Le Mans roller 2008 en solo de JP2Copter
Jean-Paul Renaud (JP2Copter pour les intimes) a publié le récit de ses 24 Heures du Mans Roller 2008 sur son blog. Son récit nous permet d'en apprendre un peu plus sur un personnage discret et enthousiaste. Nous vous restituons ce texte sur rollerenligne.com...
Par alfathor

« Tu es incroyable, je ne t’ai jamais vu sans le sourire »
La passion, le plaisir
Le soliste, souvent solitaire de fait, n’est pas très communicant. Mais comme l’envie de faire plaisir en répondant à mes amis et à ceux qui m’ont encouragé à tenter cette aventure est aussi essentielle à mon plaisir, voici comment les choses se sont passées…
L’origine du pseudo
D’abord, pour ceux qui se poseraient la question, JP2Copter est né de la contraction de Jean-Paul d’Eurocopter !
Un tempérament
De mon enfance, j’ai peu de souvenirs. Les meilleurs sont ceux que j’ai de mes activités sportives et dans la nature.
Il m’en est resté un tempérament indépendant, curieux et volontaire à la fois. Bien que je ne refuse pas le contact avec les autres, je constate aujourd’hui que si je ne me connais pas d’ennemi, mes amis sont très rares. On pourrait me prendre pour un contestataire, un asocial. Je suis simplement hanté par l’angoisse de devenir dépendant. Des modes, des contingences matérielles, de mon entourage…
Épris de liberté, certainement, j’ai développé mes capacités de débrouillardise et d’autonomie. Depuis toujours, je réalise ce qui m’est nécessaire sans compter sur les autres. J’explique que cela n’est pas si difficile que cela, car mes besoins sont limités. Le beau, le simple, le bon, la joie, sont mon oxygène.
Ma définition du bonheur : se sentir bien après avoir réussi ce qu’on voulait faire. Des envies modestes, des objectifs simples, des buts accessibles sans grosse dépense, m’ont facilité ces petites réussites dont la somme permet de s’en rapprocher. Je me suis accoutumé au fait que les autres ne sont pas forcément intéressés par ce que j’ai à partager. C’est simplement un problème de synchronisation ou de valeurs différentes.
J’ai conscience de ma difficulté à trouver le bon moment. Pour moi, le bon ou le mauvais moment c’est maintenant. Le bonheur, c’est aujourd’hui. Pas à une date programmée à l’avance. Je n’ai plus de honte à ne pas me sentir en forme le jour de l’An, à ne pas être dans l’ambiance à Noël, à ne pas penser comme les autres au même instant. Je n’en suis pas aigri. Je ne suis pas égoïste non plus. Mon jardin secret est simplement différent de celui des autres, à qui je laisse d’ailleurs volontiers ce qui m’est superflu…
C’est une lapalissade d’avouer que je me sens mieux en suivant mon propre rythme.
L’arrivée au roller
L’activité sportive m’a toujours apporté l’équilibre et la santé qu’on m’envie : athlétisme, judo, voile, kayak, canyonning, ski, randonnée, VTT…
Cet enchaînement continu d’activités d’équilibre en direction de la nature m’a amené très naturellement vers le roller qui a l’immense mérite de préserver et développer le capital physique, même à un âge respectable, tout en étant très simple à mettre en œuvre et peu coûteux.
Depuis la création de la section sportive roller au sein de mon entreprise il y a 4 ans, je roule donc de plus en plus. Mes progrès peu spectaculaires en vitesse (c’est normal en démarrant l’activité à près de 50 ans ! ) étant largement compensés par le nombre d’heures de plaisir croissant que je consacre à cette activité, qui est devenue une passion. A la notion de travail à l’entraînement, je préfère celle de pratique de loisir.
Quand plaisir rime avec kilomètres
2.000 km, 3.000 km, 5.000 km dans l’année… Le plaisir va augmentant avec la durée. Plus disponible que mes partenaires de club, plus indépendant, la majorité de mes entraînements est solitaire.
De mes dernières vacances passées en randonnée en autonomie complète dans les massifs alpins, j’ai conservé la patience, l’intérêt pour le paysage environnant, la capacité à « mijoter dans mon jus » sans émotion, d’observer les changements de lumière du matin ou du soir, la facilité à rester de longues heures sans m’asseoir, à m’alimenter en continu, à gérer les problèmes de confort et d’économie d’énergie sur la distance, à respecter un rythme cardiaque paisible… Cette expérience m’est utile aujourd’hui.
Je propose ma vision d’esprit de l’endurance extrême, qu’on qualifie d’ultra fond dans d’autres sports : c’est la gestion du confort et du non-effort.
Et cela se résume en un mot : le plaisir. Non pas le plaisir exclusif de la victoire finale. Pas l’éblouissement ultime quand on relève la tête après des heures passées à regarder le bitume ou le postérieur devant soi, dans la souffrance d’une échine courbée dans l’effort et la recherche de vitesse, mais plus simplement le petit plaisir facile de chaque instant. Celui de regarder le ciel, le paysage, de sentir les odeurs ou le vent glisser sur sa peau, de croiser des sourires et de prendre le temps, qui comme le remarque un de mes amis, va redevenir une valeur supérieure à l’argent… Le plaisir d’être bien dans ses pompes, au propre comme au figuré.
La philosophie
Ceci se traduit par une préparation progressive de son matériel et de son organisme. Tant pis si le matériel est lourd ou chaud. L’important c’est de ne pas souffrir, d’éviter les ampoules, les hématomes, les inflammations, les contractures… Tant pis si la vitesse de base n’est pas sensationnelle, la fable du lièvre et de la tortu(r)e est toujours utile à rappeler. Si en ménageant son confort on évite les arrêts dus à des problèmes non anticipés, on obtient la même moyenne, avec les soucis en moins…
Le matériel
J’utilise des patins d’endurance avec chausson intérieur amovible. (RB Marathon Carbon TF). Ils sont équipés de roues de 100 mm MPC VT FIRM pour le roulage et le confort vibratoire.
Préparation spéciale : semelles intérieures au Sorbothane, suppression par rognage des points durs sur les sangles et leurs pièces de fixation en plastique, et sensationnelles chevillières EZEEFIT.
Le physique
Pour le physique comme pour le matériel, c’est simple : aligner les heures consécutives sur les patins. Régler, observer, corriger, vérifier, confirmer, progressivement, pendant des heures et des heures, tous les jours si on en a la possibilité.
On doit alors connaître les zones d’apparition des premiers échauffements, des premières ampoules. On sait déjà comment employer le sparadrap anti-friction, on a déjà testé les plaques de néoprène prêtes à être glissées dans la chaussette au premier signe de point dur… L’ennemi numéro un, ce sont les vibrations. Sources de fatigue articulaire, musculaire, d’échauffement plantaire.
D’abord sans alimentation et à l’eau au début, pour faire reculer le seuil de l’hypoglycémie et améliorer le rendement de l’assimilation. En alimentation continue ensuite, en alternant glucides lents et rapides, isotonique et eau.
Si on n’a jamais essayé avant, on ne peut pas réaliser comme une simple bouchée peut être difficile à avaler en roulant, au bout de 6h de ronde.
Pour le jour J, je prévois 2 repas de pâtes chaudes, et un coca ou un café de temps en temps pour varier un peu, éviter l’écœurement tout en respectant la règle du plaisir.
Le sommeil ne m’épargnera pas non plus, j’envisage des siestes de 20 mn, comme les navigateurs solitaires, probablement enchaînées avec les repas. Je n’ai pas poussé l’entraînement suffisamment loin pour modifier mes cycles circadiens. J’ai juste augmenté mon adaptabilité.
Si tout va bien au-delà de 6h, qu’on se sent capable de recommencer le lendemain et le surlendemain, à des horaires différents du jour et de la nuit, je pense qu’on a déjà filtré 80% des difficultés. On a déjà rencontré et appris à contourner la majorité des soucis de confort matériel et moral, de position mal adaptée, d’effort trop irrégulier, de départ trop rapide, d’ennui sur la répétitivité du parcours.
On connaît alors les points hauts et bas de son métabolisme et de son mental, les moments de fringale, de sommeil ou de cycle de digestion qu’il est normal de ressentir. Sans en éprouver d’inquiétude inutile. Si l’entraînement permet d’éloigner les soucis musculaires, il ne reste plus qu’à apporter l’énergie.
L’écoute de soi est la technique qui me parait la plus simple pour sentir quand. J’ai jadis pratiqué un peu de yoga. Une curiosité introspective, un peu de contrôle et de relâchement mélangés, autant sur le plan mental que physique, participeront à la gestion des difficultés incontournables.
Etre prêt le moment venu
Cette préparation accomplie, il faut se conditionner pour le jour J : se forcer à aller encore plus tranquillement qu’à l’entraînement, ne surtout pas se laisser influencer par des concurrents voisins, quand bien même ils proposeraient généreusement leur aide en incitant à une accélération trop coûteuse. Apprendre à dire non avec son meilleur sourire. Ou bien accepter d’être poussé, malgré sa fierté, quelques secondes dans la côte. Non pas pour gagner du temps, mais pour économiser quelques millièmes d’énergie qu’on sera heureux de pouvoir utiliser une ou plusieurs heures plus tard.
Il me faudra aussi accepter l’aide de mon entourage, car la mise en danger à laquelle on s’expose lors de cette sorte d’épreuve initiatique est aussi l’occasion de renouer des liens de dépendance, des amarres qu’on a larguées depuis longtemps. Les massages, les conseils, les encouragements retrouveront sûrement une saveur oubliée…
Et ce qui créera une différence, c’est la souffrance morale ajoutée à celle, inévitable du physique à partir du tiers de course. Car, qui est réellement préparé à cette durée ?
Ils-elles sont une toute petite minorité à posséder l’expérience. Et encore, probablement, chaque tentative est différente de la précédente… On doit donc être convaincu que ce qu’on va rencontrer ne ressemblera pas à quelque chose de déjà vécu, qu’on explorera quelque chose d’aussi redoutable que l’espace ou les abysses. Il faudra alors être ouvert à l’inconnu, à la surprise comme à la souffrance. Curiosité et sérénité seront alors les meilleures alliées. Je reprends d’ailleurs volontiers à mon compte la réponse de Sylvoutch à la question « pourquoi faites vous ça ? » Réponse : « Juste pour voir de l’autre coté ce qu’il y a… »
L’objectif
Chaque participant a une motivation et des voies différentes. De la quête de la performance à la fuite en avant ou la revanche sur un sort funeste, de la recherche d’un plaisir simple ou masochiste, à celle d’un flash « orgasmique », physique ou spirituel, de l’œil rivé sur le chrono à l’oreille scotchée à son lecteur mp3 en passant par une bière toutes les heures, tout est possible.
Mes entraînements montrent que je soutiens une vitesse de croisière de 20 km/h pendant plusieurs heures d’affilée. Le circuit Bugatti est difficile, je le connais pour l’avoir défié 3 fois déjà en équipe.
J’estime que 70 tours dans la journée sont largement à ma portée et que les 80 tours peuvent même être approchés si tout se passe bien. Cela représente une moyenne inférieure à 14 km/h, arrêts et ravitaillements compris.
Mon objectif reste le plaisir. On me trouvera peu ambitieux, mais quand tout va bien, il ne faut pas oublier de s’en apercevoir. Et l’humilité est nécessaire quand on compare cette aventure à un séjour dans l’espace ou les abysses.
Depuis que je suis sur les roulettes, je n’ai rencontré que du bonheur. Ma curiosité me pousse à chercher jusqu’où cela peut durer.
Et le seul record que je souhaite détenir, c’est celui du sourire le plus long. Est-ce possible jusqu’à 24h ?
Le départ en train
Vendredi matin. Yamina m’appelle pour me dire de ne pas passer la récupérer, elle se fera déposer à la gare par des amis. J’arrive donc à la gare TGV d’AIX où je retrouve Seb et Toni. Yamina, équipière des Gazelles nous rejoint rapidement.
Sébastien, après 3 années en Colibri, a obtenu une promotion amplement justifiée par ses progrès dans l’équipe Tigre. Antonio fait partie des espagnols d’Albacete (à coté de Madrid) qui rejoignent cette année notre solide groupe franco-allemand. Il va intégrer l’équipe Colibri. Comme il est né en France, nous n’avons pas de difficulté de traduction !
En montant dans le train, nous retrouvons les expérimentés Hervé (9ème participation aux 24h !) et Franck qui ont pris le départ à Marseille. Tous deux sont de solides piliers de l’équipe Tigre.
Pour ma première participation en solo, j’ai souhaité que les conditions de voyage soient sereines, sans cavalcades épuisantes et sans risque d’incident lié à des correspondances à délais trop serrés. Donc train direct, arrivée le vendredi soir, nous laissant un gros samedi pour nous préparer sur le site de la course.
Arrivée sur le circuit
Arrivée simplifiée au Mans où nous découvrons le tramway tout neuf qui nous transporte jusqu’à l’entrée du circuit. Quel progrès ! Nous avons évité les 5 ou 6 km à pied habituels répartis entre Paris et Le Mans !
Au camping sur le circuit, vers 20h00, nous attendait le groupe de La Courneuve. Présents depuis la première édition des 24H Roller, nos amis parisiens assurent l’essentiel de la logistique et de la coordination. Arrivés par la route, ils ont déjà mis en place le marabout abritant la cuisine, la table et les bancs pour les repas. Leurs tentes déjà dressées pour la nuit délimitent l’espace qui sera nécessaire à l’ensemble du team Eurocopter, quand marignanais, allemands et espagnols seront rassemblés.
Le Comité d’Etablissement de La Courneuve fournit tout le gros matériel collectif, comprenant également un fourgon. Les inamovibles Jean-Luc constituent l’ossature du staff. Cuisine, transport, vidéo reportage… Avec tous les autres staffeurs transnationaux, ils seront notre famille durant ce week-end.
Vers 2h du matin, arrivée et installation du groupe espagnol qui a manqué son premier avion…
Nuit chaude et agitée pour ces retrouvailles et rencontres avec des groupes voisins. Tout le monde n’est pas venu au Mans pour dormir. De toute façon, pour les concurrents sérieux, c’était avant qu’il fallait se préparer, pour arriver reposé…
Samedi matin
Course dérisoire pour éviter la queue aux douches. 1h d’attente déjà à 6h30 du matin, me raconteront ceux qui ont tenté le coup. Un rapide débarbouillage au robinet des toilettes, vers 7h30, suffira.
Arrivée du groupe allemand dans la matinée. Leur expérience passée du trajet en voiture leur a fait préférer le train, cette année. C’est plus sûr, particulièrement pour le retour où la fatigue augmente les risques. Ils ont profité de la nuit de train pour dormir un maximum. Les retrouvailles des anciens et la rencontre des nouveaux est chaleureuse.
Je profite du ciel assez dégagé pour lézarder dans un rayon de soleil, mais ça se couvre petit à petit. Tant mieux. S’il ne pleut pas, au moins ce ne sera pas la canicule.
Le reste du week-end se déroulera effectivement sous une météo idéale, alternant couverture nuageuse et éclaircies. Les coups de soleil trop violents et déshydratations ont été évités, ainsi que la pluie qui n’a jamais trop menacé malgré de lourds nuages orageux. Tout le monde rentrera avec un peu de couleurs !
Je parviens à passer la matinée assez relâché, déjeunant tranquillement, préparant posément mon matériel, allant saluer mes connaissances dans les groupes voisins.
Briefing du staff
Les 2 solos d’Eurocopter, Martin, venant de Donauworth en Allemagne et moi de Marignane, disposeront de 2 staffeurs : Andréa, allemande et Fabien, de La Courneuve ne se connaissent pas et semblent avoir un problème de communication. Même l’anglais qu’Andréa parle parfaitement ne semble pas leur être d’un grand secours…
J’ai du mal à les voir ensemble et je dois répéter mes explications à des moments différents. J’ai emporté 2 copies de mon planning de ravitaillement. Andréa est soucieuse de bien faire et je l’aide à traduire en allemand les termes français.
Avec Martin, nous précisons quelques détails horaires. Martin n’est pas plus exigeant que moi et cherche également à tout simplifier pour faciliter la vie du staff.
Le planning est validé. Un peu plus tard, je redonne à Fabien les indications pour qu’il adapte sa copie en accord avec celle d’Andréa. En les croisant tour à tour, je ne parviens pas à comprendre clairement quelle organisation ils ont choisie. J’ai l’impression que Fabien qui ne parle pas allemand souhaite qu’Andréa s’occupe seule de Martin (qui ne parle pas non plus français) et lui n’aurait qu’à s’occuper de moi. Cependant, il souhaiterait également qu’Andréa et lui se relaient pour pouvoir se reposer. J’ai du mal à suivre comment cela est conciliable, d’autant plus que Martin et moi sommes d’accord pour adopter les mêmes horaires de rendez-vous.
Ce n’est pas à moi de gérer ce problème. Malheureusement, la partie de cache-cache à laquelle j’essaie de ne pas prêter attention pour éviter de stresser se poursuivra durant la course…
Je précise également à Jean-Luc, le cuisinier, nos souhaits, à Martin et moi, pour les ravitaillements en plats chauds. Il est évident que les solos mangent sur la piste ou dans le stand, donc il faut s’organiser pour préparer et apporter les plats, le camping est à plus de 10mn de la piste.
Martin, comme moi, ne souhaite qu’une grosse portion de pâtes toutes les 6 heures, sans aucune préparation particulière. Difficile de faire plus simple.
Le temps perdu à tenter de faire de la communication me fait renoncer à participer aux qualifications. Je répète tout en double, je ressors et range plusieurs fois mes sachets de ravitaillement tout prêts et numérotés de la valise pour les montrer à chacun. Bref, je parviens enfin à rassembler et transporter tout mon matériel pour m’installer dans le stand.
Apparemment, personne n’a vraiment bien analysé qu’un solo doit avoir tout son barda avec lui, nourriture et rechanges, matériel de dépannage et de soins… Mais je suis habitué à me débrouiller seul. Il n’est pas aisé de sentir les choses quand on vit à des centaines de kilomètres les uns des autres et qu’on vient de se rencontrer.
Arrivée sur la piste
A 13h48, après un dernier étiquetage de mon matériel (pour rassurer mon staff autant que pour éviter des erreurs), je finis par arriver sur la piste où le vais me placer à la dernière position pour le départ. Normal, car la qualif. n’a pas été effectuée. Le juge à côté de moi me demande de retirer mes rollers pour prendre le départ en chaussettes comme tout le monde. Dommage, car j’avais pris le plus grand soin à éviter tout faux plis de chaussette, à placer les coutures du néoprène à l’endroit le moins gênant, à éviter tout gravillon malencontreux dans le chausson…
16h – Le départ des 24 Heures
Bref, le départ est donné. Je ne prête pas attention à la clameur et vais posément m’installer pour rechausser avec le même soin que la première fois. Je ne pars pas le dernier, car je sais que certains se réservent le triomphe de le faire et je suis heureux de leur laisser ce plaisir.
Cependant, les premiers de la course ne sont pas loin d’être sur mes talons quand je franchis la ligne ! Le chrono indique plus de 5 minutes déjà.
Mes premiers tours de déroulent paisiblement. Malgré les bonnes jambes acquises à l’entraînement, je me force d’entrée à presque marcher dans la Dunlop, à ne pas patiner dans les descentes, à ne pas prendre d’aspiration sur un faux rythme… Tout se passe comme à l’entraînement.
Outre les arrêts au stand pour manger, assis, les plats chauds et prendre un sachet de ravitaillement numéroté, j’ai programmé un passage sur la zone moquette toutes les 2 heures pour changer de bidon et communiquer avec le staff. Échanger le petit bidon noir pour l’isotonique contre le gros transparent plein d’eau et réciproquement. Je n’ai pas apprécié la difficulté à sa juste valeur !
Bref, après de grands signes de mon staff à l’approche de 18h00, je m’arrête sur la zone moquette vers 18h06. Surprise, c’est Seb qui m’accueille en me disant que mon staff a disparu pour me remplir un bidon… Curieux, mon bidon d’eau était parfaitement rempli à 16h00 et on disposait de 2 heures pour vérifier !
Bref, Seb prend mon bidon d’isotonique et court me le remplir d’eau au stand le plus proche.
Tout roule
Les tours se déroulent sans anicroche, je sais que ce n’est pas dans les 6 premières heures que j’aurais un problème. Je salue des connaissances qui me doublent et discute avec des solos qui restent à mon rythme quelques instants.
J’ai des supporters sur le bord de la piste. Mes équipiers évidemment, mais aussi des copains du sud de la France. Les encouragements ne manquent pas et j’ai naturellement le sourire. Je prends le temps d’estimer ma vitesse, je tourne facilement en 13 mn au tour. C’est 1 km/h de moins qu’à l’entraînement, mais plutôt mieux que ce que je prévoyais, compte tenu du respect dû à la Dunlop.
Vers 20h00, je change de bidon, cette fois, c’est le bon. Je prends patiemment quelques instants pour expliquer à Fabien que je me suis bien arrêté vers 18h00, que s’il ne m’a pas vu, c’est parce qu’il n’était pas là, que j’ai bien été ravitaillé (merci Seb), que j’attends qu’on me fasse signe quand les pâtes prévues seraient arrivées… Et la ronde se poursuit jusqu’à l’approche de 22h00.
22h – Premier repas
Pas de nouvelles des pâtes. Je décide de m’arrêter au stand. Tout va bien, j’ai de l’avance et pas de stress. Bien évidemment, je suis obligé de rechercher mon staff au bord de la piste, car la sortie pour le stand est 200 m avant la zone moquette. Pour une fois, bonne nouvelle : il n’y a personne, mais c’est parce qu’on est allé chercher les pâtes !
Je m’assieds donc tranquillement, fais le ménage dans ma sacoche et y place mon sachet de ravitaillement numéro 2. Bon, le bidon à prendre est sur la zone moquette, mais j’entame avec plaisir le coca qui m’attendait au stand ! Et les pâtes arrivent même avant d’avoir fini le coca !
J’écarte les morceaux de saucisse Herta et d’oignon cru (pas top pour la digestion) en me disant avec humour que dans l’urgence du moment, le saladier contenant le mélange préparé venait de servir !
Je repars satisfait, car l’arrêt s’est déroulé en environ 15 mn. Je n’oublie pas mon bidon en passant devant la zone moquette. Et la ronde reprend tandis que s’éteignent les dernières lueurs du jour. La soirée a été plutôt ensoleillée !
Les encouragements éclairent à nouveau mon visage tandis que les projecteurs font de même pour la piste. Je n’ai aucune angoisse pour la nuit. C’est un des moments dont je garde le meilleur souvenir de mes 3 précédentes éditions par équipe. Mes nocturnes avec Georgi, Youb ou Yannick sont des musts dans ma vie de patineur.
Minuit – Premier café
Je sens à peine la fraîcheur et l’humidité qui tombent, la glisse et même la Dunlop sont faciles. Un coup de téléphone me sort de ma rêverie. Il est minuit, le café est prêt.
Je m’arrête donc à la zone moquette où m’est tendu un bidon de 50 Cl presque plein. C’est bien du café, complété par du lait ! J’explique gentiment à Andréa que le lait dans le café n’est pas prudent pour une bonne digestion. Et tout en buvant rapidement mon bidon de café pour ne pas le gaspiller, je confirme à Andréa que je suis d’accord pour 3 sucres quand même dans le prochain café. Le bidon doit resservir pour le coca prévu au prochain passage à 2h.
1h – 2ème café ?
La ronde reprend. Les spectateurs ne dorment jamais ? Je continue d’entendre des « allez JP » de temps à autres. Je pense à prendre un sucre de dextrose en attendant que le relais glucidique par les pâtes soit assuré.
On me fait de grands signes depuis la zone moquette. Je ne comprends pas ce que me dit le staff, mais je fais signe que je m’arrêterai au prochain passage. Il n’est pas encore 1h00, je m’arrête pour savoir ce qui se passe. Fabien me tend alors triomphalement le bidon rempli de liquide marron.
Ah ! Le coca déjà ! Pourquoi si tôt ? J’avale une grande gorgée de ce qui s’avère être du café noir. Contrarié par le planning inexplicablement modifié, pensant à libérer le bidon pour enfin obtenir un coca, ayant définitivement horreur du gaspillage, j’avale machinalement tout le contenu. Fort le café !
Mais c’est comme cela que je l’aime. Arrêté pour arrêté, je décide de m’allonger 20 mn au stand.
2h – L’incident
A la reprise, tout se passe bien, le café fait de l’effet ! C’est au passage suivant de la Dunlop que je me suis dit qu’il se passait quelque chose de bizarre ! Sans augmenter le rythme de patinage, mon cœur cogne fortement dans ma poitrine et je ressens les battements jusque dans ma tête ! Alerte !
Non, pas d’élévation de fréquence cardiaque, juste un cognement de tambour énorme. Je finis le tour en évitant d’appuyer sur les jambes, en espérant que le cœur va se calmer un peu. Je sens apparaître des brûlures d’estomac et commence à me sentir patraque. La Dunlop arrive, si facile jusque là. Et soudain plus de jambes.
Je finis le tour prudemment en constatant que je suis prêt de me casser la figure tellement mes jambes refusent de me porter. Direct au stand. Il est entre 2h00 et 2h30.
Je m’allonge immédiatement sur le matelas. Et presque aussitôt, je commence à être pris de violents tremblements. Des dents qui claquent aux jambes et aux bras qui tressautent dans tous les sens, je reconnais un état de choc.
Je ne souffre nulle part et mon cerveau continue à analyser normalement. Vite la couverture pour me réchauffer. 5 minutes après, pas mieux. Mon duvet est dans la valise à coté de moi. Je le sors rapidement en expliquant à Hervé et aux autres équipiers présents dans le stand ce qui se passe.
Un staffeur m’annonce que je viens de boire 8 expressos en moins d’une heure ! Et qu’on aurait compris que j’avais demandé 4 cafés avec trois sucres. Ceux qui me connaissent savent combien je suis opposé au dopage !
Au bout d’une demi-heure dans le duvet et sous la couverture, les tremblements convulsifs cessent enfin et je sens une vague de sueur m’envahir. Je patiente encore un peu pour confirmer l’amélioration apparente, puis tente de me lever. Guiboles flageolantes et violente nausée. Hervé qui me surveille me conseille de me recoucher et je suis d’accord avec lui pour essayer de dormir. Je tenterai de m’alimenter dès que possible.
Mauvaise nuit
Musique atroce dans les haut-parleurs des tribunes et effet du café sur le cerveau. Brûlures d’estomac et nausée, mais ça semble descendre plutôt que remonter. Après tout, c’est du liquide et ça doit passer vite. Je dors plus ou moins pendant une heure, puis une autre.
J’essaie de boire un peu d’eau. Nausée. Même pas la peine d’envisager du solide. La crise de foie est plus que confirmée. Je suis cependant très lucide et me force à rester couché en attendant que mon organisme élimine le poison.
Au lever du jour, je me relève, décidé à voir le médecin. Après une demi-heure d’attente et 10 secondes d’explication, il me tend un comprimé de Vogalène à faire fondre sous la langue. En passant devant le stand de l’équipe Marseille en Roller à qui j’explique pourquoi je suis arrêté, je me fais réconforter 2 minutes (trop gentille Domi, mais ça je le sais déjà) et on me donne un Smecta pour soulager mon estomac. Merci beaucoup les copains !
Je vais réussir à l’avaler, de même que quelques gorgées de Coca qui finissent de me remonter le moral. J’ai fini par l’avoir mon Coca, penserais-je avec humour !
Je prends alors des nouvelles du plat chaud souhaité vers 6h00 avec Martin. Plus au programme apparemment. Je mâche lentement une barre de céréales, finis mon Coca.
8h30 – C’est reparti
Mes jambes sont de nouveau là ! Il est 8h30 et je suis en train de tourner à nouveau. Je reprends mon rythme et vais directement au stand quand je m’arrête. Anthony a très gentiment remplacé Fabien pour le staff.
Mais je prépare mes bidons et ravitaille seul. Je perds peu de temps et maîtrise mieux le rythme. Les sensations sont de nouveau bonnes. Je calcule que j’ai la possibilité d’ajouter plus de 20 tours à mon compteur. J’estime avoir dépassé les 40 tours, mais impossible d’être renseigné par mon staff.
Je n’atteindrais pas mon objectif plancher de 70 tours, mais j’ai maintenant la confirmation qu’il était facilement accessible.
Je retrouve avec grand plaisir mes compagnons de piste à dossard rouge, vert ou noir. Les solos sont bien marqués par la nuit. Ils serrent de plus en plus les dents, les arrêts sont plus fréquents. J’ai presque honte de me sentir aussi frais à ce moment là. Le sourire est au maximum, il ne me quittera plus.
Je continue sur le même rythme qu’au début, de 13 minutes au tour, que je n’aurais aucune difficulté à conserver jusqu’à l’arrivée.
12h30 – Dernier repas
A part pour le blé au poulet basquaise de 12h30 (j’adore le poivron et manger un peu relevé à l’occasion, mais j’ai du trier à nouveau) qui m’a bien soutenu pour le reste de la journée, je ne me suis arrêté que pour changer de bidon.
Ils y étaient !
J’ai eu le plaisir de passer de longs moments avec Prosper, Turtle, rencontrés virtuellement sur Rollerenligne, mais aussi le Ch’ti, Mimie, Maryroll,Tux quelques Alstom-Riders et autres LOU-Rollers encore. Impossible par contre de rater Ratus ! Bises également à Youb et Sylvoutch, à Pierre 8WD, qui me rattrapant n’hésiteront pas à me consacrer un demi tour de circuit juste pour le plaisir de passer un moment ensemble. Bises également à Bernard, Lydia, Charlotte, accompagnateurs généreux d’autres participants, qui m’ont encouragé comme si j’étais dans leur team ! Toute mon affection également à tous les participants connus ou inconnus, pour les « allez Jean-Paul » et les « bravo solo » qui ne se sont jamais interrompus sur la piste.
L’arrivée
Gros moments d’émotion lors des derniers tours. Geste qui m’arrache encore une larme en l’écrivant : des participants de toutes équipes qui ralentissent, donnent une petite tape sur l’épaule ou une pression sur le bras, voire souvent une franche poignée de main en disant : « chapeau solo, ce que vous faites est formidable ». Grosse émotion encore en passant devant le regroupement final des solos en haut de la Dunlop. Je ralentis pour expliquer que je suis attendu par 4 coéquipiers d’Eurocopter.
Nous franchirons l’arrivée ensemble en agitant les drapeaux des 3 nationalités mélangées dans 3 équipes, avec également Martin, mon compagnon solo allemand. Étrangement, je suis tombé d’accord avec Seb (des Tigre) pour noter que la larme qu’on écrase à l’instant de franchir la ligne est encore plus grosse pour ceux qui applaudissent au bord du circuit !
Lendemain de course
Au lendemain de l’aventure, je me retrouve avec un léger mal de crâne, le dos un peu raide, les fessiers un peu sensibles en position assise et plus bizarrement, les bras un peu douloureux. Je comprends en y repensant : c’est pousser le patineur devant soi pendant longtemps qui provoque cette fatigue. En effet, le bras est tendu pour limiter le risque d’accrochage des patins.
La fatigue et la concentration relâchée (car elle serait épuisante dans la durée) rendent le patinage imprécis et parfois irrégulier. Mais mon état est remarquable, car je n’ai pas une ampoule, pas de tendinite, pas même une amorce de crampe. En clair, j’aurais pu faire encore de nombreux kilomètres, je trouve mes jambes merveilleuses.
Je suis un peu amer de constater que je ne peux compter avec certitude que sur moi-même. Mais je suis ravi d’avoir évalué correctement mes possibilités.
Presque déçu par l’absence de douleur et de souffrance. C’est certain, j’aurais pu donner plus. Probablement, j’aurais approché mes limites si je ne n’avais pas dû m’arrêter.
Les constats
Pour le staff d’un solo, il est indispensable qu’il pense comme vous ou qu’il vous connaisse parfaitement. Autrement, le risque d’erreur ou de perte de temps est trop grand.
Pour les staffeurs, j’imagine aussi que c’est frustrant. Ils ont essayé de faire au mieux, mais sans connaître le sujet. Il n’est pas question une seule seconde de leur en vouloir.
Pour la nuit, il faut impérativement se couvrir pour éviter toute perte de calories causée par la baisse de température et l’humidité. Lors de ma crise de foie, je n’étais pas loin d’être en hypothermie.
Coté organisation, les changements apportés par la Tribu Roller ont été plutôt positifs. Il manque toujours des douches dans le camping. L’application des pénalités prévues par le règlement a amélioré la sécurité dans la ligne droite, rendant cependant plus difficile le suivi des classements en temps réel. La suppression des sièges dans les zones moquettes a surpris les solos qui ont par contre apprécié de recevoir leur classement temporaire et final par SMS, presque en temps réel.
Je retiendrai que les passages de ravitaillement sur la zone moquette sont rendus pratiquement impossibles par l’interdiction faite au staff d’y accéder.
Le bilan
Le bilan de cette édition des 24H Roller est plutôt bon ! Je ne peux m’empêcher d’y associer les autre équipes du team Eurocopter, tellement l’esprit d’équipe y est incroyable.
L’équipe Tigre, 175 tours et 23ème au classement général monte encore une fois sur le podium du classement entreprises, derrière une intouchable équipe de semi-professionnels. 735 km parcourus à la vitesse moyenne de 30,6 km/h.
L’équipe Colibri fait 129 tours, se classe 278ème au classement général et prend la 26ème place au classement entreprises, sur 54. Ils ont parcouru 542 km à la vitesse moyenne de 22,6 km/h.
L’équipe Gazelle fait 118 tours, est à la 419ème place au général et à une belle 9ème place en classement féminin, sur 15 et parcourant 495 km à la vitesse moyenne de 20,6 km/h.
L’incroyable Martin fait la 7ème place du classement solo. Avec 109 tours, il s’intercale entre Sylvoutch et Youb, mes modèles français, en parcourant 458 km à la vitesse de 19 km/h ! Comme pour moi, c’est sa première participation dans cette catégorie.
Et je fais personnellement 64 tours, me classant 47ème sur 78 et couvrant 270 km dans la journée. Si je décompte mon « arrêt maladie », une paisible moyenne de 14 km/h, arrêts compris, m’aurait permis d’approcher 330 km. Mon meilleur tour s’est effectué à la moyenne de 23 km/h et je croisais facilement autour de 19 km/h.
C’est certain, j’ai l’intention de remettre ça l’an prochain.
Le retour
Lundi matin. Lever 10h30. Léger mal de crâne, dos raide. Comme après un week-end sportif en plein air, quoi ! Le retour en TGV s’est très bien déroulé.
Yamina, Toni, Seb, Hervé et Franck (dans le wagon voisin, car ils finissent le voyage à Marseille) et moi avons très peu dormi malgré la fatigue. Ils ont été très attentionnés pour moi, voulant à tout prix porter mes plus gros bagages. Ce n’est pas nécessaire car je suis dans un état remarquablement bon après mes 64 tours.
Un grand verre de jus de fruit bien frais, un grand bol de cacao bien fort et je me mets à rassembler mes souvenirs pour vous faire part de la seconde partie de l’Aventure. Forcément, il y a un avant : les mois de préparation et les milliers (7.000 km cette année ? ) parcourus, entre 100 et 300 km par semaine. Et un après.
Bizarrement, je ne sens pas de fossé. Ce que je viens de vivre me semble moins étrange que ce que je supposais. A part la tête un peu embrumée par le manque de sommeil et la fatigue (je dois me concentrer pour éviter les fautes d’inattention dans mon texte), je me sens dans un état déjà vécu lors de mes activités sportives passées.
Le plus bel hommage qu’on m’ait rendu est en allemand :
« Du bist unglaublich, ich habe dich niemals ohne das Lächeln gesehen ! ».
« tu es incroyable, je ne t’ai jamais vu sans le sourire ! »
Remerciements à Rollerenligne, Roller91, Youb pour une partie des photos. Remerciements aux Ailes Sportives Eurocopter pour leur généreuse participation.
Liens utiles
Le récit de JP2Copter sur le site des Ailes Sportives
Titre du lien 2
Titre du lien 3
Photos :
Long (roller-vitesse.com)
15 juillet 2008 at 14 h 36 min