Rencontre avec Franck Andersen, livreur à roller
REL est parti à la rencontre de Franck Andersen, fondateur de Roller Partner, une société de livraison à roller à Boulogne (92). Comment combiner passion du roller et vie professionnelle...
Par alfathor

Franck Andersen fait de sa passion du roller un métier
A l’heure où nombre de personnes se demandent comment vivre de leur passion du roller, Franck Andersen a franchit le pas. En effet, il a monté son entreprise de livraison à roller.
Bonjour Franck Andersen, comment as-tu débuté le roller ?
Un jeu de gosse qui commence devant (et à l’intérieur) de la maison. Ensuite danse sur glace, puis retour au patinage à roulettes. A Dijon, on était un groupe d’irréductibles qui écumait tous les spots possibles. Loulous des rues, on s’adonnait à des démonstrations pour le moins spontanées au centre ville, un peu comme les parisiens au Trocadéro. Slalom old school, acrobaties, on avait la ride dans notre ADN, parfois jusqu’au bout de la nuit.
Qu’est-ce qui t’a motivé à passer le brevet d’état ?
Plus de 20 ans de roller forgent l’envie de pousser le propos dans une discipline ou une autre. Personnellement, j’avais envie d’une approche plus structurée et plus pédagogique. Déjà, je désespérais mes parents quand je leur annonçais que j’allais vivre du roller. Quand j’ai eu cette occasion j’ai « pris le train » du seul diplôme possible. Ça tenait autant du bons sens que du militantisme à destination des parents.

Comment t’es venue l’idée de créer Roller Partner, ta société de livraison à roller ?
J’officiais dans les Hauts-de-Seine en tant que moniteur (j’aime pas dire prof’) pour madame-monsieur. Je dispensais mes cours sur rendez-vous pour de l’initiation au déplacement urbain. J’adore l’exercice gratifiant de la pédagogie. Je trouve que rien n’est plus noble que de donner de l’autonomie et rendre quelqu’un libre. De plus, je me suis aussi formé à la sophrologie sportive ce qui permet de comprendre que les mots peuvent transcender l’accomplissement psychomoteur et les performances sportives. Je suis féru de pédagogie, j’ai même accompagné des sportifs.
Bref pour revenir à Roller Partner, je devais créer une structure libérale pour les cours. Mais un peu la force d’une demande, un peu la saisonnalité stricte des cours de roller, j’ai étoffé mes prestations après avoir régulièrement rendu service en traversant la ville sur demande pour de menus services.
Fréquemment on me disait :
» » Tiens, comme t’as les rollers aux pieds, tu veux pas me transporter ça ? « A la suite de quoi la réflexion sur cette logistique de proximité s’est imposée d’elle-même et le montage du modèle économique aussi. »
Franck Andersen
J’ai conceptualisé mon offre sans savoir ce que l’on allait bien accepter de confier à un type qui a des rollers. Il y a donc un dieu pour les pragmatiques. Nécessité a fait loi. J’ai vécu quelques instants de bonheur quand les clients, plus que moi-même, tordaient le cou à tous mes doutes sur l’avenir de mon service en me disant :
» Franck, on a pensé à vous parce que c’était intransportable autrement qu’en roller. «
Un client de Franck Andersen
Vrai ! (métal en fusion pour un prothésiste – panneau en contre-collage de 0,90 X 2,50 mètres – poisson rouge dans son aquarium).
Quel type de société as-tu monté ?
A l’époque le statut d’auto-entrepreneur n’existait pas, j’ai opté pour la création d’une SARL. Là je viens de migrer vers d’autres formes juridiques, parce que j’arrête le service course et migre vers des demandes de consultations sur la mobilité et en sophrologie.
Comment se répartissait ton emploi du temps entre cours de roller et livraison de plis ?
Pendant 10 ans, sur le papier, j’ouvrais au service du lundi au vendredi de 9h00 à 18h00. Je commençais rarement avant 10h00 et je terminais mes journées à 19h00. Parfois plus tard quand un client dans une boite de production me le demandait. Il pouvait arriver qu’un client me booke sur un travail spécial en flux tendu ou bien parce que la diffusion d’une émission devait intervenir dans la foulée type post-production-régie finale diffuseur en méga-urgent.
As-tu exercé d’autres métiers Franck Andersen ?
Je ne vais pas pouvoir étaler beaucoup de métiers sauf ceux que j’ai fait rollers aux pieds. Pardon si j’ai été cohérent ou mono-maniaque (rires) mais toute ma vie n’a été que Roller & Entreprises. Sauf 7 ans chez un traiteur de luxe, dont j’ai conservé je pense, la notion de service que j’y avais développée.
Chez Carrefour, rollers aux pieds pour un poste en intra sur site (5 ans), ça été ma première expérience d’utilisation de cette ergonomie roller. J’avais un chef de service open-minded qui avait réévalué la définition de poste. Ah oui, également à la CERP Rhin-Rhone, grossiste en médicaments dans une immense entrepôt. Et puis avant et derrière ça j’ai répondu à des demandes différentes attelées à des budgets publicitaires pour des opérations de street marketing, distribution, portage en ville.
Tu parviens à vivre de ta passion, arrives-tu encore à rouler pour le plaisir ?
J’ai heureusement mixé plusieurs services et pas seulement le portage ou la messagerie de proximité. D’abord pour réguler le chiffre d’affaires, ensuite pour varier les plaisirs. Seulement, être à son compte est prenant et demandeurs de beaucoup de compétences.
Il a été un peu grand pour moi le costume d’entrepreneur au début. Et puis la fatigue et la gestion de la prophylaxie du métier [NDLR : gestion / prévention des risques de maladie] m’ont accaparées et passionnées. Sur la question de l’argent, je suis surtout riche de mon expérience de rider « all seasons » et des rencontres magnifiques que j’ai faites. Car le roller transcende les clivages et crée de la sympathie. Si vous avez un minima le sourire (surtout par gros temps dehors), ça crée des choses et les gens vous respectent.
Quant au plaisir de rouler, il devient très relatif selon les conditions météo justement.
» Même en travaillant pour soi, quand on devient un rider avec un service, une marque, des obligations de résultats, On ne roule plus pour soi. Mais pour un client et une marchandise transportée. Alors on sent bien que rouler devient un métier où la précipitation et la frime sont l’antithèse du Rider pro et de son obligation de résultat. »
Franck Andersen
Comment trouves-tu tes clients ?
J’ai la chance immense d’avoir bénéficié d’un corporatisme local. En effet la concentration d’entreprises de production audiovisuelles à Boulogne (clientèle que je ne visais pas spécialement) s’est passée le mot. Ah oui ce coup mémorable :
» Comment tu fais pas encore bosser Franck ? Y a longtemps qu’on est passé au roller chez KM ! «
(sic Renaud Le Van Kim, réalisateur du Grand Journal, en pleine réunion avec les associés d’ALP et moi sur la moquette à savourer ces présentations. Modestement, debout dans mes rollers, le comique de situation a travaillé pour moi souvent commercialement. Tant et si bien que je laissais ma carte là où on m’appelait, le bouche-à-oreille a fonctionné. C’était super réconfortant.
Écoprod m’a même interviewé dans le cadre de leur démarche qualité. Le tour était joué concernant mon rattachement officiel aux professions du petit écran. J’étais ressenti davantage comme un assistant « augmenté » d’une paire de rollers, qu’un coursier aléatoirement désigné par sa flotte. Mes clients me diligentaient pour des plis sensibles et notamment pour le portage des fameux PÀD (prêt-à-diffuser) si anxiogènes pour les producteurs de programmes. En fait c’est la cassette que la chaine lance depuis la régie finale et qui fait que le téléspectateur voit l’émission. Mais je sens que la dématérialisation va passer par là et changer le métier.
Franck Andersen, tu as déjà croisé des personnes qui voulaient faire la même chose que toi ?
J’ai des mails réguliers de personnes qui s’interrogent sur leur vélléités de faire coursier. Souvent ces personnes m’interrogent sur la faisabilité, d’autres veulent un job. Or, on est en France et j’ai renoncé à développer le service sur ce métier de messagerie. Pour être précis, le carcan du droit du travail qui entoure l’emploi, a terminé de doucher mon enthousiasme de petit entrepreneur sur ma vision de développement.
S’ajoute à cela l’indifférence et le manque abyssal de pragmatisme des écologistes politiques à faire bouger les lignes pour un droit social équitable au regard de la pénibilité-écocompensatrice. Avare d’un twitt d’encouragement pour la plupart, qu’ils restent dans l’hémicycle à se redistribuer les cartes. J’ai décidé que la messe était dite* J’ai un souvenir impérissable de Cécile Duflot* croisée aux Studios de Boulogne ou Jean-Vincent Placé, à l’arrière de sa C6.

Que dirais-tu à une personne qui aurait envie de se lancer aujourd’hui ?
A leur compte? Euh… mon conseil aux personnes qui voudraient faire coursier… (rires) :
- Relire cet interview. Notamment les deux questions suivantes à haute voix,
- Aller dormir ensuite,
- Demain devant le miroir de la salle de bain, se demander : « Alors j’y vais ? «
Quels sont les meilleurs moments pour toi Franck Andersen ?
Le satisfaction du client qui te gratifie de sa confiance, parfois pour des opérations spéciales où tu sais que tu transportes la somme de tout le travail d’une équipe et/ou d’une entreprise. Le temps sec naturellement. Les rencontres. La vibe et la magie avec laquelle s’enchainent parfois les courses. Le hasard aussi je veux dire, celui des appels téléphoniques. Ce qui me fait penser parfois que le hasard n’existe pas. Comme dirait mon ami David N’Guyen, #NoLimitRollerSpirit (rires).
Quand t’es mal luné, le téléphone sonne à chaque fois pour retourner à l’autre bout d’où tu viens de partir. Et curieusement, quand tu t’es conditionné le matin après une nuit réparatrice, tu t’aperçois toujours au bon moment, au bon endroit que le téléphone sonne, que c’est fluide, presque la sensation d’avoir le don d’ubiquité. T’es en harmonie avec une ville qui te veut du bien quoi.
Et puis la consécration. Commandité par mes clients producteurs et chaleureusement encouragé par l’esprit entrepreneurial de David Lisnard, maire de Cannes himself, mais l’homme est rare et ainsi de bénéficier d’une dérogation pour travailler sur la Croisette pendant le Festival du Film et juste…faire le job.
Les pires ?
La pluie et toutes les contraintes physiologiques : hydratation, énergie indisponible, acidose lactique, nuit agitée qui précède et te coupe la vigilance. Une journée glissante compte quasi double en terme de force musculaire sollicitée à cause du gainage des jambes.
Tribune libre pour toi Franck Andersen, si tu veux ajouter un mot pour conclure…
Avoir su créer de la confiance avec ce mode de transport pendant 10 ans, ça et les rencontres, c’est ce qu’on ne pourra jamais m’enlever, je peux aller dans la formation et ça c’est très réconfortant. Travailler rollers aux pieds ressemble à tout sauf ce que ça à l’air d’être. Ce n’est pas la Californie.
Plus loin, même en admettant l’absence d’acrobatie, le job n’est pas de monter aux arbres, après tout. L’amplitude horaire sur l’année, la météo, les distances, le manque de linéarité des demandes d’une semaine à l’autre, tout ceci classe cette activité dans la pratique extrême. Si on ne l’est pas totalement, on devient un rider (ou pas).
En somme, rien d’impossible, il faut seulement le mental d’un marin, la force des gens du bâtiments et la discipline d’un pompier pour embrasser cette fonction sur des heures et des années. Si c’était à refaire, je le ferais parce que faire ça ou autre chose quand on accorde encore de la valeur au travail et à la beauté du geste…
* Anecdote Cécile Duflot – je me la garde pour moi mais demandez-moi :+)
Pour aller plus loin
Interview : Alfathor – Reelcture : Iggnorance – Photos : Franck Andersen
J
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