La perception du roller et du patin à roulettes par le grand public

Par | Publié le 16 avril 2009 | Mis à jour le 16 novembre 2023 | Catégories : Toutes | Sous-catégories : Roller et société | 14055
| Tags : roller sociologie roller roller public perception roller sympathie roller

On peut dire sans trop se tromper que le roller a atteint sa maturité, à tel point qu’il pourrait bien rentrer dans le cercle des sports olympiques. Cependant, la perception qu’en a le public reste encore floue et confuse. 15 ans après la grande mode du roller en France, quelle est sa place dans le paysage français ?

perception pratiques roller small

La perception du roller et du patin à roulettes par le grand public – une image ou des images ?

La multiplicité des visages du roller ne facilite pas sa perception par les autorités, ni par le grand public. En effet, du patineur de street ridant les murets et les mains courantes, en passant par la patineuse artistique sur roulettes, et le patineur randonnée loisir arpentant les pistes cyclables, les modalités de pratique varient du tout au tout. Chaque profil de patineur et chaque pratique possède des aspirations et des attentes différentes. Malheureusement, elles restent difficile à distinguer au premier abord.

Ainsi, c’est souvent par méconnaissance que les profanes critiquent positivement ou négativement telle ou telle pratique, véhiculant des stéréotypes tels que :

  • Les « streeteux dégradent le mobilier urbain »,
  • ou encore  » Les patineurs loisirs ne savent pas patiner »,
  • mais aussi  » Les patineurs de vitesse sont de véritables sportifs. »
  • « Les descendeurs sont des inconscients de rouler si vite dans les pentes. »
  • etc.

Une pratique roller prévaut-elle sur toutes les autres en termes d’image ?

Au début des années 2000, l’image du patineur street était l’une des premières à venir à l’esprit du public. Et il était alors facile d’affubler l’ensemble des communautés roller d’une réputation mal taillée. Ainsi, l’ensemble de la population des patineurs, que ce soit les slalomeurs, les randonneurs ou encore les patineurs de vitesse étaient considérés comme des gamins immatures, voire des dangers publics.

Par conséquent, le traitement de la pratique par les autorités n’en était que plus uniforme. Elles reléguaient aux oubliettes les plus profondes des réalités sociologiques totalement antinomiques. Et c’est ainsi qu’on répondait à des clubs de roller course que s’il leur fallait un lieu pour pratiquer, le skatepark était tout adapté.

Au fil du temps, et probablement avec le recul de la pratique du roller street au profit du skateboard et de la trottinette, cette image a fini par moins coller à la peau des patineurs. Désormais, une nouvelle génération se réapproprie la pratique. Les enfants des années 1980-1990 sont devenus parents à leurs tours et le patinage retrouve une dimension plus familiale. Le roller quad a plus que jamais le vent en poupe, notamment chez les jeunes femmes qui pratiquent librement la roller dance. Elles suscitent l’intérêt du public en se réunissant en plein air pour travailler leur technique et leur chorégraphie avec une enceinte portable. On le voit, à l’image de ses pratiquants, l’image du roller est en perpétuel mouvement !

Rappel : tous les pratiquants roller ne font pas le même « sport »

Chaque pratique sportive est fondée sur un ensemble de codes, de normes et de valeurs qui lui sont propres. Ainsi, il ne faut pas considérer le roller comme une pratique unique ou un tout monolithique. Il s’agit bel et bien d’un ensemble de pratiques bien distinctes et identifiables, même si la frontière entre certaines d’entre elles reste poreuse. La chose peut paraître évidente pour un passionné de la roulette, mais ne s’avère pas aussi limpide pour un public non averti.

Par exemple, il existe parfois plus de valeurs en commun entre deux sports distincts qu’entre deux pratiques du roller. Par exemple :

  • Un rider en roller street, un skateboarder et un BMX partagent les mêmes spots et la même approche de l’environnement urbain, même s’ils ne s’entendent pas toujours bien.
  • Un patineur de vitesse possède des affinités avec le cyclisme, le triathlon, la course à pied, ou encore avec la natation. En effet, ces populations se positionnent dans une logique de performance, de résultats mesurable.

Ainsi contrario d’un patineur course, le patineur street va rechercher davantage la sensation, le vécu, l’expérience, la relation avec le spot et les autres riders. En 1995, le sociologue Alain Loret distinguait ainsi des pratiques dites « analogiques » et « digitales » dans son ouvrage « Générations Glisse ». Celles tournées vers le fun et celles tournées vers la performance.

 » Ce n’est pas parce que l’on utilise le même instrument / outil sportif que l’on pratique le même sport. »

Warren Digne, pratique le roller street
Warren Digne, pratique le roller street

Le système sportif est en pleine mutation

Dans l’esprit de beaucoup d’institutionnels, et depuis des dizaines d’années, le sport se pratique dans un lieu clairement délimité avec un cadre réglementaire clairement prédéfini. Or, depuis une vingtaine d’année, ce modèle est profondément remis en question comme le montre les études sociologiques menées en particulier par Alain Loret : le culte de la performance et du résultat propres aux sports « traditionnels » sont remis en question par des pratiques dites « californiennes ». Le sport s’oppose au « fun », au plaisir immédiat. Le plaisir a pris le pas sur le chronomètre. Pour Christian Pociello, Le « zapping » sportif est désormais de rigueur : on essaie une activité, on apprend rapidement les bases pour être rapidement autonome, on en essaie une autre…

Le sport fédéral et compétitif, en pleine crise, a d’ailleurs beaucoup de mal à gérer ces changements de mentalité et le turn-over est très important.
Il n’y a pas de réponse toute faite aux attentes des pratiquants. Il ne suffit plus de créer un endroit clos et d’y apposer une pancarte pour donner un cadre aux nouvelles pratiques sportives.
Les pratiques de glisse, par exemple, reposent souvent sur des logiques de « spots » (un lieu de pratique idéal) sur lequel les riders vont se retrouver, rider, avant de changer d’endroit. On constate donc une forme de nomadisme. Le trajet d’un spot à un autre fait partie intégrante de l’activité.

Les pratiques alternatives sont rarement encadrées par un professeur, le mode d’organisation change : les riders s’entraident, échangent, s’encouragent pour réaliser leurs figures, apprendre, se perfectionner. On pratique désormais seul ou en petit groupe, hors de tout cadre réglementaire…

Les riders s’appuient souvent sur les vidéos trouvées sur le web pour apprendre leur « tricks » (figures). Une culture dite « tribale » a remplacé le club. On se réunit parce que l’on a des valeurs en commun.
Il n’y a plus de contrainte de temps ou d’espace. On pratique quand on veut, où on veut. Cela peut être entre midi et deux en sortant du bahut, après l’école… la durée de pratique s’est également raccourcie.

Pratiquer seul mais avec l’autre

La présence de l’autre est indispensable. On pratique seul, mais on a besoin de l’autre pour être témoin de notre pratique, de nos exploits. On se place dans un processus d’individuation.
Les riders aiment le contact du public. S’ils réalisent des prouesses pour eux-mêmes, ils apprécient aussi de montrer leurs talents à un public souvent de passage. Les slalomeurs aiment que les passants s’arrêtent pour les regarder, leur disent quelques mots, les complimentent. Les streeters font de même, mais ils sont moins bien perçus, parce qu’ils font peur, qu’ils ont l’air moins « sages », que leur pratique est plus engagée physiquement, qu’elle est moins facilement compréhensible au premier abord. Qu’elle revêt des codes qui ne sont pas identifiable rapidement.
Le modèle traditionnel n’est pas mort, il se retrouve simplement face à des demandes alternatives.
Ainsi, la construction d’un équipement sportif n’est pas une réponse suffisante à une nouvelle demande de loisir à caractère sportif. Par définition, un skatepark est un lieu de pratique fixe, réglementé qui ne répondra que partiellement aux demandes des riders. De plus, un park ne va intéresser que les patineurs street qui ne représentent qu’environ 15% des pratiquants.

Différences de perception en fonction de la pratique

Pour schématiser, on pourrait distinguer 2 familles de pratiques : celles qui sont rapidement compréhensibles par le grand public, parce qu’elles ont des traits communs avec le monde sportif fédéral, et celles qui ne le sont pas parce leurs codes ne rentrent pas dans ce cadre institutionnel et que le public ne dispose pas des outils suffisants pour les decrypter.

Les pratiques à caractère sportif et compétitif

Les pratiques fédérales « traditionnelles », les plus anciennes, sont celles qui sont le plus facilement identifiables et interprétables par le grand public, parce qu’elles reposent sur des normes et des valeurs communes avec de nombreux autres sports connus de tous : un réglement, un lieu de pratique défini, des compétitions structurées, des performances mesurables…

Equipe de France de roller hockey
Roller hockey

le patinage artistique et la danse qui se pratiquent en lieu clos avec un règlement très précis et une forte codification. Sa ressemblance avec le patinage artistique sur glace, bien connu du grand public, facilite sa compréhension.

le Roller-In-Line-Hockey et le rink-hockey, se pratiquent également en lieu clos, normé, avec un arbitre, un règlement précis. Ils proposent des championnats structurés. Là encore, les similarités avec le patinage sur glace et des règles relativement abordables le rendent compréhensible par un grand nombre de personnes.

le patinage de vitesse : s’ils ne se pratiquent pas systématiquement en indoor, les lieux de déroulement des compétitions restent toutefois clairement définis. La pratique se fait là encore dans un cadre réglementaire précis et les patineurs sont également soumis à un règlement. Le public trouve dans ce sport des similitudes avec le cyclisme : peloton, vitesse, aspiration, tenues moulantes avec sponsors, casques de vélo…

Les pratiques de glisse alternatives

Quand Alain Loret parle des sports de glisse, il ne s’agit pas de pratique glissant au sens premier du terme, mais plutôt d’un ensemble d’activités dans lesquels les pratiquants recherchent le fun avant la performance, le plaisir par opposition à la compétition.

– l’essence du roller street et du freeride reste la rue, le passage d’un spot à un autre, la confrontation avec le milieu, bien plus qu’avec un potentiel « concurrent », l’adversaire est secondaire, seul compte les sensations ressenties en faisant la figure, le partage de plaisir avec les riders de la tribu quand on réussit un trick. Le public a du mal à comprendre cette pratique car elle ne repose pas sur des valeurs perceptibles facilement et difficilement comparables avec des sports traditionnels. D’autre part, la pratique compétitive du street reste encore largement minoritaire, marginale, peu connue…

Pratiquants de randonnée roller sur longue distance sur une voie verte près d'Evreux
Pratiquants de randonnée roller sur longue distance sur une voie verte près d’Evreux

la randonnée et la longue-distance : si elles s’apparentent à la vitesse, leur cadre d’évolution est beaucoup plus flou. Elles ne se pratiquent pas en compétition, on ne trouve pas de règlement à proprement parler. Là encore, le plaisir, la notion de liberté, priment sur la performance. On pourrait les apparenter au cyclotourisme.
Quelques pratiques comme le street, la descente, le street-hockey, le saut ou le slalom sont à la frontière entre ces deux familles que nous venons de définir. Leur pratique compétitive existe mais elles est en cours de structuration.

Conclusion

On peut pratiquer la même activité à caractère sportif que son voisin mais ne pas du tout mettre les mêmes valeurs derrière : ce qui semble similaire peut s’avérer très différent. Le roller regroupent des pratiques très variées que l’on peut difficilement ranger dans des cases : pratique de loisir, de compétition, en lieu clos, ouvert, réglementée ou non, valeurs, normes, organisation des groupes et des individus… Tous ces paramètres doivent être pris en compte pour comprendre au mieux les aspirations des pratiquants et apporter des réponses adéquates à leurs attentes. Les décisions politiques concernant les nouvelles pratiques de loisir à caractère sportif ne pourront se passer d’un regard sociologique…

 

Texte : Alfathor – Photos : JCB et Lionel B, Alfathor, SPR et droits réservés

Auteur

Alexandre Chartier

''alfathor''

Alexandre est le fondateur et webmaster de rollerenligne.com depuis 2003. C'est un passionné de roller en général, tant en patin traditionnel qu'en roller en ligne. Il aime le patinage à roulettes sous tous ses aspects : histoire, économie, sociologie, évolution technologique... Aspirine et/ou café recommandés si vous abordez un de ces sujets !

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    5 réponses pour “La perception du roller et du patin à roulettes par le grand public

    1. Régis

      Excellente analyse Alfathor.
      Le roller, dans sa variété, répond à une vaste palette d’expression sociale et sportive.
      La « philosophie » expliquée mérite un complément technique qui aidera encore mieux le public (ou les pouvoirs du même nom) à comprendre notre passe temps favori, qui pour certains pourrait devenir un moyen de transport quotidien.

      Je pense en particulier à rappeler des données spécifiques peu connues: vitesses, distances, difficultés de freinage, capacités de virages…

    2. MCBOIRIN

      Concernant le street, pourquoi ne pas faire des structures amovibles afin de rentrer dans le jeu du nomadisme ?

    3. jp2copter

      Certaines villes ont adoptés un mobilier exprès, avec structures en fer (il y a eu un sujet sur rel)
      Certaines structures peuvent être lourdes, mais certains en font, et les prennent en voitures ou les mettent dans un local de la Mairie.

    4. Alfathor

      C’est vrai qu’on nous prends un peu pour des « vagabonds », mais bon…ça donne aussi un p’tit côté sympa au sport!
      Parole de « streeteux »

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