
Prologue Mi-juillet : en surfant sur des sites Internet consacrés au roller, je prends connaissance de l’épopée que vont tenter quelques patineurs. Environ 3 semaines avant la fameuse course de 111km en Suisse (la "One Eleven"), je me dis que c’est une bonne occasion de me tester, de faire le point sur mes capacités et dans le pire des cas de faire une belle randonnée ou un bon entraînement. Cela fait pourtant 3 mois que je m’entraîne en dilettante : des sorties peu violentes de plus en plus espacés, sans aucune régularité. Cette année je n’ai effectué aucune course, qui pourtant m’aurait permis de me dépasser.
La préparation de l’ascension La question du matériel avec lequel rouler et celle de l’équipement annexe prend une part non négligeable dans la préparation de l’ascension. Pour les rollers, je privilégie les petites roues, qui ont moins d’inertie et permettent donc une meilleure relance, indispensable pour le relief que je vais arpenter. Je décide de transformer mes “Problade 4×100” en “Problade 5×84”. En effectuant ce montage, le jour de mon dernier entraînement prévu le mercredi 26 juillet, l’insert de ma platine se décolle sans que je ne puisse ni serrer ni la démonter. Je vis alors un micro-psychodrame : outre l’entraînement raté, je ne suis même pas sûr d’avoir des rollers dignes de ce nom pour grimper au Ventoux. Heureusement, un magicien du doux nom de Michel m’aide et je réussi à accéder à l’insert en coupant l’intérieur de la semelle. Une fois l’insert collé, le trou est comblé avec un bout de… tapis de souris ! Vendredi 17H, je sais maintenant que j’ai des rollers avec des platines réglées “au jugé” sans avoir pu vraiment faire de test avec. Pour l’équipement, c’est aussi une aventure : camel ou gourde ? Protections ou pas ? Finalement j’opte pour la solution suivante : je mets toutes les protections (casques, protège paumes, coudes et genoux). Je prends un Camelbak pour avoir assez d’autonomie au cas où Aude ne pourrait pas me ravitailler. L’indispensable cardiofréquencemètre me permettra de ne pas prendre de risque de ce côté-là. Douze litres d’eau sont embarqués dans la voiture. Avec Aude, nous nous sommes dit que cela pourrait servir aux autres. Je prends un talkie-walkie avec moi, pour qu’Aude puisse préparer ce qu’il me faut avant mes arrêts. Tout le côté “matériel” est désormais réglé. Je sais que l’ascension du mont Ventoux depuis Bédouin se déroulera en 21 km avec 1600 mètres de dénivelé. Je sais aussi que certains A.M. Sport ont effectué l’ascension en octobre : Serge G. a mis environ 2h20, il a fallu 2h40 à Nicolas S., dans des conditions météorologiques plutôt difficiles. Avec un temps sec, et en ayant en référence le temps de Nico qui roule un peu mieux que moi, je pense réussir la montée en moins de 3 heures à coup sûr !
Le Jour J : Mont Ventoux me voilà ! Dimanche 30 juillet : le rendez-vous est donné à 7h50. Le séjour près de Bédouin m’a permis de bien dormir et d’arriver frais. Je suis content de voir des têtes connues : LittleL, Dominique, Roland. Thibaut nous donne les consignes d’usage : ce n’est pas une course, la route n’est pas bloquée, il fait très froid au sommet donc il est prudent de mettre des vêtements chauds dans une des voitures qui nous accompagnent. Vers 8h05, nous commençons à nous échauffer. Là, naïvement, je pense faire comme le long du canal du Bourgogne qui est plat et partir doucement pour monter en régime.
Le départ : 8h30 Nous partons tous en même temps du parking de Bédouin. 80% du peloton est très vite devant moi. Je pense que je risque d’en retrouver sur la route plus tard, comme à chaque sortie. A peine 2 kilomètres plus tard, je ne me sens pas bien : la réalité se rappelle durement à moi : il n’y a pas de plat dans l’ascension du Ventoux : la hausse de régime se fait dès le début. Entre la chaleur et le coeur qui s’affole, j’ai l’impression que je n’y arriverai jamais. Ayant déjà connu de telles déconvenues, je sais qu’il me faut en général 2 à 3 minutes de repos ou de calme pour pouvoir repartir. J’apprendrai plus tard que ce type de sensation est dû à l’échauffement bâclé : le corps n’est pas encore en branle pour un effort aérobie, donc les muscles épuisent leurs réserves alors qu’ils ne profitent pas encore des apports de la respiration. Je pense à mes collègues dijonnais qui ont pu le faire, et je me dis qu’il n’est pas possible d’abandonner si tôt. Malgré la température suffocante, je sais qu’il y a une forêt dans laquelle il fera plus frais. Il faut au moins que j’arrive jusque là car la fraîcheur me convient vraiment mieux. C’est le moment où je croise Roland qui me dit qu’on devrait avoir un rythme similaire. Malgré mes habitudes et préférences solitaires, je me dis que c’est plutôt bien d’avoir quelqu’un d’un niveau semblable au mien pas très loin… Hélas, Roland me distance assez rapidement. Je suis rejoins par deux patineurs qui m’indiquent qu’ils sont les derniers. A moins de 5 kilomètres du départ, je suis déjà dernier… heureusement que je n’ai pas de pression.
La forêt de Jamais-Jamais Sur la route du Ventoux, il existe une forêt qui ne s’arrête… jamais. Il n’y a ni ogres, ni fées, mais juste des lignes routières dessinées sur des murs ou alors les pentes sont vraiment verticales ! Je décide de rouler avec mes deux compères pour former le trio final. Aude donne les premiers vrais ravitaillements et encouragements au début de la forêt. Je me sens un peu mieux en jambes dans la fraîcheur forestière. Au moment où mes partenaires font une pause, je pense ne pas en avoir besoin. Je continue en me disant qu’ils me rattraperont plus tard. La forêt est vraiment un lieu étrange : le manque de visibilité permet de croire qu’après chaque virage on trouvera un faux plat apaisant… Il n’en est rien ! Chaque virage est un coup de plus au moral. Je commence à prendre conscience que le doute s’empare de moi, et que l’épopée ne va pas se jouer qu’au physique. Avec des pauses tous les kilomètres environ au début de la forêt, je commence à vraiment souffrir. J’ai besoin de m’arrêter bien plus souvent. Je n’ai pas forcément besoin d’Aude, mais sa présence est de plus en plus importante : “allez, je sais que tu peux…”. D’autres encouragements me rappellent que j’ai une raison de plus d’aller au bout. A un moment, le talkie se révèle indispensable : malgré les straps anti-ampoules, j’ai deux débuts d’ampoule à chaque pied et une belle ampoule à l’arrière du pied droit : sans pansement anti-ampoule, tout se serait arrêté là pour moi. A l’occasion de cette pause médicale, je me rends compte que mon patin droit est trop serré : je n’avais pas particulièrement senti cette douleur auparavant, mais en enlevant les patins, toute la partie droite de mon pied semble paralysée. Je décide d’assouplir mon laçage. Heureusement, la boucle micrométrique de mes patins et les scratches me permettront plus tard de resserrer si besoin est. Dans la forêt, j’aperçois les accompagnatrices de Roland qui me demandent si j’ai besoin de quoi que ce soit ; je vois alors que Roland est assis dans la voiture à l’arrêt : il a voulu tester une partie de l’ascension en utilisant des bâtons (comme ceux des rollerski ou du « nordic-walking »), mais cela s’est avéré être une source globale de fatigue et cela n’a pas soulagé ses jambes.
A un peu plus de deux tiers : le Chalet Reynard Finalement, je vois deux ou trois bicoques. Je sais qu’une étape importante est franchie : la forêt de Jamais-Jamais. Il est un peu plus de 11h00. Cela fait presque 3 heures que je roule. Je sais que je dois arriver avant midi pour faire la photo de groupe. Cette perspective est un énorme moteur pour moi ! Caroline du P.U.C. passe en voiture devant moi. Comme d’habitude, elle me demande si tout va bien. Après un rapide calcul, je pense pouvoir faire les 6 derniers kilomètres dans le temps imparti. Je lui dis que j’espère arriver au maximum vers 12h10. Elle acquiesce. Elle m’avouera après l’effort qu’elle savait que cela ne serait pas possible. Ainsi, elle ne m’enlève pas la “carotte” de la photo et ne met donc pas plus à mal mon moral. Peu après les petit chalets, arrive le seul plat de cette ascension : le parking du Chalet Reynard ! On m’avait décrit le paysage comme atypique. Il l’est vraiment ! On se croirait dans un monde minéral, dépouillé de toute vie. Nico m’avait prévenu du vent et Caroline m’avait conseillé d’en garder sous le pied pour la fin. La perspective de voir l’observatoire en ligne de mire me requinque. Je me sens aussi fort que Leonardo Di Caprio à l’avant du Titanic. J’attaque donc la première ligne droite en y allant de bon cœur, mais là, un coup de massue me tombe dessus : la dernière portion de la route comporte de nombreux lacets. Je vois que je vais encore en baver. Aude, toujours fidèle au poste, continue de me donner des barres de céréales ainsi que de l’eau. Après quelques lacets, le drame survient : début de crampe au mollet droit. Les pauses deviennent de plus en plus fréquentes. Je m’assieds à l’arrière de la voiture ou par terre pour étirer mes jambes et demande à Aude de masser brièvement mes mollets. De temps en temps je regarde ma montre. D’une part, je me rends compte que j’ai déjà mis plus de temps que Nico, et d’autre part que je ne serai pas à l’heure pour la photo de groupe. Je commence à stresser car je ne voudrais pas faire attendre les autres trop longtemps en haut. Heureusement, une voiture passe, et j’entends LittleL m’encourager : ouf, ils sont redescendus ! Je ne me bats maintenant que pour moi, sans pression, juste pour venir à bout de mon effort. Je remarque un peu plus loin qu’un roller est en vue derrière moi ; il s’agit probablement de la personne que j’ai rencontrée dans la forêt et qui m’a suivie. J’indique à Aude d’adapter ses arrêts pour s’assurer que ce patineur a assez d’eau car il n’est vraiment pas loin. Dans les derniers lacets, il semble aussi fatigué que moi. Lors des pauses je me mets perpendiculaire à la pente pour ne pas avoir d’effort à fournir, pour ne pas redescendre. Je vois que la distance reste fixe. A ce moment, je suis à deux doigts d’exploser en vol. Mon corps me fait souffrir comme jamais. Il fait chaud. Le vent n’est pas très fort mais glace la transpiration trop abondante pour la combinaison. J’ai des crampes aux cuisses sur des muscles antagonistes : plus que jamais il faut être vigilant et appliqué lors des poussées pour minimiser à la fois l’effort et les risques de crampes. Lors de la dernière pause, j’évite de justesse une chute due à mon état de fatigue avancé.
Derniers coups de patins A l’un des derniers virages en épingle, je m’attendais à trouver Aude et à faire une pause, mais la voiture s’est éloignée : elle a sans doute pensé que j’étais trop proche de la fin pour m’arrêter. Je m’arrête sur ce petit muret. J’ai un avant-goût de la vue de l’autre côté du Ventoux. Allez, plus que quelques centaines de mètres ! Avec un patinage digne d’un zombie, me voilà enfin à l’approche du sommet. Aude est en vue. Elle me fait signe et m’encourage. Elle me propose de venir me chercher, mais je ne veux pas : je dois finir seul pour ne pas me décevoir moi-même. Au dernier virage il reste 50 mètres, j’ai le choix entre deux chemins : un moins pentu où est Aude et un autre plus pentu vers la pancarte. Dans un dernier sursaut, je choisis d’aller vers la pancarte : la perspective de la photo est ma dernière source de motivation. Une fois au sommet, tout s’enchaîne : je vais faire des photos, et je vais attendre le patineur qui est proche de moi pour en faire avec lui. Je ne dois pas déchausser ni me changer en l’attendant sinon je n’aurais plus la force de tout remettre. Finalement à l’arrêt, le temps passe vite, ma montre m’indique 4h20. 10 minutes après environ, mon poursuivant arrive : il s’appelle Hubert, staffeur à la randonnée Parisienne "Rollers et Coquillages". Je le vois hoqueter dans ce qui semble être un sanglot nerveux. Même si je suis exténué, je suis bien placé pour comprendre l’émotion qu’il ressent. Plusieurs cyclistes que j’ai côtoyés tout au long de la montée me félicitent en 4 langues : italien, espagnol, allemand et français !
Bilan J’ai mis 4h20 pour venir à bout du Mont Ventoux. J’ai bu environ 5 litres d’eau. Je ne compte plus les pauses ni les fois où j’ai eu le moral dans les chaussettes… Étonnamment, je ne me sens pas fier : j’ai vaincu la montagne comme prévu, mais dans un effort que j’avais grandement sous-estimé. Paradoxalement, je suis content pour les 3 rollers qui sont arrivés après moi. Les deux personnes que j’avais décrochées au début de la forêt ont fini en 5h17. Peut-être suis-je trop orgueilleux. Peut-être que, tout simplement, je m’en veux de ne pas m’être mis dans des conditions optimales pour gravir cette ascension. J’aurais pu réfléchir mieux au matériel : opter pour du 4×80 par exemple, m’entraîner plus tôt et différemment. En rejoignant les autres au pique-nique, je suis sûr et certain de ne plus jamais tenter l’aventure, même si je suis content d’être allé au bout. J’ai l’impression que tout ceci est vain et que je suis monté comme un âne. Deux jours plus tard, j’ai déjà changé d’avis : l’année prochaine, je dois préparer réellement ce défi et le refaire dans des meilleures conditions. Je rêve de le gravir en 2h30, mais je pense que 3h sera déjà un objectif réaliste et correct pour mon niveau. Cette épreuve m’a appris plusieurs choses : – Je surestimais mon niveau en roller : j’ai certes progressé en technique mais j’ai délaissé le fond et la puissance musculaire qui m’ont fait défaut ; – L’humilité : il s’en est fallu de peu que la montagne gagne contre moi ; – Je suis 31ème sur 35 : sans les 30 premiers, je faisais un podium ! – Je connais maintenant le sens des expressions « tout donner » et « y aller au mental »
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