks sont aussi des lieux multisports. Le skate olympique, le BMX olympique : deux sports sur quatre aux J.O. ! Nous bénéficions aussi des subventions liées à l’olympisme avec le « plan 5000 équipements » avec des taux de subvention qui sont montés à 80% l’année dernière. Aujourd’hui, c’est descendu à 50% mais cela reste très intéressant quand même. J’imagine les carnets de commandes de sociétés plus anciennes que nous et qui doivent être plus que plein. Quand je vois déjà comme cela décolle pour nous. Nous avons vingt projets en cours, c’est beaucoup à deux.
Nous avons parlé des skateparks, puis des pumptracks. Il y a donc différents produits dans votre « catalogue » Luc Bourdin ?
Oui, j’ai commencé à m’intéresser aux pumptracks en 2015, quand cela a commencé à arriver en France. J’étais encore à la FFRS. J’étais plutot freerider parce qu’on se calme en vieillissant. Et les pumptracks sont des équipements qui permettent de s’amuser sans prendre trop de risques. J’ai vraiment été séduits, d’autant plus quand je suis allé rouler dedans avec mes enfants. J’ai vite perçu le potentiel de cet équipement intergénérationnel. Il y a toutes les générations autour !
Je suis monté en compétence sur les pumptracks. Ceux qui les construisent viennent du vélo, mais nous sommes raccords avec les spécialistes du domaine. Nous avons des visions complémentaires. Je comprends leur vision et je comprends les attentes et les différences entre les quatre sports (roller, skateboard, trottinette, BMX). Je ne vends pas un mensonge aux collectivités et ma plus-value est là !
Je voudrais venir sur ton travail avec les architectes et les solutions qui sortent de l’ordinaire. Comment s’expriment la créativité ?
Déjà l’enrichissement de créer sa boîte est énorme. Dans une fédération, chaque service a une fonction complémentaire à celle d’un autre service. Quand tu montes ta société, tu te démerdes ! (rires) . Il faut faire de la communication, de la comptabilité, de l’administratif. Tu dois faire un boulot où tu prends de vrais risques. Tu t’engages.
Et dans l’exercice de ce métier de maître d’oeuvre, parfois tu te retrouves à faire un skatepark intégré où tu dois bosser avec des paysagistes, des architectes. Il faut parfois faire des démarches avec les bâtiments de France. Parfois encore, tu interviens dans une zone naturelle avec des contraintes spécifiques. Tout cela, il faut l’apprendre et tu ne l’appréhendes même pas quand tu dessines un skatepark. C’est comme cela que l’on se retrouve en équipe et que l’on apprend au fil des dossiers. Nous avons été confrontés à des problèmes et nous avons sans doute perdu de l’argent pour nous former, mais nous avons bien fait notre travail. Nous avons énormément appris.

Aujourd’hui, après cinq ans, nous sommes en capacité d’innover, du point de vue de l’écologie, du recyclage. Nous portons des choses fortes et nous créons des synergies. J’en parlerai en temps et en heure. Cela me rappelle les débuts de la fédération avec le skatepark Ricordeau à Nantes, une véritable innovation à l’époque. Tout comme réhabiliter la patinoire de Haguenau pour en faire un skatepark Indoor. Comme bosser sur le skatepark de Bordeaux avec Récréation Urbaine à l’époque avec plusieurs zones, plutôt que de faire croire qu’un skatepark avec une seule zone allait convenir à tout le monde. Nous continuons d’innover.
Y-a-t-il d’autres types d’équipements pour lesquels vous avez été sollicités ? Autre que les skateparks, Luc Bourdin ?
Oui ! Nous avons commencé des démarches avec la fédération de glace pour développer le tremplin. Ils réinventent la discipline du freestyle, mais sur la glace, avec des dérapages, des figures aériennes. Ils recréent des skatecross avec de mini-obstacles et des boudins sur la glace à contourner. Ce que l’on peut voir dans nos clubs. Un pote à Bordeaux est champion de France de high-jump sur glace. Un autre, Martin Barrault, est parti au cirque du soleil.
La ligue Ile-de-France nous a aussi demandé une étude pour réaliser des petits modules. J’avais conçu des modules qui pouvaient s’emboîter et se transformer en plein de choses différentes en réunissant les éléments de plein de clubs. Mais c’est tombé en plein COVID et nous avons dû arrêter.
Contrairement à ceux qui ne font que du béton, nous ouvrons aussi sur des modules. Aujourd’hui, nous n’avons plus le temps…
A la fin de ce troisième épisode, nous voyons à quel point tu as eu un parcours à 360°. Connais-tu d’autres personnes avec des compétences et un profil aussi riche ?
Oui, il y aurait d’autres 360° que le mien ! Des gens qui ont des parcours dans autre chose que l’équipement. J’ai commencé très tôt et j’ai eu très tôt la chance d’être dans une organisation nationale qui m’a ouvert plein de portes différentes. D’ailleurs je n’ai pas trop parlé de mes missions dans le développement et les licences en relation avec les clubs : les Roller Mix, les roues en roller. Cela m’a créé des opportunités.
Nous arrivons à la fin de cette interview. C’est l’heure de la tribune libre…
J’ai toujours l’envie d’utiliser ce moment-là pour les remerciements. Mon père m’a fait confiance dès le début, à l’inverse de mes profs. Il m’a dit : si c’est ça ta passion, fais-le. La confiance d’un père qui m’a accompagné dans tout cela. La confiance des gens que j’ai rencontrés. Il y a tellement de gens, je vais en oublier plein. C’est cela qui me fait peur dans les remerciements. Comme vous les potes, vous êtes là depuis le début pour parler de nos passions, sans rémunération. Heureusement que vous êtes là aussi. On ne fait pas ça pour l’audience. Rien que le plaisir d’aller au bout de ses passions, c’est cela qui nous donne l’énergie. Aller au bout d’une démarche, même si elle paraît insensée, irréaliste. Faire ce que l’on aime, c’est ne pas percevoir le boulot comme un travail et il y a des chances que l’on perce.
Merci Luc pour le temps que tu nous a consacrés !
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