Entretien avec Gabrielle Denis, fondatrice du magazine Crazy Roller

Pour ce nouvel épisode de Balad'O Roller, l'équipe de REL vous invite à rencontrer Gabrielle Denis, ancienne rédactrice en chef adjointe du magazine de street Crazy Roller. Un titre emblématique de la fin des années 1990. Entretien en podcast...

Par Walid NOUH

Entretien avec Gabrielle Denis, fondatrice du magazine Crazy Roller
Gabrielle Denis

Quand Bercy est arrivé, nous connaissions déjà le line. Toi tu as vraiment découvert le line à Bercy…

Oui, nous avons sans doute été un peu en avance en France à faire des contests de slalom acrobatiques codifiés. C’était bien développé au plan national. Je suis allé à Lausanne en 1996. Je pense que nous étions dans une bulle. J’ai découvert beaucoup de choses en 1996.

Tu prends un peu une claque en 1996 à Bercy !

Oui !

Qu’est-ce qui se passe, comment s’est fait le cheminement vers 1996 ?

Il commençait à y avoir de l’évolution, le roller qui se développait, l’argent qui arrivait. Qui dit argent, dit événements, dit magazine, dit publicité. Tout est très lié. Un gars qui faisait des magazines de karting a vu l’opportunité de faire un magazine de roller. Il y avait de l’argent à prendre.

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Couverture du premier magazine Crazy Roller

Je venais de finir mes études de journaliste pigiste, je galérais, payée comme débutante. J’essayais de trouver de petites piges. J’avais proposé des articles de roller à Ridemag pour expliquer la pratique. Et en allant chez Roller Station, j’ai entendu que des gens avaient essayé de vendre de la publicité au shop. Le magasin m’a donné les coordonnées du magazine. J’ai rencontré le futur rédacteur en chef du magasine en mai/juin 1996. Il m’a confié le chemin de fer de 96 pages et la rédaction en chef adjointe du magazine.  Il a reproduit la structure de son magazine de paintball avec une rubrique actualité, une autre pour les produits, une autre pour les reportages sur les contests, le fameux poster plié en quatre au milieu, des interviews, des tutos, de la musique, etc.

Toute cela était truffé de publicité et rapportait de l’argent à son fondateur.

Tu fais référence à Anthony Lunédic ?

Oui, c’est ça. Nous avons sorti le premier numéro en août 1996. Sur la couverture, il y avait Vincent Isaac. C’était une photo prise dans le métro avec une mise en page faîte par un graphiste qui n’était pas du tout dans le milieu. En version deux, après quelques numéros, nous avons bossé avec le graphiste qui faisait le magazine de skateboard racheté par les éditions Riva. Elles avaient racheté le magazine de roller, puis elles avaient créé un magazine de BMX qui s’appelait Soul. Le graphiste du magazine de skate était davantage dans la logique street de Crazy Roller.

En effet, les trois ou quatre premiers numéros étaient très généraliste, il y avait même du quad… Et à partir des suivants, on bascule dans le 100% street. Qu’est-ce qui s’est passé Gabrielle Denis ?

Je pense qu’il y a déjà eu une logique de positionnement par rapport à Rollermag qui était plus fitness, plus gentil. Nous avons voulu trouver un ton différent, plus agressif. Nous avons beaucoup bougé. Pendant 2 ans, de 1996 à 1998, je n’ai pas eu de weekends. Nous passions notre temps en voiture, sur la route, en reportage. Ainsi, nous sommes allés à Lausanne, sur les contests en Suisse, à Lausanne, à l’ISPO Munich en Allemagne. Nous avons rencontré plein d’autres gens qui faisaient des magazines plus agressif comme Daily Bread, mais aussi Chris Mitchell avec des magazines plus visuels aux Etats-Unis. c’est comme cela que nous nous sommes alors fortement différenciés de RollerMag, par choix et parce qu’il y avait un segment de marché à prendre. Nous avons vu des exemples à l’étranger et nous nous sommes bien trouvés.

Donc cela explique pourquoi nous avons perdu ta trace à l’époque sur les spots de slalom. Crazy Roller t’a transformé en vraie streeteuse. Tu faisais de l’agressif ?

Je me vois apprendre la mini-rampe lors des reportages que nous faisions. Je me vois faire mes premiers rocks, mes premiers stall en Allemagne. La courbe, c’était vraiment un nouvel univers auquel il faut s’habituer. Avec le magazine, j’avais la chance d’accéder facilement à du nouveau matériel.

J’ai encore un peu participé à quelques compétitions en quad, notamment le Starway Slalom Contest à Lausanne, que j’avais gagné. Chaque fois que j’avais fait des compétitions, j’étais arrivée première jusqu’à cette période où Agnès a fini première et a représenté les filles en slalom. J’ai arrêté le slalom à ce moment-là. Ensuite, j’ai surtout fait de la mini-rampe, parfois un peu de street. Ma dernière compétition a dû avoir lieu à Amsterdam, à l’occasion d’une manche de l’IIS. J’étais arrivée seconde derrière une petite anglaise de 8 ans. Je ne pouvais pas faire à la fois le magazine et le slalom.

Gabrielle Denis, nous avons été très influencés par Crazy Roller. Quand le magazine se lance, comment-est-il reçu par les gens ?

Nous avons commencé à diffuser le magazine à environ 30.000 exemplaires. Nous étions en parution mensuel alors que nous n’étions que deux à tout faire. Je faisais tous les textes, je participais à tous les reportages, je faisais le suivi en imprimerie pour caler les couleurs. Nous recevions un courrier des lecteurs impressionnants et nous allions sur les lieux des événements.

« Nous y croisions des gamins de 10 à 12 ans qui ne lisaient rien à l’école mais qui lisaient Crazy Roller. »

Gabrielle Denis

La moitié des photos que nous prenions étaient prises de nuit, nous faisions beaucoup de clichés dans la rue. Le magazine était fait pour des ados, nous essayions de faire des choses rigolotes. Mais cependant j’apportais un soin particulier à l’orthographe, il n’y avait pas une faute dans le magazine.

« J’étais en contact avec Daily Bread pour avoir le nom des figures. Sinon, quand tu traversais l’Europe, tu te rendais compte que personne n’appelait les figures de la même manière. Pour nous, Daily Bread était la référence. »

Gabrielle Denis
Gabrielle Denis en dafy lors d'un stage de roller acro pour les filles organisé à Saint-Jean d'Angely en 1996
Gabrielle Denis en dafy lors d’un stage de roller acro pour les filles organisé à Saint-Jean d’Angely en 1996

Quelles étaient les personnes connues à l’époque ?

Nous allions beaucoup sur les grands contests internationaux, je m’intéressais aussi aux Français. Je me souviens d’avoir rencontré Thierry Lallement, des Marseillais que l’on retrouvait à Lausanne. Les riders nous envoyaient les infos sur les événements, il y avait une sorte d’agenda dans le magazine. Des fois, même si certains n’étaient pas des champions, nous remarquions un style. Je regardais la façon dont il droppait, dont il tombait, dont il patinait, cela permettait de voir s’ils avaient du métier. Ceux qui ont fait du quad avant savaient se déplacer et aller d’un module à l’autre. J’aimais voir des patineurs un peu complets qui évoluaient comme des chats. Je choisissais des riders qui étaient cool et qui étaient dans l’esprit Crazy Roller.

Je me souviens d’avoir interviewé Arlo Eisenberg pendant une heure aux Etats-Unis. Nous avons beaucoup parlé dessin. Quand nous allions à l’ISPO, je changeais de langues de stand en stand. C’était pratique pour rencontrer les gens.

Quels sont les riders qui sont sortis du lot ?

Taïg Khris. J’ai été la première à faire une interview officielle de lui. Il en a eu des milliers d’autres ensuite. J’ai été ravie de découvrir ce gars-là, de rencontrer sa famille, son histoire. C’est vraiment quelqu’un d’extraordinaire.

J’avais aussi interviewé l’architecte qui avait fait le bowl de Marseille. Il m’avait montré ses croquis. Nous avions fait une grosse interview de lui. Après, il y a bien sûr tous les gens des teams : Arlo Eisenberg, Randy Spizer. Jon Julio m’avait beaucoup impressionné. Il était zen, cool. et ne prenait les photos qu’avec un photographe anglais. Jon Julio avait une approche créative, artistique. Il parlait peu, doucement. Aujourd’hui, il a développé Them Skates.

Je pense aussi à Toto Gali, Kevin Quintin. Je me souviens des Lyonnais du team CDK aussi. C’était assez parcellaire, les gens restaient dans leur coin au début.

« Il fallait bouger de spot en spot, cela fait partie de la culture roller. Aller sur les spots ouvre l’esprit, d’être sur la route, de bouger, de rencontrer, de se débrouiller pour dormir, se faire héberger… C’est l’esprit du roller. Le mouvement et le voyage font partie de ces sports de glisse. »

Gabrielle Denis

Gabrielle Denis, cette période du roller est une période de grande émulation, comme nous avons pu la connaître dans les années 1990 au Trocadéro, mais en version mondiale…

Oui, nous avions des contacts avec les grandes marques de l’époque, en Europe, aux Etats-Unis. Toutes les marques venaient de Huntington Beach. Nous étions allés là-bas faire des reportages là-bas. J’ai pu couvrir deux fois les X-Games à l’époque où il y avait encore le roller. Cela permettait notamment de rencontrer les gens qui faisaient le business. Au départ, l’Europe suivait, et ensuite elle a dépassé les Américains.

Gabrielle Denis au contest de Lausanne en 1996
1996 : au pied de la big au Roller Contest de Lausanne. A côté, le team manager japonais des frères Yasutoko qui tient le 1er Crazy Roller. Derrière, on reconnaît Taïg Khris
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Auteur
Walid NOUH 'Wawa'

Walid patine depuis la fin des années 80. Il a fait du roller freestyle et aggressif. Fondateur du site RollerFR.net dans les années 2000, il fût par la suite webmaster du site Rollerquad.net et co-fondateur de la marque de patins à roulettes détachables Flaneurz. Il est intéressé par la conservation et transmission du patrimoine rolleristique.

1 response to “Entretien avec Gabrielle Denis, fondatrice du magazine Crazy Roller”

  1. Locus
    1 décembre 2022 at 20 h 13 min
    Je tiens encore une fois à vous remercier de cette interview de "gabi", car elle était dans l'ombre de celui qu'elle n'a nommé qu'une seule fois en plus d'une heure , elle en a beaucoup souffert de cette période je pense ....mais c'est une réelle passionnée !!! J'ai dévoré ce podcast !!! C'est dommage qu'elle soit peu reconnue pour ce qu'elle a apporté au monde du roller agressif ! Merci 1000 fois !

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