Interview : Matthieu Barrault
Matthieu Barrault, médaillé d'argent des derniers championnats de France de Grand Fond 2009, conjugue avec brio une pratique de haut niveau et la préparation des jeunes générations. Il a bien voulu répondre aux questions de Vincent Esnault...
Par alfathor

« Je vais essayer d’apporter ma pierre à l’édifice ! »
Quand on envoie un satellite dans l’espace, on ne peut pas se permettre de prendre le moindre risque : tout doit être méticuleusement pensé et calculé. Quand on s’investit sur plusieurs fronts à la fois, sur celui de la compétition (dans la catégorie Elite) et sur celui de la préparation et du suivi d’athlètes (avec un club ou pas), il en va de même. C’est sur la base de cette comparaison qu’il faut lire l’interview de Matthieu Barrault. Car ils sont peu nombreux, les Elites qui jonglent avec plusieurs casquettes et avec brio. Le médaillé d’argent des derniers championnats de France de Grand Fond 2009 a bien voulu répondre à quelques questions, sans dévoiler tous ses secrets de fabrication, mais en apportant un regard positif sur le roller de vitesse en général…
Bonjour Matthieu. Peux-tu nous résumer ton parcours sportif en quelques lignes. Il paraît que tu as commencé le sport sur l’île de la Réunion…
J’ai fait toutes sortes de sports quand j’étais plus jeune : du foot, de la natation en sport étude, du judo, du badminton… Et puis un jour, ma mère est tombée sur un club de roller, et c’est elle qui a eu l’idée de m’y inscrire : elle n’en avait jamais vu mais elle savait que j’allais aimer la glisse et le fun de ce sport. C’était dans la ville du Port, sur l’île de la Réunion en effet. C’est un peu à cause d’elle que je suis là aujourd’hui ! Sinon j’ai fait une pose dans ma pratique du roller pendant deux ans dernièrement, et je me suis attelé au rugby : je jouais ailier ou 3ème ligne selon la taille des mecs d’en face.
Cela va faire une dizaine d’années que tu coures parmi les Elites. Quel regard portes-tu sur cette catégorie avec le recul ?
J’entends un peu de tout sur cette catégorie. Les plus vieux pestent et trouvent que ça ne roule plus aujourd’hui : « avant ça roulait dans la cuve pendant 10 km à Gujan aux 3 Pistes ! » Forcément, il n’y a plus dix Salomon ou dix Rollerblade pour faire le train… Certains, pourtant moins vieux, trouvent effectivement que le niveau a baissé globalement. Avant, nous avions un bloc de quatre patineurs qui trustaient toutes les courses (Arnaud Gicquel, Pascal Briand, Frank Cardin et Baptiste Grandgirard), puis quelques autres très forts juste derrière (Yohan Langenberg, Alban Cherdel, Mathieu Grandgirard, Fabien Rabeau) qui ont dominé plusieurs années. C’étaient de valeurs sûres au niveau international, sans oublier les légendes inimitables sur longues distances : Benoît Pertuis, Tristan Loy, Philippe Boulard.
Derrière c’était plus difficile d’exister, même si beaucoup ont bénéficié d’une politique d’ouverture en équipe de France pour aller glaner quelques résultats aux championnats d’Europe quand l’occasion s’y prêtait. Et puis ils se sont arrêtés plus ou moins d’un coup, et en très peu de temps nous avons perdu plusieurs patineurs de très bon niveau. Mais de l’autre côté, nous en avons récupéré d’autres de classe mondiale. S’ils brillent moins, c’est aussi parce que le contexte leur est moins favorable et, surtout, la concurrence internationale est peut-être encore plus forte aujourd’hui ! Il y a moins de moyens et nous n’avons plus ce club des 4 fantastiques qui pouvaient se permettre de courir une coupe du monde tous les week-ends, mais les courses sont toujours aussi disputées, vous pouvez me croire ! Simplement, à titre d’exemple, prenez une finale 500 m sur un championnat de France aujourd’hui, ils sont tous médaillés aux championnats du monde : Nicolas Pelloquin, Gwendal Lepivert, Julien Despaux, Thomas Boucher, Kévin Gauclin… Et avant, en série, il aura fallu se cogner des juniors qui montent et qui ne pensent qu’à ça comme Elton De Souza, Nolan Beddiaf… Bref, en y regardant de plus près, on peut voir que le plateau est quand même extrêmement relevé !
Et je ne vous ai pas parlé des courses de fond… Dois-je rappeler les noms ? Alexis Contin, Yann Guyader, Ewen Fernandez, Brian Lépin… Je ne cite pas les autres, mais il faut savoir que les quinze derniers tours du 10 km à Pibrac aux 3 Pistes se sont courus à une moyenne de 15″20 (merci Adrien), du jamais vu…
Bref, je crois que la catégorie Elite mérite aujourd’hui pleinement son appellation. Ce qui est sûr, c’est que plus de patineurs patinent mieux et plus vite qu’avant et ça, c’est une réelle progression !
Ton parcours sportif semble atypique : plutôt spécialisé dans les marathons et les longues distances par le passé, tu sembles vouloir accorder de plus en plus de l’importance aux courses « traditionnelles »…
En effet, je n’ai jamais été à l’aise dans les courses traditionnelles : je manquais de technique (donc de vitesse) et je manque surtout de capacité pour être performant. Aujourd’hui, c’est toujours aussi difficile pour moi mais j’ai progressé avec les années et j’arrive à me faire plaisir, d’où mon intérêt grandissant pour ces courses-là. Quand je suis devenu entraîneur, j’ai du à un moment me poser la question de savoir si je savais faire moi-même ce que je tentais d’enseigner aux jeunes. Alors je venais tous seul sur la piste, une heure avant le début des entraînements, pour tenter d’exécuter les gestes que j’allais leur apprendre. Indirectement c’est ça qui m’a fait progresser, et aujourd’hui, je passe le tour lancé à Pibrac en moins de 14,3″ ! (avis aux spécialistes).
C’est quand même sur les courses « longue distance » que tu as fait ton palmarès. Entre tes podiums aux championnats de France de Grand Fond et ceux glanés çà et là sur les marathons FIC et/ou à New York, qu’est-ce qui te rend le plus fier ?
Mes cinq victoires aux 24 Heures du Mans ! Je ne connais pas de courses plus dure et plus intense.
Ton emploi du temps n’est pas le moins chargé. Comment organises-tu ta vie et tes entraînements ?
Pour pouvoir gérer en fonction de mon travail et des entraînements que je dois assurer à Pibrac, je dois être vigilant sur ma récupération. J’essaie de ne faire que du qualitatif en roller, et c’est le vélo qui doit assurer ma base de foncier. Et puis j’ai une méthode que j’ai élaborée avec les années qui me permet d’encaisser tout ce que j’ai à faire sans sombrer physiquement, mais là je vais en garder un peu pour moi… Cette année, j’ai un bon sparing partner à l’entraînement, Julien Sourisseau, qui est sans conteste le patineur le plus cinglé que j’ai jamais connu. Du coup, j’ai laissé un peu ma méthode de côté et j’ai signé avec lui pour m’investir dans sa préparation.
Tu entraînes également des jeunes. Est-ce une « envie » qui vient naturellement ?
Cela fait maintenant neuf ans que je vis à Toulouse et que je fréquente le club de Pibrac. Lorsque le précédent entraîneur a quitté ses fonctions, le club nous a sollicité, Mathieu Miquel et moi, pour reprendre la suite, et nous avons accepté. L’envie est venue ensuite tout naturellement. Nous sommes deux pour pouvoir gérer tous ça, sinon je pense qu’on ne s’en sortirait pas. Les jeunes sont ma plus grande passion. Mais ce sont aussi ceux qui me donnent le plus de boulot ! Tous les ans, nous évoluons avec eux et nous nous lançons ensemble dans la construction de chaque saison en partageant les réussites et les échecs. C’est très intéressant car c’est un réel challenge de gérer tout ça et d’essayer d’en faire de meilleur patineur à chaque instant. En tout cas, je les admire de nous supporter…
Tu es devenu vice-champion de France de Grand Fond en 2009. Quel symbole donnes-tu à cette médaille d’argent ?
15 jours avant cette course, j’étais à New-York pour mon énième participation aux 100 km. J’avais tenté de me préparer au mieux car je m’imaginais que c’était peut-être la dernière. Pendant la course, je me suis rendu compte que je n’avais jamais était aussi fort physiquement dans ma carrière de roller.
Mon expérience et ma maturité ont fait que j’ai su en quelques mois seulement me préparer pour un objectif donné : c’était plutôt gratifiant. Courir le championnat à Lourdes n’était pas forcément prévu à la base dans mon programme, car je n’avais pensé qu’à la course de New-York. Mais étant lancé, c’était dommage de manquer ça. Et puis je m’entraînais déjà avec Julien, alors on s’est plus ou moins défié et on a signé. Cette médaille a une signification particulière. Le circuit était idéal pour un marathon : dur et sélectif. Même si nous n’étions que douze au départ de la course, je connaissais ma valeur et c’est ce qui compte. Si les trente autres Elite avaient été au départ de cette course, j’aurai très probablement fait le même résultat car il fallait venir nous chercher dans la bosse Julien et moi ! Là encore, sur ma lancée, je me suis investi pour la saison 2010 pour profiter de ma progression constante, d’où la réponse à la question n°3…
La saison 2010 a commencé avec quelques courses traditionnelles. Comment t’es-tu senti sur le Trophée des Trois Pistes, où l’on t’a souvent vu en tête du peloton ?
Je n’étais pas trop mal pour les 3 Pistes. Les courses à Pibrac ont été très dures pour moi, je crois que ça n’a jamais roulé aussi vite sur cette piste (voir réponse à la question n°2). Mais je me sentais mieux de jour en jour. Le lundi à Gujan j’ai fait une bonne place le matin, mais j’ai chuté l’après-midi. J’étais satisfait car je me démontre que j’ai un niveau correct pour pouvoir faire ma place et me faire plaisir : c’est ce qui compte !
Quels sont tes objectifs pour cette nouvelle saison ?
Défendre ma place au France Marathon, même si ce sera plus difficile étant donné la nature du circuit cette année. Ce sera plus facile pour beaucoup car il n’y a pas de difficulté et la différence ne pourra pas réellement se faire à la canne comme on dit ! Ensuite, profiter de mon état de forme pour participer à un maximum de courses avant que je ne dise stop et que je ne passe à autre chose. Je vais pousser jusqu’au France Piste, et après je verrai.
Et pour clôturer cette interview, que penses-tu pouvoir encore accomplir dans le roller de vitesse ?
En tant qu’entraîneur, je continuerai d’essayer de progresser et d’apporter tout ce que je peux aux personnes qui me font confiance. Aujourd’hui, il y a le club de Pibrac avec qui je collabore depuis trois ans, mais je travaille avec d’autres patineurs indépendants également. Je ne compte pas m’arrêter de si tôt, car j’y prends énormément de plaisir et je suis en train de développer de vraies compétences. Plus globalement, tant que je resterai dans le milieu du roller, je vais essayer d’apporter ma pierre à l’édifice pour tenter d’améliorer sans cesse les choses. Nous travaillons beaucoup avec les autres entraîneurs pour confronter nos points de vue sur les diverses améliorations que l’on pourrait apporter sur l’entraînement, l’organisation des courses, la formation des jeunes, le haut niveau…
De plus, il y a aujourd’hui, je dois le reconnaître, un vrai dialogue entre les entraîneurs de clubs et les instances dirigeantes (entraîneurs de pôles, CNC, sélectionneur), et ça aussi, c’est un vrai progrès ! Nous travaillons également ensemble pour tenter de faire progresser notre sport. Pour la course, je vais voir jusqu’où j’arrive à me porter en improvisant à chaque instant. Je n’ai plus d’objectif précis ou de désirs particuliers, même si je nourris quelques ambitions… Mais je prendrai le temps d’y réfléchir et d’en parler à l’occasion !
Et bien merci Matthieu, et bonne chance pour la suite de la saison !
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Photos : Cyril Abbas (Roller-Numérique)
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