Claude Viltard – 2ème des 24 Heures du Mans Roller 2013 en solo
A 47 ans, Claude Viltard consacre toute son énergie aux courses solo, que ce soit sur le Bugatti ou sur le circuit des 6 Heures Roller. Il nous livre le récit de ses 531,495 km réalisés non stop en 2013 à l'occasion des 24h du Mans...
Par
alfathor

Et juste Solo avec encore beaucoup d’autre projets…
Deuxième au mans 2013, vainqueur du Challenge des 6 Heures Roller 2013, Claude Viltard est un briscard de la discipline.
Souvenirs du Mans 2012 et perspective du Mans 2013
Durant les 15 jours qui précédaient Le Mans, J’ai dû me connecter 10 fois par jour sur le site de Météorama : pluie, vent, nuages, froid et soleil, j’ai certainement vu toutes les météos et échafaudé tous les scénarii possibles. Je savais que ce serait pour tout le monde pareil mais, j’avais toujours le souvenir l’édition 2012 et les précipitations au tout début de la course.
Laurent Jasserand, François Bagnard, Thibault Dejean, Francis Thienot et moi montions la Dunlop sur des œufs et la descendions comme des funambules à plus de 45 km/h sur un revêtement détrempé par la pluie orageuse qui bouleversa cette édition. Nous glissions, prenions toute la largeur de la piste dans le virage de la Chapelle, tout en glisse en se demandant si on n’allait pas finir dans les vibreurs. Thibault est de loin le plus technique d’entre nous. Il passait tous les virages sans aucun souci, pas nous… bien que c’est dans le plus dur que l’on nourrit nos meilleurs souvenirs, je n’avais vraiment pas envie de revire la pluie. Alors tout mais pas ça… autre chose mais pas ça, j’ai connu les canicules de 2010 et 2011. Je rêvais d’un 25°C le jour et 20°C la nuit??? j’ai eu autre chose, vraiment autre chose.
Vendredi soir
J’arrive au camping le vendredi 24 vers 17h00. Nous sommes en camping-car. Nous, les « Mordus de Roller » dont ma femme « Soso » fait partie. J’officie dans ce club comme entraineur de la section rando sportive et vitesse. C’est la deuxième année que nous venons en camping-car. C’est très confortable pour le voyage comme sur place. L’an dernier j’ai dépensé ou dispersé beaucoup d’énergie à gérer comme je le pouvais l’installation du camp. L’emplacement des tentes, des véhicules etc. cette année, je ne ferai rien. Mais quand je ne dis rien c’est rien. J’ai comme l’an dernier conduit le camping-car sur les 150 derniers kilomètres. J’adore ! ça fait chef… Nous avions peur de ne pas trouver une bonne place. Mais, à la surprise générale, de la place il y en avait. Nous prenions grosso modo le même emplacement qu’en 2012. Le terrain était détrempé par les chutes d’eau à répétition depuis… décembre 2012. Je gare le camping-car comme je le peux. En fait je l’embourbe lamentablement. En descendant du camping-car je lance « Bon il est garé pour le week-end ! ». Je ne m’occupe de rien. Je culpabilise un peu. Mais je ne veux pas m’agacer avec la logistique. Thierry des Mordus est là pour ça. Il s’en débrouille très bien, il aime ça alors… je le laisse faire. Je vais voir mon ami Thierry Cocheteau… et quand on dit Thierry y’a jamais Dan très loin. Je les retrouve dans leur camp de base de Varades. On se revoit toujours avec plaisir.
Sale temps et décrassage
Il fait un temps de chien, il pleut. Il y a du vent, j’ai froid. Le ciel est gris. Je retourne au camp de base des Mordus de Roller. Après que Thierry et Dan m’aient prodigué leurs conseils. En gros (fais pas le con) le camp est bien avancé. J’appelle Laurent, il doit arriver samedi en fin de matinée. On parle un peu. J’essaie de ne pas me laisser envahir pas le stress. Je suis près, je le sais, je suis costaud comme je ne l’ai jamais été mais, je connais aussi mon point faible. J’ai un mental très friable. Laurent le sait, il me parle juste comme il le faut, sans trop en faire juste parfait.
Je lui décris la météo. Il a le nez dessus, il sait que ça va être une tuerie mais jamais ne me le dit. Je lui lâche que je n’ai pas envie de faire mon déblocage. Trop froid, trop de vent, trop gris etc. Il me répond juste. Ah bon !. Après avoir passé le coup de téléphone à Laurent, je vais voir Jérôme et lui dit :« On va courir ? » il me oui. On se change. Et on part pour le déblocage. On traverse le terrain de camping en petites foulées. Jérôme corrige ma position, c’est le monde à l’ envers mais j’accepte ses conseils et les suit. Le déblocage dure 20 mn environ. Direction la douche, un petit coucou à mon Pingouin (Benson) . On mange quelques pâtes et je vais me coucher. Ma Soso, Claire, Thierry et Joyce (mes colocataires du camping-car) mes rejoignent rapidement. Bouchon d’oreille duvet et chauffage à 22° tous les ingrédients sont là pour une bonne nuit de sommeil.
Jour J – installation dans les box
Samedi matin : p’tit déj’ avec ma Soso et Claire qui vont faire leur premier duo au Mans. J’appelle Laurent qui est dans le train. Je lui décris la météo sur place. Un peu de vent, nuageux, et il ne fait pas chaud. Il me dit « Cette nuit, la température va descendre jusqu’à 4° alors tu t’habilleras en chaud, collant etc. tu as ce qui faut ? ». Oui bien sûr j’ai la tenue que je portais à Montluçon par 4° sous la pluie. Cette tenue avait été testée et approuvée. Laurent ne voulait que je fasse d’arrêt pour me changer. Avait-il déjà une idée en tête mon Lolo ?
Je vais me balader vers les stands des marques et autres vendeurs de matériels de rollers. Je vais saluer Pascal Briand qui a su changer radicalement ma façon de patiner. Il me lâche que ça va être très dur, la météo ne va pas nous faire de cadeau. Il court en duo. Je flâne près du stand de Ligne Droite, puis je retourne au camping-car me recoucher.
Il pleut. SoSo et Claire décident de ne pas faire la parade. Je dors. Vers midi je demande à Monique des Mordus un bol de riz et je le mange avec 4 tranches de jambon et me recouche. Je quitte le camping-car avec SoSo et Claire pour aller prendre possession de notre place dans notre box. Sur le chemin je croise Ludovic Pouilloux. Un super patineur, que j’ai eu la chance de rencontrer aux 6 heures de Salbris. Un patinage très régulier, sans surprise, derrière lequel on peut dormir tranquille. Lorsqu’il m’a annoncé son souhait de faire les 24 Heures du Mans, j’ai tout de suite vu en lui un bon partenaire de galère. Je le salue, il ne semble pas me reconnaitre de suite. On parle de Salbris, il me répond un truc du genre : « Oui une belle course je me suis barré avec Claude, ensuite nous avons bien roulé ! » Avec Claude ? Merde il ne me reconnait pas ? Je lui demande quel est son stand : 54. Comme moi. Nous allons partager le même. Je lui dit que je lui garde une place et me dirige vers les barrières toujours closes. Une fois la meute lâchée, je me précipite vers mon stand. Il est presque vide. Il y a Roland et quelques autres solos. Je pose mes affaires. Ludo arrive il pose les siennes. Je sors côté piste et je croise Sabrina… elle semble préoccupée. Elle me demande où je suis. Je lui montre. Elle me demande si elle peut venir près de moi. Bien sûr, viens Sabrina… Mine de rien j’ai Sabrina et Ludo près de moi, nickel de bons rouleurs, et des patineurs sympa. Je dis à Sabrina que je retourne me coucher et lui demande si elle peut surveiller mes affaires. Elle accepte. Je passe voir ma femme SoSo et Claire. Elles se sont installées, et un Mordus restera au stand pour surveiller leurs affaires. On rentre au camping.
Re-dodo dans le Camping-car. J’ouvre un œil vers 14h00… Je m’habille en chaud. De bas en haut. Chaussettes hautes de contention Medilast, collant de course à pieds Kalenji isolate, sous pull en micro polaire maillot Ekoï comp3 jaune et noir (couleurs de Chambéry) manchettes thermiques , veste Mont-Blanc roller thermique. Avec ça j’étais paré à toutes éventualités. Je rejoins mon stand avec le reste de mes affaires, mes rollers et ma nutrition. Je m’installe dans mon box. C’est la première fois que j’arrive si tard. Laurent arrive. Je le briefe rapidement pour mes ravitos. Je vais saluer quelque ami dont Youb et Philippe (Rphil) puis, le temps passe vite… très vite. On se retrouve sur la ligne de départ. Je suis entre Ludo et Rphil non loin de Sabrina.
C’est parti !
BOUMMMM ! C’est le départ pour plus de 24h00… Je traverse en faisant attention de ne pas déchirer mes chaussettes. Ludo est pieds nus. Rphil chausse à toute vitesse et part. Je suis prêt aussi, mais j’attends Ludo qui met un temps fou à mettre ses rollers. Je regard Rphil déjà très loin. Enfin c’est fait, je bous. Je pars comme un avion comme sur un 6 Heures, Ludo collé à moi. On monte la Dunlop à bloc. On slalome un peu à la descente, mais sans pour autant prendre des risques. Je boucle le premier tour en 8’08 un record pour moi. C’est Ludo qui aura le record du tour de cette édition avec 8’08 à quelques centièmes de moi. Il prend le relais, on mettra deux tours pour récupérer Philippe.
En 2 Felix, Rphil Ludovic , moi Miss Sabrina juste avant que l’on lâche se groupe de furieux….
Ça roule en 9 minutes au tour. Bien plus vite que mon plan de vol qui était… indéfini. Dans le peloton, on trouve deux Anglais, un Allemand (Felix) et Rphil. Les deux anglais communiquent entres eux et avec leur stand par oreillettes comme les cyclistes du tour de France, et Felix à l’aide d’un talkie-walkie… ça attaque déjà de tous les côtés. Je cherche le regard de Laurent à chaque passage devant la zone bleue. Il n’a pas l’air inquiet, moi si. Ça roule trop vite. Je regarde Ludo, et lui dit « on lâche l’affaire, ils vont attaquer Rphil, qui va jouer au chat et à la souris avec eux ». On décroche. On se retrouve à trois ; Ludovic Pouilloux, Sabrina Gaudesaboos et moi. Je suis rassuré. 3 c’est un peu juste pour faire une belle ballade de 18h00 ? A 5 c’est parfait, en faisant des relais tour/tour sur une base de 10 minutes au tour, ça fait prendre un relai toutes les 40 mn. C’est suffisant pour récupérer. Et je préfère de loin le tour /tour que les solos qui nous font 200 m et se rabattent aussitôt. C’est plus équitable. Il y a des petite malins qui sont radins dans l’effort, ce n’est pas mon cas, ni celui de mes deux compères. On se lance dans un tour/tour aux alentours 10 minutes. Mes pulses sont exactement là où je les espérais. Ludo roule parfois un peu trop vite, surtout sur le plat. Je suis de loin le moins bon techniquement. Et dès que les techniciens comme Sabrina ou Ludo déroulent, je me colle à eux pour ne pas perdre un centième. La sanction serait sans appel… un, deux et trois mètres de perdu, on perd notre légitimité au sein du peloton. Et s’il y a bien une chose qui est importante dans un peloton c’est d’y avoir sa place.
Moi, Ludovic Pouilloux et Miss Sabrina Gaudesaboos
Dans le rythme du peloton
Les tours s’enchainent à notre train, paisible et sans souci. On compte les tours que Felix nous prend. Ce n’est pas très compliqué, un par heure ! Et ceci avec une régularité d’horloger suisse. Au 24ème tour et après 4 heures de course, Laurent « seulleMans » rejoint le peloton en patinant pendant un tour sur nous. Je me méfie de lui. Sur les deux dernières éditions, je ne l’ai jamais vu prendre un relai. En le voyant je me suis dit, il va nous sucer les roues ! Je ne voulais pas me défoncer pour lui et le voir me mettre en danger dans les dernières heures ! Ça hors de question. Et contre toutes attentes de ma part, Laurent Zerr prend les relais et bosse comme tout le monde. Nous sommes quatre, quatre rouleurs pendant une heure. Ludo m’a dit qu’il veut rester avec Sabrina et moi pendant 11 heures. Pour nous aider après… il bâcherait.
Apres 29 tours, et 5 heures de courses, Ludo s’arrête pour faire une bonne pause. Il ne reste plus que Sabrina, Laurent et moi qui nous relayons toujours en tour/tour.
Au quart de la course, en dessous des objectifs
Après 6 heures, Rphil nous a pris 2 tours. J’ai les jambes qui me démangent, je meurs d’envie de le suivre. Une petite voix me dit NON n’y vas pas ! Reste là bien au chaud ! La voix de la sagesse, et celle de Laurent Jasserand qui m’appelle toutes les heures pour me faire un point sur ma situation. Je ne le sais pas, mais je reste avec Laurent Zerr et Sabrina. A 6h00 de course, nous en sommes à 35 tours soit 146 km et des broutilles soit 24.41km/h, ça ne plie pas des barres en deux. Je suis limite content. Je visais le 300 à 12h00 c’est très mal engagé. Je commence à douter. Je me pose mille questions, calcule projette et me perd en conjoncture. Nous roulons avec une régularité étonnante. 24.5 km/h depuis le départ avec une variabilité d’un demi kilomètre maxi, de vrais coucous suisses !! Nous perdons Sabrina à la 7ème heure après 40 tours. Ni elle ni Ludo ne reviendront. Nous sommes deux à nous relayer en tour/tour, ça devient dur. Vers 8 heures de course, j’ai soudainement mal aux jambes. François Bagnard (dit « Mister Explosion » , 3ème en 2012) m’avait dit… quand tu arrives aux huit heures de course tu es au point de non-retour. Tu ne peux avoir plus mal et si tu t’arrêtes ça ne changera plus rien. Merde… J’ai mal !
J’ai les cuisses en bois. La température est proche des 0°. Je cherche vite quelque chose pour focaliser mon attention. Me distraire vite avant que des idées d’auto-destruction me viennent à l’esprit.
Dans le dur
Je me rappelle de mes séances d’entrainements cet hiver, au plus dur, Gimenez, pyramide, force et autres supplices, et ceci par tous les temps, neige, pluie… je pense à autre chose en courant, au Challenge des 6 Heures, aux 24 Heures de Calafat et au podium du Mans. Oui, je pense au podium, je le veux. Passer les 500 n’est plus l’objectif mais le podium si. En pensant à autre chose, je ne sens plus la douleur, à la dureté de la séance. En courant je me dis : « Je sais pourquoi je fais ça ». Je répète cette phrase encore et encore, jusqu’à que le trois bip de la fin de la fraction se fassent entendre et annoncent, parfois les 30 secondes de relâchement et cela pouvait aller jusqu’à 3 minutes !…. quel bonheur. Pour ceux qui ne connaissent pas : quand tu fais une séance type Gimenez, le relâchement c’est que la séance ne sera pas finie avant…
Je cherche encore quelque chose pour captiver mon attention et ne plus penser à mes jambes. Je pense à ma femme SoSo qui malgré un grand mal de dos faisait son premier Duo avec Claire. J’espère la voir sur la piste. Je suis fier de ma SoSo, une grosse bosseuse comme moi. Elle s’est très bien entrainée pour faire ce duo. Elle a adoré l’ambiance du solo sur les 6 heures de Montluçon. Malheureusement, son dos ne lui permet pas de faire ses 24 heures comme elle le voudrait. A donf comme tout ce qu’elle fait…
Soso en deux et Joyce a Président de Sallanches Ultra Roller club que nous fonderons en décembre 2014 >>
J’ai de plus en plus mal. Mes jambes ne me laissent aucun répit. Chaque foulée devient un combat. Laurent m’appelle pour faire un point sur la course. Les deux Anglais sont comme des zombies ils sont cuits, tu vas bientôt les dépasser. L’allemand (Felix ) est toujours devant et il roule fort. Ça j’ai vu Lolo… il nous met un tour toute les heures, lui dis-je. Il me demande comment je vais. J’hésite, je ne veux pas qu’il s’inquiète et puis je me lâche. J’ai très mal aux jambes. Il ne répond pas de suite. Mal comment ? Je lui explique. Pas assez de roulage, je n’ai pas assez roulé … comme tout le monde. Bois, mange, relâche-toi et ralentis… Je ne peux pas, il faut que je reste avec Laurent Zerr. Je n’ai qu’un tour d’avance sur lui ! Et il est hors de question que je le lui rende…. François a raison, la douleur n’augmente pas. Je la supporte, la gère, je me masse les cuisses, je vis cette douleur et sais maintenant qu’elle ne me lâchera pas de sitôt. Je me ravitaille avec le plus grand sérieux, tout ce que me donne Laurent est ingéré aussitôt. Parfois, il me fait des surprises. Dans un sachet je trouve, un mini sandwich à la viande des grisons, une compote, des fruits sec une barre de céréale deux tucs, quelques fruits à coques ! Mmmmm… un festin. Ça casse la monotonie de la course.
Sur la 3ème marche
Vers 8h30 de course, Laurent m’appelle. Bon mon poulet tu es 3ème ! les Anglais sont out ! L’allemand a fait un arrêt il a 4 tours d’avance sur toi et Rphil 3… Je lui réponds machinalement : tu me reparleras tout ça dans 6 heures. Oui je sais mon poulet (Laurent m’appelle mon Poulet en référence au dessin qui se trouve sur mes tenues depuis 2011 un Phœnix il m’a dit qu’il ressemble plus à un poulet ) je fais le point avec Laurent Zerr. Je suis 3 et toi 4ième. On sait tous les deux qu’un tour après 8h30 de course sur un 24h00 c’est peu de chose. Nous nous entendons bien. Relais tour/tour sans rechigner. Nous sommes réguliers 5 à 6 tours à l’heure. Trop lents pour faire une grosse perf’ mais il fait 0°, ça n’excuse rien mais ça explique les 11 à 12 minutes au tour.
Tout va pour le mieux mis à part mes jambes et un petit détail : ma vessie est pleine comme un œuf ! Je le dis à Laurent Zerr. Il me répond que pas lui… la situation est claire, si ne m’arrête sur le bord de la piste pour me soulager, je perds 3 à 4 minutes, donc le risque de perdre mon tour d’avance sur lui. Il semble aller très bien. Donc il sera capable d’accélérer dès que je m’arrête. J’insiste sur le ton de la plaisanterie. Allez Laurent on va écrire notre nom au sommet de la Dunlop ? Non ça va pour moi me répondit-il… Grrrr ! Je suis agacé par la situation, je prends deux tours de relais et fait deux fois la Dunlop au taquet… à la deuxième Laurent ms dit : « Oh Claude ! ça va trop vite là ! » Je sais j’ai envie d’écrire mon nom au sommet de la Dunlop ! C’est du chantage ? Oui !Alors on fait encore deux ou trois tours et Ok… je suis satisfait, au 53ème tour on écrit nos noms au sommet de la Dunlop. Ouf.
Nuit
La nuit n’est pas aussi facile que je m’y attendais. J’ai parfois du mal à suivre les relais de Laurent Zerr. Je connais très bien son niveau. Je connais aussi le mien. Je ne comprends pas pourquoi il me faut souffrir. Je m’efforce de ne rien laisser paraitre. Durant un tour, j’ai vraiment peur qu’il me lâche, je perds 2 puis 3 m. Je bataille pour récupérer ces mètres, ils sont précieux. Ce ne sont que quelques centaines de centimètres. Je me dis NON, je ne lâche rien ! Je reprends sa roue, pose ma main sur son dos, pour lui faire voir que je suis là et bien là.
Nous partageons un bout de la nuit avec des amis de Laurent Zerr. Ça parle allemand, Laurent les cale sur la bonne vitesse pour nous c’est parfait, je me refais une santé. Il fait froid… toujours aussi froid. Je vois des choses étranges. Des patineurs roulent en doudoune ! il y en a même un sans casque mais avec un gros bonnet de laine. Je vois mon Laurent sur le bord de la piste vêtu comme en hiver, les duos transits de froid en attendant leur relais. Il ne faudrait pas que la température descende plus bas. Le virage de la chapelle est humide avec la rosée de la nuit, il ne faudrait pas qu’il y ait un coup-de-gel car je ne sais pas ce que l’organisation ferait. On s’approche des 14h00 de course, il est bientôt 6h00 du matin et l’on en est à 320 km avec juste un arrêt pipi de 2 minutes. J’attends avec impatience le lever du soleil. Oui ! Le soleil nous fait vite sentir sa douce chaleur qui me caresse. Mmmm ! Et bien non… A 6 heures le brouillard fait son apparition.
Brouillard
Il fait 4°C quand ce filou vient s’inviter à la fête. A chaque tour, je regarde le température, elle descend d’un degré tous les tours pour s’arrêter à 0°C ! Je désespère. Ce brouillard donne lieu à des images époustouflantes. Il gomme la piste. Dans la Dunlop, on voit les patineurs rouler, monter dans le ciel avec le lever du soleil en contre-jour. C’est à couper le souffle. Je me demande : Comment va Mr Zerr ?Comment va notre ami l’allemand ? Comment va R’Phil ? 15 heures de course, le train et confortable, sans doute trop pour réaliser une performance. A cet instant je pense même que c’est cuit pour les 500 km… j’ai envie d’accélérer, mais je ne sais pas si j’en suis capable. Alors je reste calme. Dans les roues de Mr Zerr à attendre. Ça ralentit, nous sommes entre 11’30 et 12’30 au tour, des tortues…. Je ne me sens pas de rouler seul, je ne l’ai jamais fait, sauf durant mon premier Mans. Je dis à Mr Zerr un truc du genre « on continue comme ça et on attaque l’allemand après 20 heures de course ? » il semble d’accord. Je ne le sens plus… lui veut ma place la troisième après laquelle il court depuis 3 ans. Et moi je veux ? Je sais pas la deuxième mais Felix (l’Allemand) est encore bien loin devant, à deux ou trois tours, soit 8 à 16 km devant moi.
Attaque
Dans le Dunlop, vers 8 heures du matin, R’phil nous met un autre tour. Mais il reste avec nous. Nous faisons la descente ensemble. Il me regarde d’un air étonné, et me dit « tu as l’air frais mon Glaude ? Si tu ne fais pas de connerie tu seras sur le podium ! » Oui ça je le sais déjà… je prends un relai plus viril que les autres pensant que R’phil va me suivre et qu’il va m’aider à attaquer Felix… et bien non, je me retrouve seul. Je suis à 10’ au tour et fait très vite le vide. Il ne reste plus que 8 heures ! Laurent me regarde passer comme un avion devant lui. Il prend mon temps d’un geste machinal sur le chrono et parait inquiet. Je prends les roues de ce que je trouve sur mon chemin. Certains trop rapides d’autre trop lents. Mon téléphone sonne. C’est le tour de contrôle pensais-je « tu fais comme tu veux mais tu es en 9’50’’ au tour là, alors calme toi vite ! L’Allemand fait des arrêts si tu restes sur un bon rythme tu vas bientôt être dans son tour. » Je me calme. Laurent sait très bien ce qu’il doit me dire et comment il doit le faire. Je suis incapable d’être régulier, je fais de tours trop rapides, suivis de tours trop lents. Je veux déjà reprendre un tour à R’Phil. je sais qu’après ce sera plus facile pour m’attaquer à Felix…. Mais Rphil ne veut pas que je lui reprenne ce tour. Il sait comme moi ce que cela voudrait dire. Il a 5 tours sur moi là mais il n’en lâchera pas un. Je me bats donc seul. Je suis des Duo ou des Enduro sur un ou deux tours. Nou en sommes à la 18ème heures. Je tape un 9’21’’, certainement derrière une fille de l’équipe féminine vainqueur en Enduro. Je reste deux tours dans sa roue à 180 pulsations. Un pur moment de bonheur.
Puis, peu après, un équipier de Longchamp Roller me signe de le suivre dans la Dunlop ! J’essaie mais il me lâche. Il m’attend je fais l’effort et le colle. On roule très fort et finissons le tour ensemble. Dans la ligne droite des stands; il s’écarte et me dit : » je ne pensais pas qu’unsolo puisse rouler aussi vite après 20 heures de course ! « Je lui réponds » moi non plus ! « On se tape dans les mains et je continue seul. Je compte plus les tours que je prends à Mr Zerr, 2 ou 3 je ne sais plus. Nous ne sommes plus sur le même planète. Je passe devant Laurent il semble agité sur le bord de la piste. Je lui jette ma veste coupe-vent. Il m’appelle au moment où je vois Felix dans la Dunlop. Il me double avec une aisance déconcertante. Je lui emboite le pas. Et décroche mon tel. « L’allemand est tout près là il va te rattraper ». « c’est fait, je suis avec lui là, où j’en suis avec lui ? Il a combien de tours d’avance ? » « Un je crois je ne sais plus dit Laurent c’est le bordel là » « rappelle-moi vite pour me le dire » je roule derrière lui sur le plat c’est plutôt tranquille.
Felix et moi >>
Duel au sommet avec Félix
Il a des cuisses impressionnantes. Et ne semble pas dans le rouge. Je ne le suis pas non plus mais la Dunlop me fait de plus en plus souffrir et il la monte si vite que je ne pense pas faire illusion très longtemps. Bon, quand il ne reste plus que ça, on bluffe. Je ne lui lâche pas les roues, je bois, mange et le toise dès que c’est possible. Au début de la ligne droite des stands, il se dirige vers le muret et prend des consignes de son staff puis reviens vers moi. Il me fait signe de prendre un relai, il n’a pas l’air ravi. Je prends ce relai tranquille. Laurent m’appelle pour me dire que nous sommes dans le même tour ! Il reste un peu moins de 3 heures. Rien n’est fait. Dans les contreforts de la Dunlop il me met une mine. Oups, je me fais violence pour ne pas me faire enrhumer. Je ne sais pas comment j’arrive avec lui au sommet. Il remet ça dans la descente. Pour que je ne puisse pas lui prendre l’aspiration je reste au contact. Sur sa gauche, je le regarde et lui sourit. Il a tiré sa cartouche je ne sais pas s’il en a d’autre en stock !
À mon tour. Je prends un relais viril et bien appuyé. On frôle les 40 km/h. je ne l’entends plus. Mais qu’est-ce qu’il a comme roulement il est super silencieux… je regarde et je constate qu’il a perdu son ombre aussi ! Je n’y crois pas. Je me relève et regarde derrière moi. Felix abdique, il est à 50 m derrière moi relevé et il boit. J’accélère pour enfoncer le clou ! P’tain je suis 2ème des 24h du mans solo ! Je laisse passer cette vague d’émotion, la gère comme je le peux. Je m’offre un dernier kiff avant de me remettre à rouler sérieusement. Je passe devant le staff de Felix en les regardant avec satisfaction. (Bon j’en suis pas fier mais ça m’a fait du bien ! ).
H-2
Il reste deux heures de course. J’ai pris deux tours à Felix, c’est plié… mais Rphil m’en a remis quelques-uns. Ce n’est pas pour cette année. Je me concentre sur les 500 km quand les membres de mon club sortent le bout de leurs nez et viennent m’accompagner. Le Duo Sylvie et Fred, Gilles en Solo m’aident dans ces dernières heures. Gilles pose sa main sur mon dos et me pousse. Je lui demande de suite d’arrêter. Il pensait bien faire évidemment, mais ça m’empêche de patiner et mes jambes deviennent vite très douloureuses. Je ne veux pas me prendre un tour de pénalité. Je reste dans leurs roues à l’abri. On parle, ça tue la monotonie.
Le Duo change tous les 2 tours. Sylvie et Gilles m’accompagnent sur le plat et me maternent. Fred me pousse dans mes derniers retranchements. Au 119ième tour Laurent m’appelle pour le dire. » Tu passes les 120 tours au prochain passage mon Poulet ! « (Les 500 km, le Graal pour les solos) » Merci ! Merci ! Merci ! « Je ne sais plus combien de fois je lui souffle ces mots ! Je l’annonce à Fred. « Je vais passer les 500 Fred ! » « Félicitations Claude » . Je passe la ligne d’arrivée en levant les bras 1h30 avant la fin de course…. Je commence à entrevoir la performance que je suis en train de réaliser. Faire plus de 500 km dans ces conditions, faire un 24 heures solo non-stop (seul 3 l’on fait avant moi : R’phill , Thomas Lang en 2009 et François Bagnard en 2012) et monter sur le podium à la 2ième place ! J’ai juste envie d’hurler !
Mais il reste une heure trente à faire. Je me dis qu’en continuant comme ça à 20km/h, je vais planter un p’tit 530 km ! Alors je continue mon boulot… Les tours sont de plus en plus durs, je gère mal ma fin de course. Je perds trop de temps. Il reste une heure de course, je ne contrôle plus rien. Félix me reprend un tour dans la Dunlop. Oups ! Il ne faut pas que je m’endorme. Je fais un rapide calcul. Il faudrait qu’il roule à plus de 24 km/h et moi à 20 pour qu’il reprenne sa place ! Alors je monte d’un cran. A 21 km/h, je suis à l’abri. Il lui faudrait rouler en moins de 10’ au tour… après un instant de réflexion. Je me dis que ça tient à rien, si je chute c’est fichu. Alors je continue de rouler avec le plus grand sérieux. Gilles m’ouvre la route et me protège. Laurent m’appelle avant le dernier tour : « Tu ne t’arrêtes pas dans la Dunlop ! C’est bien clair ça ? » « Oui ! Je ne m’arrête pas promis ! » « C’est bien mon Poulet « . Je passe devant le chrono à 23h49’50 et là je sais que c’est bon, personne ne pourra être entre moi et Rphil. C’était mon objectif. Je monte une dernière fois la Dunlop. Comme tous les ans, les Solo, les Duo sont là pour saluer les derniers coureurs. J’ai vu Yann Guyader en 2011 saluer les Solos , une marque de respect pour notre discipline et ses pratiquants. Aujourd’hui c’est moi, humblement qui passe devant mes amis solo et duo pour les saluer la gorge nouer pas l’émotion.
Gilles Sartori, un de mes anges-gardiens durant ces dernières heures
Dernière révolution
Il ne me reste plus que quelques kilomètres, Gilles reste vigilant. La chute dans le dernier tour, ou une collision avec un autre patineur ficherait tout en l’air ! je reste sur mes gardes, savoure ce tour, une dernière petite pointe de vitesse aux alentours des 30 km/h . Je respire, hume ce doux parfum de fin de course. Je pense de suite a Laurent Jasserand, mon pote qui est resté 24 heures au bord de la piste pour moi. Je pense à toutes ces heures d’entrainement, à ces 4 Mans pour en arriver là ! A Félix avec qui je me suis bagarré durant ces 8 dernières heures, à Rphil qui est encore une fois de plus devant, à ma femme SoSo qui fini son premier duo…
J’arrive enfin sur la ligne droite des stands, je suis aux anges ! J’ai envie d’hurle ! Je savoure paisiblement. Mes compagnons de ces dernières heures des Chambéry me félicitent, je les remercie. Gilles me demande si je veux porter le drapeau des Savoie, je préfère lui laisser cette honneur de passer la ligne en portant nos couleurs.
Je vois l’arche d’arrivée. Je me frappe deux fois le cœur de la main gauche les poings serrés et les bras levés. Ce geste je le fais toujours en passant la ligne d’arrivée quand je gagne. Là je n’ai pas gagné ces 24 Heures du Mans mais cette deuxième place avait valeur de victoire.
Je cherche Laurent, il n’est pas là. Je ne peux pas partager tout de suite avec lui. Je vois Rphil arriver. Je vais à sa rencontre. Il me félicite. J’en fais de même. Il n’aurait jamais parié sur ma deuxième place, il le reconnait. Je savoure cet instant. Je vois enfin Laurent. Je lui tombe dans les bras, on a les larmes aux yeux, on sait tous deux ce qu’il m’a fallu pour en arriver là. Je lui dois ce Mans. Je lui en serai toujours reconnaissant.
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Notre rubrique dédiée aux 24 Heures du Mans Roller 2013
Classement des 24 Heures du Mans Roller 2013
Photos : Christine Dumouchel
Mediaskates
Fréderic Davi
Aude Legrais – Chartres Roller
Sylvie du duo D'Mixte 73 (Sylvie et Fred)
10 février 2014 at 18 h 35 minScorpion
9 février 2014 at 20 h 18 minRphil
8 février 2014 at 23 h 24 minKat Seulette
7 février 2014 at 18 h 49 minjesslo
7 février 2014 at 17 h 15 minF Auteuil
7 février 2014 at 16 h 49 minEVINRUDE
7 février 2014 at 14 h 24 minBenson
7 février 2014 at 13 h 03 min