Interview de Serena Giraud, championne du monde de roller artistique en ligne
A l'occasion du Championnat du Monde de roller artistique 2021 à Asunción (Paraguay), Serena Giraud est allé décrocher son premier titre mondial en artistique inline. Une consécration pour la patineuse Française qui flirtait avec la plus haute marche du podium depuis plusieurs années...
Par alfathor

Interview de Serena Giraud, championne du monde de roller artistique en ligne
Serena Giraud est la seconde patineuse artistique tricolore à décrocher une médaille d’or en roller artistique inline. Elle succède à Éric Traonouez en 2008.
Tout d’abord, félicitations pour ton titre. Cela fait un moment que nous attentions de te voir monter sur la première marche du podium !
Oui, merci. En effet, cela fait un petit moment. Bizarrement, c’est l’année où je m’y attendais le moins que cela arrive. Nous étions moins nombreuses que d’habitude. Je pense que plusieurs concurrentes ont abandonné ces dernières années avec la crise du COVID19. Ce n’est pas évident de garder le cap et la motivation dans ces conditions. Pour moi, sur ces Championnats du monde, il ne restait que les survivants ! (rires).
J’ai beaucoup travaillé durant cette période. j’ai gagné en régularité et en assurance. C’est aussi ce qui fait que j’ai pu prendre la tête le jour J.

Quelles étaient les concurrentes les plus sérieuses face à toi ?
Les deux Italiennes : Chiara Censori et Metka Kuk. Chiara est Championne du Monde en titre 2019. Metka est une compétitrice sérieuse en termes de technique et de saut.
Serena Giraud, tu avais un programme long original pour ce mondial, peux-tu nous en parler ?
Mon programme long était sur le thème de l’écologie. Je suis très engagée dans ma vie personnelle au quotidien sur ce sujet. En effet, je suis présidente d’une association qui a pour but d’inciter les gens à consommer de manière plus responsable. J’ai voulu donner du sens à mon programme. C’est pour cela que j’ai intégré le discours de Greta Thunberg à l’ONU en 2019 à mon programme, pour faire passer ce message.
» Je pense que l’urgence écologique et climatique est un problème à prendre très au sérieux. J’ai la chance de faire une discipline artistique qui permet de faire passer des messages. Pour moi, c’est très important de donner du sens dans ce que je fais. »
Ton programme a-t-il été bien accueilli ?
Oui, j’ai eu beaucoup de retours positifs, je suis vraiment très contente. J’ai eu de bonnes notes artistique. Cela a eu un écho plutôt positif.
Parles-nous de tes engagements associatifs…
C’est une association qui s’appelle Sedna. Le nom est emprunté à une déesse de la mythologie inuit. Elle symbolise la biodiversité marine et le respect de tous les animaux, ainsi que le respect de la femme.
Nous avons créé une monnaie virtuelle à destination des étudiants qui vient récompenser leurs écogestes. Ils peuvent l’utiliser dans des enseignes éthiques et durables sur Toulouse. Le but est de valoriser ces enseignes tout en incitant les gens à agir pour la planète.
Pour le moment le système est en test. Il est utilisé par 150 personnes. L’équipe de l’association est d’environ 10 bénévoles. Nous envisageons de lancer la version publique du système le 8 novembre prochain.

Peux-tu nous raconter ton parcours dans le milieu du roller ?
J’ai démarré le patinage à glace très jeune, à l’âge de 4 ans. Puis à l’âge de 7 ans, j’ai intégré un groupe « compétition », à l’école de glace. Je m’entraînais 2 fois par jour. j’ai commencé le roller en ligne en 2015, j’avais alors 16 ou 17 ans. Cela m’a beaucoup plus parce que c’était très complémentaire au patinage sur glace. Il est possible de faire les mêmes choses qu’en patinage sur glace, mais dans d’autres lieux. J’ai pu m’entraîner dehors par exemple. Quand j’ai appris que c’était un sport qui se pratiquait en compétition, j’ai tout de suite eu envie de continuer.
Petit à petit, je me suis entraîné en parallèle dans les deux disciplines. Aujourd’hui encore, je pratique les deux, mais davantage de roller. C’est une transition qui s’est faite petit à petit. Je continue cependant de faire un peu de compétition en glace.
Serena Giraud : que t’apporte la pratique combinée des deux disciplines ?
La réalisation des éléments technique est plus facile en glace. La glisse est aussi plus fluide. Je compare souvent le patinage sur glace à une Ferrari et le roller à un tank. Le patin sur glace est beaucoup plus léger. Tout paraît plus facile sur la glace. A contrario, le fait de pratiquer le roller me permet de m’améliorer sur glace, car tous les défauts de la glace sont amplifiés en roller.
Depuis que j’ai débuté le roller, j’ai eu de nombreuses opportunités de participer à des compétitions internationales. J’ai pu participer à des Championnats d’Europe et à des Championnats du Monde. J’avais déjà participé à des compétitions internationales sur glace, mais jamais à des Championnats d’Europe ou à des Championnats du Monde.
« Le roller m’a permis de vivre des expériences plus intéressantes en tant que sportive, au delà de parfaire ma technique. »
Serena Giraud
Serena Giraud : parles-nous de ton palmarès…
Mon premier Championnat du Monde était à Novara (Italie) en 2016 où j’ai eu une médaille de bronze. Ensuite, en 2017, en Chine, j’ai remporté l’argent aux World Roller Games. L’année suivante en 2018, en France à la Roche-sur-Yon, j’ai obtenu la médaille de bronze. En 2018 également j’ai été vice-championne d’Europe à Cork en Irlande. En 2019, à Barcelone, j’ai terminé 4e des Roller Games. Et enfin, cette année, Championne du Monde au Paraguay et vice-Championne d’Europe en Italie à Riccione.

De ce que j’ai pu comprendre, tu n’avais pas forcément le titre mondial en ligne de mire quand tu étais en Italie ?
Non, pas forcément. j’ai abordé cette saison un peu différemment. Je me suis surtout donné des objectifs de performance (battre mon record personne) et de faire passer mon message.
Comment sont structurées tes journées ? Entre le sport et les études à l’INSA, puis ton association, tu dois être bien chargée !
Oui, je suis en 5e année à l’INSA, je fais double cursus d’ingénieur à l’INSA et d’école de commerce à la Toulouse Business School. Avant je doublais mes entraînements : glace le matin ou le midi et roller le soir. Maintenant, je m’entraîne 4 fois par semaine sur roller et 3 à 4 fois par semaine sur glace. Cela fait 8 entraînements par semaine, sans compter la préparation physique.
C’est un rythme que j’ai depuis que je suis toute petite. Cela fait partie de mon équilibre au quotidien. Je ne vois pas ça comme une contrainte. Si je ne patine pas, j’ai du mal à me concentrer en cours. Il faut bien dormir et bien manger. Je fais aussi attention de garder du temps pour moi et pour mes proches. Je me fais violence de temps en temps pour ne rien faire et de prendre du temps pour moi, pour voir les amis, la famille et ne pas « péter un plomb ».
J’ai constaté que ton école avait mis un mot sur ses réseaux sociaux pour te féliciter !
Oui, j’ai énormément de soutien de la part de l’INSA. Mon école est incroyable avec tous les sportifs. Elle laisse les sportifs aménager leur emploi du temps comme ils le souhaitent. Tous mes camarades aussi étaient très contents pour moi. Voir que tout le monde était au courant, c’était vraiment un bon moment et cela fait très plaisir.
Serena Giraud : quel parcours professionnel ambitionnes-tu après tes études ?
Je ne sais pas vraiment. C’est pour cela que j’ai élargi ma formation au commerce. et au management, en plus de l’ingénierie. Si l’association que j’ai créé pouvait me permettre de vivre, ce serait super.
» Je ne sais pas quel métier je ferais. Ce que je sais c’est qu’il faut qu’il ait du sens. Si je dois faire un métier, j’aimerais avoir un impact positif sur l’environnement et sur la planète, dans ma vie de tous les jours. «
Serena Giraud
Faire de la gestion de projet dans un secteur environnemental serait un but.
Parlons un peu de l’encadrement et des personnes qui travaillent avec toi autour de ce projet sportif
Mon entraîneur s’appelle Alexis Tejedor. Je travaille avec lui depuis presque 5 ans. C’est un entraîneur de quad à l’origine qui a également fait du inline. Je le respecte énormément. Il est pour beaucoup dans cette médaille. Je travaille aussi avec Frédéric Guitton qui est entraîneur à Gujan-Mestras. Nous travaillons tous les trois sur la partie technique à Bordeaux. Ensuite, pour la partie chorégraphique, je travaille avec Priscilla Brunet et Adrien Vignon. Ils m’aident à monter les programmes. Ce sont des entraîneurs de danse sur roller. Je vais à la Roche-Posay pour travailler avec eux, depuis 3 ou 4 ans.

Est-ce que tu parviens à t’entraîner avec d’autres patineurs au cours de l’année ?
En inline, cela a été difficile pendant le COVID. C’est vrai que j’ai été un peu seule. Avant, il y avait Manuela Ruiz avec moi, qui a arrêté sa carrière. C’est vrai que cela a laissé un grand vide. Je m’entraîne avec les patineurs du club de Saint-Sulpice, mais elles évoluent en quad. En inline, je suis assez seule à Toulouse. Ce n’est pas facile, d’autant que les regroupements nationaux ne sont pas très fréquents. Cela me manque beaucoup.
Comment parviens-tu à te jauger ?
Je regarde beaucoup de vidéos. Je suis les compétitions de référence pour voir où en sont les concurrentes. Aujourd’hui avec les réseaux sociaux, c’est assez facile.
Quels sont tes objectifs pour les années à venir maintenant que tu as décroché le titre de Championne du Monde ?
Je ne pense pas que je vais m’arrêter là, parce que dans ma tête je n’étais pas censée m’arrêter après ce mondial. Ce n’est pas une fin en soi. Si ce titre se reproduit, ce sera super. Cette année, j’aimerais continuer sur cette lancée et donner du sens à ma pratique. Je continuerais tant que je trouverais du plaisir dans ma pratique. Je vais me préparer pour le mondial et les World Skate Games en Argentine, pour être au mieux de mes possibilités. Ensuite, je ferai au jour le jour, en fonction de mes envies et de mes possibilités.
Avec le confinement, le roller revient en grâce. Serena Giraud, quel avenir vois-tu pour le roller artistique inline ?
Le roller reste un sport émergent. C’est un sport d’avenir. Entretenir des patinoires à glace est très énergivore alors que le roller ne nécessite pas d’infrastructure particulière. Une esplanade assez plate suffit pour patiner. J’ai vraiment l’impression que ce sport est de plus en plus pratiqué dans le monde. Il va devenir de plus en plus populaire.
Est-ce que ça t’arrive de patiner en extérieur ?
Oui, en particulier pendant les confinements où il n’y avait plus de gymnases accessibles. J’ai même roulé sur des parkings. Quand on a le choix entre gymnase et extérieur, bien sûr on choisit l’intérieur. Mais s’entraîner dehors est possible et on s’y habitue.
Quel regard portent les passants que tu as pu croiser sur le roller artistique en ligne ?
Les gens connaissent l’équivalent sur glace. Ils sont très étonnés de voir ce que l’on peut faire sur roues et que c’est finalement assez proche de ce que l’on peut faire sur glace. Cela leur donne envie d’en savoir plus. En tant que spectateur, il n’y a pas vraiment de différence entre roller et patinage sur glace.
Quand je m’entraîne dehors, les gens passent, s’arrêtent et demandent des renseignements pour acheter les mêmes patins. Cela pourrait effectivement être bien de mettre en place de petites représentations pour aller à la rencontre du public et faire connaître le sport aux gens.

Beaucoup de patineurs sur glace ont acheté des inline. Est-ce que tu connais des personnes qui ont fait cette démarche et eu envie de prolonger leur pratique ?
Les patineurs en compétition sur glace à vouloir passer au inline sont assez peu nombreux, contrairement aux gens qui posent des questions pour acquérir du matériel. A mon avis, les compétiteurs utilisent essentiellement le roller en ligne comme un outil d’entraînement avant de revenir sur glace à la réouverture des patinoires.
Tribune libre : si tu souhaites ajouter quelque chose…
La famille joue un rôle très important dans le développement d’un sportif. Que les parents n’hésitent pas à soutenir leurs enfants dans leur pratique, c’est le plus beau cadeau qu’ils puissent leur faire. Sans ma famille, je n’en serai jamais arrivée là.
Serena Giraud, souhaites-tu formuler des remerciements pour conclure ?
A tous mes entraîneurs et à l’équipe qui me suit : Alexis, Frédéric, Priscilla, Adrien, à ma famille, mes parents, mes proches, mes amis qui sont obligés d’essuyer des refus quand ils me proposent de venir en soirée.
Merci Serena Giraud ! Bonne continuation !