Mans 2008 : 8wd-Gillou, un duo longue distance
Dans la série des duos des 24 Heures du Mans 2008, voici le récit de 8wd (Pierre Labaune), qui, avec son partenaire Gillou, a réussi à se hisser à la 4ème place du classement général dans sa catégorie. Un duo un peu particulier puisque les 2 patineurs se sont préparés chacun à 900 km l'un de l'autre, 5 mois durant...
Par alfathor

Prologue
1. Le Mans et moi
Je connaissais les 24 Heures du Mans pour avoir participé plusieurs fois en équipe, mais le déplacement, fatiguant et coûteux (transport et inscription onéreuse) m’avait éloigné de l’épreuve.
En 2005, j’ai eu l’opportunité de remplacer un soliste au pied levé. Occasion que j’ai saisie, sans aucune préparation, sans vraiment de staff sur place, et qui s’est forcément mal finie (abandon au petit matin).
Dunlop m’a tué.
Cet échec fut vraiment un gros coup au moral, pour le jeune trentenaire et nouveau papa que j’étais.
Une fois de plus, je jurais qu’on ne m’y reprendrait plus… jusqu’à ce qu’on me propose (en 2007) de compléter une équipe sans prétention.
Cette fois là fut un de mes meilleurs souvenirs. J’étais en préparation du raid Paris-Amsterdam et donc en pleine forme. Si j’étais le plus rapide de l’équipe, personne ne se jugeait et chacun donnait le meilleur de soi. Le staff était efficace et motivé, et l’épreuve s’est finie sur un score honorable dans la bonne humeur. Cette participation m’a réconciliée avec Le Mans.
Lors de cette édition 2007, je rencontrais l’équipe de Mantes, avec qui je devais partir en août pour un raid de 600 km jusqu’en Hollande. Parmi eux, Gillou, qui y tentait son premier solo (lien). Je ne fis donc que le croiser sur la piste, mais cette épreuve nous offrait un premier point commun (à la différence que Gillou termina son solo ! ).
2. Amsterdam et Gillou
Lors du raid sur Amsterdam, Gillou et moi avons beaucoup sympathisé. Même s’il avait un peu d’avance sur moi, nous étions proches à beaucoup d’égards. Le raid s’avéra difficile (pluie et pavés) et surmonter ces difficultés renforça encore plus le lien qui s’était créé.
Gillou et moi avons tout de même un rapport au roller différent, je suis un vieux passionné (depuis 25 ans bientôt) et je me débrouille dans toutes les disciplines sans exceller dans aucune. Je n’ai jamais pris de cours, ni suivi d’entraînement, mais ma technique couvre mon petit physique. Gillou pratique en sportif, assidu et encadré. Il n’a jamais fait que de la vitesse et il le fait à fond.
3. La proposition
5 mois après Amsterdam, les inscriptions pour le Mans s’ouvrent avec l’apparition surprise d’une nouvelle catégorie : les duos. Le concept me parait séduisant, reste à trouver un partenaire.
Avant même d’avoir le temps d’y réfléchir, je reçois un message de Gillou titré : « J’ai une proposition à te faire… ». Sans même l’ouvrir je devine son contenu…
Passé le bonheur de cette invitation, je m’interroge sur mes possibilités d’honorer réellement cette proposition. Je vois bien le Speedy Gillou ambitionner le podium, et le boulet 8WD anéantir ses possibilités de médaille ! Quelques grosses rigolades et petites mises au point plus tard, voilà ma signature en bas du contrat.
4. La préparation
Dès lors (début janvier), la préparation de ce duo hante mon esprit. Quelle sera notre stratégie, quel rythme adopter, quel type de préparation physique, quel matériel choisir… Et puis rouler, rouler, rouler… Un chronomètre et un cardiofréquencemètre seront mes compagnons de route. Le compte à rebours commence là…
Je m’invite aux entrainements avec l’équipe de vitesse d’Eurocopter, je planifie quelques sorties plus longues, je roule en sortant du boulot, sur une boucle à la topologie proche du Mans. Je me rapproche aussi de Jean Paul (Jp2Copter) qui prépare son solo .
Je le rejoins lors de ses sorties à Berre, qui constitueront probablement ma meilleure formation. En le suivant et l’écoutant, j’apprends à rouler doucement, à me concentrer sur mes sensations et mon effort. Je gagne en contrôle et en gestion énergétique.
Au milieu de tout ça, notre stratégie évolue, se précise. D’autres duos se déclarent, leur stratégie reste discrète mais les grandes lignes sont communes. Le fait qu’aucune équipe ne l’ai jamais fait en duo pimente un peu la chose et donne un côté original et audacieux à chaque stratégie.
Chacun de nous deux affute son matériel. Gillou a monté une Diabolik sur ses Mariani, mais il compte sur ses M100 pour les relais longs. De mon côté, les FM100 avaient été inconfortables durant le raid Amsterdam, et j’avais emprunté les M100 de Appache. Il me les cède pour ce duo, mais l’embase s’avère fissurée, une brèche dans mon moral également. Heureusement, je trouve un Dr Carbon qui propose de me les réparer pour la fin mai. Je teste également plusieurs combinaisons de roues, de roulements. Mon budget est limité et on m’aide pas mal pour ces fournitures…
A 900 km de distance, Gillou et moi continuons donc nos entraînements, nous échangeons par mail ou par téléphone, sur la stratégie, le matériel, la préparation. Cette distance me créé quelques inquiétudes. A chaque fois que j’appelle Gillou, c’est pour lui annoncer victorieusement le résultat de mes dernières performances. Mais avant que je puisse lui dire, lui m’annonce toujours son score largement supérieur (grrr). Du coup, à la fin, on évitait le sujet !
5. Le Staff
Depuis le début, Gillou et moi sommes persuadés du rôle du staff. Nous souhaitons l’intégrer très tôt à nos préparations, notre investissement. Ma femme, Charlotte, bouillonne d’envie de connaître l’ambiance maintes fois abordée, et elle sera épaulée de Karine, une amie Toulousaine.
Pour elles, ce sera une première édition, donc loin d’être évident. Nous partageons avec elles nos prévisions de stratégie, d’alimentation. Nous leur confions quelques recettes pour faire face à une baisse de forme, physique ou morale. Pour le staff aussi, c’est 24 heures d’efforts à se relayer, à gérer et anticiper. Etre ainsi aux premières loges est tout autant passionnant que fatiguant. Elles pourront cependant compter sur le reste du staff Mant’Roll, le club dont nous porterons les couleurs.
6. Les sorties test
Gillou participe à plusieurs courses, notamment les 6 Heures du circuit Carole. Partant sans prétention et n’étant à aucun moment informé de sa position, il finit 4e, à 1 tour seulement du 3e (Cofi), ce qui confirme sa grande forme et son excellente préparation. Cette victoire est aussi un atout psychologique pour Le Mans.
De mon côté, je participe à des longues sorties (plus de 70 km) ainsi qu’à ma première French Inline Cup à Nîmes. Cela me donne une idée réelle sur ma préparation et me permet de retrouver les Sudistes en préparation pour Le Mans (Youb, Mystic, Motard, Yannick…).
Je me sentais en forme certes, mais j’avais tout de même du mal à percevoir les signes d’une préparation aboutie dans l’optique des 24 Heures du Mans, moi qui n’ai jamais été suivi, je manquais de repères. Le temps passait, la pression montait doucement.
Début mai, je participe à la Rando du Haut-Var, qui comporte une longue côte (10 km à 2%).
L’an dernier, mon coeur s’était emballé à en devenir douloureux, et j’avais mis plus d’une semaine à m’en remettre (précipitant l’achat d’un cardiofréquencemètre et la visite chez un spécialiste). Cette année, en restant presque dans les mêmes vitesses, je n’ai jamais été dans mes limites, et n’avais aucune douleur ou courbature le lendemain. Voila un des signes positifs que j’attendais !
Pour finir, fin mai, les 6 Heures de l’INSA nous donnent l’idée de faire, Jp2Copter et moi, les 6 Heures de Berre ! Cela constitue un repère dans ma préparation, et permet de corriger des erreurs sans trop risquer la casse (matérielle ou physique). Un bon moyen de tester son effort, se concentrer sur le geste, se discipliner sur l’hydratation, l’alimentation.
En l’absence de staff et de concurrence, il faut aussi trouver à se motiver. Au bout de 3-4 heures, les douleurs se font sentir, la glisse est moins fluide, et il m’en faut peu pour abandonner. Mais passé cette étape, les douleurs disparaissent, et le mouvement, répété depuis des années, se fait automatique et sans efforts.
Cette sortie fut donc, elle aussi, très positive, puisque nous avons atteint notre objectif sans difficulté majeure, en parcourant prés de 120 km. Le soir même, puis le lendemain, aucune courbature, ampoule ou douleur ne venait contredire ce bilan.
Seul bémol à cette préparation, je ne récupère mes M100 que début juin. Sur aucune des sorties précédemment citées, je n’ai pu les chausser. Et lorsque enfin je le peux, impossible de régler correctement le châssis sur les chaussures. Avec mon emploi du temps, je ne roule que 3 fois par semaine, et persévérer avec de mauvais réglages finit par me causer de telles douleurs articulaires que je préfère tout arrêter pour ne pas me blesser plus. Indépendamment de cela, je vois un nouvel ostéopathe censé me « clarifier » avant l’épreuve, mais ce nouveau praticien ne me convient pas et le résultat est proche du néant.
7. La dernière ligne droite
Conformément au planning, j’arrête début juin toute activité sportive, avec le sentiment que je partirais au Mans blessé, avec du matériel inadapté. Je suis persuadé d’avoir une entorse à chaque cheville.
Le repos ne m’apporte alors aucun réconfort, au contraire, j’ai le sentiment de me rouiller et mon moral est en chute libre. De rage, je démonte mes rollers et les règle comme j’ai toujours fait, imparfaitement, sans les essayer ensuite. C’est un peu la roulette russe mais en priant fort, ça peut marcher…
Parallèlement, tous les autres concurrents sont eux aussi entrés en phase de repos, et chacun y va de son commentaire pour définir combien il se sent prêt : dur dur pour moi ! C’est aussi dans cette dernière ligne droite que tout le monde me pose la question fatidique « alors, t’es prêt ? ». Aïe.
Gillou, partenaire génial, trouve cependant le moyen de me redonner le sourire. Il s’organise une visite éclair à Marseille. Quelques petites heures très intenses où nous roulons ensemble, et partageons une bonne soirée avec notre staffeuse en chef. Une grande émotion et la confirmation pour chacun de la bonne préparation de l’autre. Ce sera là l’unique fois en 10 mois que nous patinerons ensemble. Paradoxalement, à aucun moment dans notre duo nous ne le pourrons.
De son côté, l’organisation publie (enfin) la liste définitive des inscrits. Nos espoirs de résultats s’éloignent d’autant plus que plusieurs équipes étrangères se rajoutent et qu’il est probable qu’elles ne fassent pas le déplacement pour rien. Côté français, les duos de Montpellier et de Paris partent largement favoris. Gillou et moi n’en parlions plus, mais à ce stade, entrer dans le top 10 relevait déjà de l’utopie naïve. Nous arrêtons donc des objectifs réalistes mais motivants :
1. Finir l’épreuve (point traumatisant pour moi)
2. Boucler 120 tours est un objectif, 130 un rêve
3. Batailler pour de vrai avec les tchatcheurs du forum !
8. L’arrivée difficile au Mans
Charlotte, nos deux filles et moi sommes montés le mercredi à Paris, nous y avons laissé les filles, puis nous avons rejoint Gilles le vendredi pour faire la route ensemble. La réunion de fin de matinée s’éternise pour Gilles, il nous rejoint un peu en retard, le temps d’un resto, et nous prenons la route. Pas de chance, accident ou départs en week-end, sortir de Paris est une mission impossible et nous perdons plus d’une heure pour accéder à l’autoroute Sarthoise. Nos ennuis ne sont pourtant pas terminés puisque quelques heures plus tard, nous galérons pour trouver l’accès au circuit (quoi d’autre indiquer au Mans ?!). Encore du stress et de l’énergie qui s’envolent…
Au camping, beaucoup de concurrents sont déjà là, et il faut de nouveau faire la queue. Mais nous trouvons tout de même une bonne place pour notre grande tente (12 places). Il fait beau et nous retrouvons plein de connaissances, c’est très sympathique. Cette fois, finie l’intox du forum, chacun se livre vraiment sur sa préparation, et on me rassure sur mes petits bobos, que beaucoup connaissent avant course. Une rapide discussion avec Youb achève de me donner la confiance et la sérénité qui me manquait pour cette épreuve.
Le reste du club arrive peu après nous, mais ils ont une mauvaise nouvelle, le kiné du club ne pourra pas venir. Charlotte au téléphone n’entends pas cette nouvelle et je me dis que Karine et elle auront cette charge supplémentaire. Mais quand elle raccroche, c’est pour m’apprendre que Karine est aux urgences de Toulouse, et qu’elle ne pourra pas nous rejoindre. C’est un très gros coup dur pour notre équipe, et pour Charlotte qui se retrouve seule à nous staffer pendant 24h. Bien sur, il y a le staff du club, mais il n’est pas forcement autant concerné. Pour se préserver moralement, nous n’en parlons pas trop, car l’épreuve est là, mais nous savons que nous devrons changer nos plans.
9. Le jour J
Ce samedi matin, rien n’est vraiment comme nous l’imaginions. La nuit ne fut absolument pas reposante, car quelques voisins ont bruyamment noyé leur stress d’avant course dans l’alcool jusqu’à 03h. C’est à peu près aussi jusqu’à cette heure que les motards Manceaux nous ont signifié que le circuit leur appartenait, à grand coup de runs dans les Hunaudières, et de sessions au rupteur. Pour ne rien arranger, j’ai très mal digéré les pâtes froides de la veille et n’arrive rien à avaler ce matin. Je mets encore cela sur le compte du stress et demande à m’isoler vraiment une petite heure avant la course.
Pendant ce temps, Charlotte, Gillou et le reste du club ont retiré les dossards, puis positionné nos affaires dans les stands en bord de piste. Beaucoup de stress et de fatigue qui m’est évité, car c’est vraiment la cohue. Dans la tente des duos, je retrouve les Bisontins, que beaucoup voyaient favoris, Yannick et Manu, ainsi que Miklc et Laurent qui faisaient partie de la charmante équipe de l’an passé. Bien que loin de la piste, la tente est plutôt agréable et bien plus calme que les box bondés. Chacun installe ses affaires pour la nuit, pour les ravitaillements, prend des repères, dépose ses grigris…
L’heure du départ approche. Gillou s’échauffe, il fera les qualifs pour la grille de départ. Je le rejoins et m’équipe à mon tour pour prendre le départ. La pression monte.
10. La course.
10.1 Le départ
Comme le veut la tradition moto, les hommes et leurs machines sont séparés par la piste. Près de 640 patineurs sont côte à côte pour le départ, et les gradins sont archi pleins, ce qui donne un brouhaha impressionnant. Lorsque le speaker égraine les secondes avant le starter, la pression est à son maximum… go !
C’est parti. Je chausse mes patins plus lentement que prévu, mais sûrement. Tout le monde part très vite, très fort. Gilles et moi savons qu’il ne faut pas céder à la tentation de suivre les groupes rapides, mais je souhaite aussi éviter la dangereuse cohue dans la descente où je vais vite.
Comme l’impose le règlement, je pars pour 2 tours, qu’il faut là aussi gérer. Je boucle mes 2 tours (2×4.2km) en moins de 9′ (28 km/h) c’est trop rapide, mais c’est presque 1′ de plus que les favoris. Gillou me relaye et il accélère encore, à 8’30 (30 km/h). Nous savons que nous devons calmer le jeu, au risque de marquer irrémédiablement nos corps de ces excès. Nous savons aussi qu’il faut évacuer le stress du départ et profiter de l’énergie du début.
Pour la suite, nous avons opté pour des relais atypiques (3tours-1tour-3tours) nous ne sommes sur de rien, mais personne ne l’est et nous apprécions ce coté béta testeur. Gillou, est le premier à aborder ces relais longs mais lui déborde toujours autant d’énergie, et se cale à 9′ (au lieu des 11′ initialement prévues). Il nous place parmi les cinq premiers.
De mon côté, j’accuse un peu le coup de la mauvaise nuit et j’ai toujours les boyaux tordus par les pâtes. Je joue la carte de la prudence et assure mon premier relais long (2×3 tours) au rythme que j’avais travaillé, je tourne entre 10′ et 11′. Mon cardio est mon seul repère, 150 dans la montée, 140 sur le reste du parcours. Je m’autorise un dépassement de 10 pulsations si je l’estime judicieux. Évidemment, c’est assez frustrant de voir tous les adversaires me dépasser, et je me demande si cette stratégie de prudence est la bonne. Je souhaite aussi ne pas trop décevoir mon partenaire ou le démotiver dans cette course qui ne fait que débuter. A 20h, nous sommes alors 8° au classement, une position honorable.
10.2 La nuit
Nous avons décomposé la nuit en 2 sessions (00h-03h-06h) je suis chargé de la première session. Je demande à Charlotte de me ménager un repos avant cette session, pour que je puisse tenter de remettre mon estomac en route et m’alimenter un minimum avant la nuit. Par miracle, je réussi à sortir de l’excitation ambiante, et clarifie ma situation digestive. J’en profite aussi pour passer chez les Kinés, histoire de prévenir toute crampe ou fatigue. Du coup, je déborde un peu sur l’horaire et oblige Gillou à faire 7 tours consécutifs. Je repars bien plus serein, même si je n’ai pas réussi à vraiment m’alimenter.
Gillou, Charlotte et moi avons convenu que notre staffeuse en chef devait dormir pour affronter la longue et difficile journée de dimanche, quitte à nous abandonner pendant les 2 sessions de nuit. Durant cette période ‘calme’, les autres personnes du club pourraient assurer le relais.
Me voilà donc seul à rouler pendant 3h. J’ai déjà près de 100 kms dans les pattes et je pars pour ajouter 65kms d’une traite. Je reste concentré et fais appel aux entrainements réalisés à Berre avec Jean-Paul. Je repense aussi aux paroles de Youb, me rappelant mon expérience du raid. Suis-je donc à la vitesse d’un 250 km ? Voilà un repère que je comprends. Je maîtrise donc mon effort en solitaire, et heureusement car les soutiens sont plus rares que prévus. En piste, je croise souvent Turtlle (Katy), une patineuse du club qui réédite son aventure en solo. Je roule un peu avec Dietmar ou Serge, autre duo du club, qui imprime un rythme contre toute attente. Je partage également un tour avec l’impressionnant Rphil, un poil trop rapide pour moi. Coté staff, je ne croise aucun regard, je finis par lancer mon bidon vide par dessus le muret pour être ravitaillé. C’est Jean-Luc qui, au tour suivant, fera preuve d’une grande efficacité en me rendant un bidon d’isotonique bien frais. Il faut dire qu’un de ‘nos’ duos est en difficulté. Mamoun a fait une mauvaise chute et Appache, qui était parti très vite, va abandonner. Tous les deux ont concentré cette année leurs entrainements sur les FIC, pas sur l’endurance.
En piste, je me retrouve à doubler mes amis Jean Paul, Youb ou Sylvoutch, qui roulent cependant en solo. Ces types là sont des références pour moi comme pour beaucoup. Ils sont très expérimentés en longue distance et leurs conseils sont précieux, comme la prudence et la ‘lenteur’. Alors les doubler me gène un peu, et me renforce aussi. Si je prends devant eux le parti de rouler plus vite, j’ai intérêt à ce que ne soit pas pour abandonner au matin…
Un peu avant 03h, Gillou est là, prêt à relayer, je suis presque surpris de le voir si tôt et si en forme. Je suis fier de moi, puisque j’ai assuré la nuit mieux que prévu, plus vite et sans pause. Je suis également heureux d’avoir bien géré ma session et termine sans être épuisé. Je finis mes tours jusqu’à l’heure prévue, lui passe le relais pour sa session, et pars me reposer. J’annule le massage et la collation initialement prévus, et fonce me coucher. Gillou nous a amené un hamac pliant et un bon duvet dans lequel je me précipite. Bouchons d’oreille et cache lumière en places, je pars pour 2h de sommeil.
10.3 Mauvaise nouvelle au réveil
Au réveil, je suis plutôt en forme, à 05h, Charlotte me rejoint, on se prend un thé tous les deux et je m’offre une douche pour repartir d’un bon pied. Le temps tourne, et je dois m’équiper pour relayer Gillou. Lorsque j’arrive sur zone de relais, c’est la stupeur. Charlotte m’annonce que Gillou va mal, qu’il s’est arrêté 15 minutes dans la nuit et que le moral n’est plus là. Je suis déboussolé. Gillou est notre capitaine, notre leader, c’est un type résolument optimiste et volontaire, et jamais je ne l’ai vu fatigué. Il est 06h du matin, il reste 10h a tenir et il n’y a plus de session de repos prévues jusque là.
Je me place en piste et relaye Gilles qui a effectivement très mauvaise mine. Quelle frustration de ne pas pouvoir lui parler ! Un comble dans cette aventure duo ou toute communication entre équipiers passe par notre staffeuse clef, Charlotte. Plus tard, c’est elle qui m’apprendra que Gilles n’a pas pu dormir entre 00h et 03h, à cause d’un concert que l’organisation a maladroitement placé derrière le stand des solos/duos. Il paye aussi la nuit au camping et le stress des derniers jours. Peut-être aussi est-il parti un peu trop vite…
Charlotte sort les grands moyens, et je la pousse à le faire. Je suis en forme, ai bien dormi, mais n’irai jamais au bout sans Gilles. Ni physiquement, ni moralement. Il faut absolument qu’elle le remette sur pied, quitte à me faire rouler plus.
Elle décide d’écourter le relais de Gilles, et m’envoie en piste pour une heure. La méforme de Gilles m’inquiète, mais en même temps, tous les concurrents ont pris un coup pendant la nuit, voire abandonné. Finalement, même avec l’arrêt de Gillou, nous sommes 5° au classement à 07h. Cela me motive et couvre mon inquiétude. En apprenant que les 4° n’ont qu’un tour d’avance sur nous, je me décide même à partir en chasse…
10.4 Le final
Pendant que je remonte sur le 4°, Gilles revient en piste pour me relayer sur 1 ou 2 tours. Mais il n’est toujours pas en forme et boucle ses tours en 12′. Quatre équipes sont au coude à coude, et nous rétrogradons à la 7° place à 09h.
J’enrage d’échouer si près du but, je repars à la charge, plus motivé que jamais. Je prends aussi conscience que les 3 premiers sont étrangers et que le 4° serait de fait le 1° français. Lors d’un passage de relais, je lance à Gillou « c’est 4° ou rien ! ». Il est stupéfait de ma détermination et réalise que cet objectif -inimaginable il y a peu- est finalement à notre portée. Charlotte s’inquiète de mon regain de rythme. Il reste encore 7h d’efforts à fournir tout de même, presque un tiers de l’épreuve.
Pendant près de 5h, nous allons batailler, noter les écarts, repérer les concurrents. Gillou se prend au jeu et retrouve un peu d’énergie. Tous les deux, nous remontons. Soudain, lors d’un passage de relais, il me crie, souriant et victorieux, « le dossard 2008 est derrière ! ». Il est 14h et nous avons pris la 4° place ! Charlotte décide alors d’opter pour des relais courts (2 tours) qui dynamisent encore plus notre duo, et nous permettent de consolider notre position. Le sourire retrouvé de Gillou et l’excitation de cette place aide aussi à aller de l’avant.
Il nous reste deux heures à tenir, et ce n’est pas rien. Malgré la motivation, la fatigue est là, et la côte du Dunlop (600m à 3.5%) devient un véritable calvaire. Une autre difficulté, est qu’après chaque passage de relais je dois enjamber les deux murets en béton pour rejoindre ma ‘zone moquette’ (éloignée de l’ouverture du muret) risquant la crampe ou la chute. Charlotte aussi accuse la fatigue. Dans la dernière heure, épuisés, nous passons sur des relais d’un seul tour, faire plus devient impossible. Dans les 20 dernières minutes, nous possédons 4 minutes d’avance sur nos poursuivants. A 15h40 je m’élance pour le final (les relais ne sont plus autorisés après 15h50). Mon premier tour se passe bien, je passe par la ligne droite des stands où les gradins sont pleins. Toutes les équipes sont sur le muret, la pression remonte d’un cran.
Je sais que je gravis la côte pour la dernière fois, et la tête commence à me tourner. Depuis 36h et les pâtes malvenues du vendredi soir, je n’ai presque rien mangé d’autre que des barres de céréales et je ne supporte plus les boissons énergétique depuis la nuit (j’ai perdu 3kg durant l’épreuve, Gilles en a perdu 6). Je ne tiens plus sur mes jambes et m’enfile 2 cachets de dextrose. Plus que tout, je redoute une chute, la mienne ou celle d’un autre coureur. Dans mon état de fatigue, ce serait fatal.
Charlotte voit s’éterniser le chrono et tout le monde s’inquiète, finalement je passe la ligne dans un état second, après 13’34 » sans savoir que nos adversaires, donnant tout, étaient remonté à 20 » derrière nous.
J’explose de joie et rejoint Charlotte et Gilles pour m’effondrer dans leur bras. Ce qui se passe ensuite, aussi important soit il, n’a que peu ou pas d’importance. Cette 4° place, 1° française, après 134 tours (560 kms) est pour nous une performance énorme qui va bien au delà de nos espoirs.
C’est aussi pour moi une revanche sur mon abandon en 2005, moralement très difficile. Et une sorte de point d’honneur a différentes aventures qui s’étaient achevées sans ligne d’arrivée, sans classement chiffré. C’est la victoire d’un trio, et le fruit de 5 mois de préparation. Au-delà de la place, nous sommes satisfaits d’avoir donné le meilleur de nous-mêmes, et d’avoir réussi à maitriser notre course comme nous l’espérions.
Epilogue
11. Atterrissage
Difficile d’atterrir après tant d’émotions, je pense que Gillou, Charlotte et moi en avons pris pour tenir un moment! Pourtant, il a bien fallu retrouver nos maisons, nos filles (Gilles en a 3) et nos boulots.
Du côté du podium, les Tchèques ont placé la barre haute avec 152 tours. Derrière, deux équipes Anglaises sont à 140 tours. Nous n’avons, à aucun moment regretté de ne pas monter sur le podium, ces 3 là méritent largement d’y être, et rien dans notre stratégie n’aurait permis de combler les 6 tours qui nous séparent d’eux. J’ai aussi réussi à me débarrasser des remords d’avoir devancé les favoris français, assurément plus rapides que moi, mais qui n’ont pas pu ou pas su aller au bout de l’épreuve.
Le bonheur de cette aventure donne envie de la renouveler, mais elle me semble tellement parfaite que j’ai peur de n’être que déçu. Je ne vois pas d’erreurs ou de fautes que nous pourrions corriger pour faire vraiment mieux. Le coup de fatigue de Gillou peut être lié à ses tours rapides du samedi, nous ont permis de bien se placer. Et ma lenteur du samedi est peut-être ce qui nous a sauvés le dimanche. Non, vraiment, outre le plaisir de se retrouver à nouveau, la seule raison qui nous pousserait à revenir tenter les 140 tours serait la promesse qu’il n’y ait pas de concert !
Je remercie ceux qui nous ont suivis, ceux qui nous ont soutenus, qui ont pensé à nous pendant l’épreuve, et ceux qui m’ont aidé pour le matériel, Alexandre et Benoit pour les roues, Fabien pour les coques carbones. Je remercie enfin Appache et tout Mant’roll pour m’avoir permis de vivre cette aventure sous leurs couleurs, que j’espère avoir honoré.
Pierre / 8wd
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