Antoine : de Biarritz à Morlaix
Contre vents et marées, certains se lancent des défis. Coutumier du fait, Antoine Giroire nous relate son parcours entre Biarritz Morlaix. Si l'on regarde de plus près la carte, il a choisi de remonter le temps durant 9 journées d'octobre entre l'ivresse des paysages et les rencontres du troisième type...
Par alfathor

Biarritz Morlaix – 920 km contre soi-même
Antoine nous avait déjà raconté quelques expériences sur son blog. Son style frais et imagé nous a déjà fait vibré l’année dernière quand est parti rejoindre sa Vendée natale. Cette année, Antoine est descendu jusqu’au Pays Basque pour nous conduire vers la Bretagne. La météo clémente l’a principalement aidé les 3 premiers jours. Rien de tel que de s’élancer dans les Landes et de remonter l’Atlantique…
Entre les lignes Droites et les étapes portuaires, Antoine a surtout misé sur son mental pour terminer son trajet long de plus de 900 kms.
Récit…
Je rêvais de faire l’Atlantique depuis bien longtemps. Le raid de Morlaix aux Les Sables l’an dernier était un coup d’essai. J’attendais d’avoir 2 semaines et je pensais faire çà en janvier. Coup de bol, mon patron me dit début octobre : « Prends 15 jours ». 2 jours plus tard, soit l’avant-veille du départ, le 14 jours se transforme en 9 jours…
Furieux, ma décision était prise quand même, sur le papier, ça ne passe plus mais j’y vais ! Le voyage devait faire 900 km. Je n’avais jamais fait plus de 100 km dans une journée (en mode raid) donc je savais que le voyage était déjà voué à l’échec. Je me suis dit en partant, « ce n’est pas grave, j’irais le plus loin possible et je prendrais le train pour renter à temps ».
Nous voilà partis un dimanche matin, « Jolly » (mon skatedrive) et moi dans le TGV qui nous emmène à Biarritz. Petite pause à Montparnasse. J’arrive le dimanche soir à Biarritz dans une auberge de jeunesse. Je suis complètement bouffé par le stress, boule au ventre, le coeur bat très fort… « Dans quelle galère, me suis-je encore fourré ? « .
Je suis à deux doigt de reprendre le train en sens inverse à l’idée de partir sur un voyage que je ne pourrais même pas finir… 900 km en plus, n’importe quoi, j’ai fini mon plus gros de 450 km comme un légume…
Bref, je rentre dans ma chambre de l’auberge. Là, première rencontre et pas des moindre. Ce monsieur est un pasteur hollandais de 65 ans. Il fait le chemin de Compostelle pour la 4ème fois.
Je me couche à 23h00, re-motivé et apaisé. Il m’a dit de profiter de mon voyage et de me laisser guider.
Réveil à 7h30. Il fait frais mais la météo s’avère formidable pour toute la semaine. Le dieu de mon pasteur serait-il déjà à mes côtés ?
1er jour : Biarritz – Muzillac (110 km)
Je chausse et démarre. Le stress remonte. Je commence par un mur sur 1 km…Et me voici sur la route de Bayonne. Je ne trouve pas mon patinage, Jolly est lourd, on ne se comprend pas du tout, çà fait un an que nous n’avons pas roulé ensemble…
Nous passons Bayonne et nous voilà sur une superbe piste cyclable, Le soleil apparaît. Je retrouve mon Jolly, le plaisir monte et me voilà à 15 km, premier orgasme et le mot est faible ! Un régal, on file sans forcer. Tout va bien, la vie est belle, çà y est, j’ai déjà rentabilisé mon voyage tant je prends du plaisir.
J’arrive très vite à Cap Breton où je fais le tour du port au côté d’une très jolie blonde qui patinait pas si mal que çà. Nous voici à Hossegor et c’est le moment du championnat du monde de surf. Chaque surfeurs que je croise me fait un signe… Ils doivent être fan de tout ce qui glisse. Bref, Hossegor est sûrement aujourd’hui, la ville de France où Jolly a le plus de fans…
Premières douleurs. Je me concentre sur mon patinage et constate rapidement que les douleurs s’atténuent lorsque je ne fais pas n’importe quoi…(merci Ewen et Julien).
Première nuit à Mimizan. J’ai parcouru 110km aujourd’hui . J’ai tapé fort, sans trop m’en rendre compte. Petite appréhension tout de même, Je suis très fatigué et les douleurs sont déjà bien présentes.
2er jour : Muzillac Lacanau Océan (135 km)
Le lendemain, je fais beaucoup de rencontres. J’ai longé la dune du Pilat, très sympa aussi. J’ai décidé de faire le tour du bassin d’Arcachon. Beaucoup de gens m’ont dit que çà n’a aucun intérêt. On me conseille de traverser avec le bateau . Et si je pouvais encore atteindre Morlaix dans les temps ?
Je me mets à y croire… Seul petit regret, je voulais passer pauser le record du Monde de Skate Drive sur 300 mètres sur la piste de Gujan Mestras.
La traversée du bassin est très sympa. Je suis au premières loges avec Jolly sur le pont avant du bateau. Le capitaine n’en revient pas du voyage que je fais… il me dit : « j’en ai vu des fous mais là… ».
Je suis à 30 km de Lacanau plage. Pas une ville avant et pas une après non plus. Je ne vais pas dormir dehors quand même ! La pleine lune apparaît, la route est tout simplement idyllique. Elle mesure 2 mètres de large et dévoile un asphalte parfait. Le seul bruit que j’entends, ce sont les vagues à ma gauche qui me guident. J’ai passé une heure dans la plus belle plénitude que j’ai jamais eu. Je me demande même si je n’ai pas dormi à un moment, J’ai quasiment été dans un état de transe. Plus rien n’a existé. J’ai regardé deux ou trois fois le compteur de Jolly, on filait parfois à 35 km/h… sûrement grâce à un peu de vent favorable. Des conditions de rêve !
A quelques kilomètres de Lacanau, la belle route se transforme en petites plaques très étroites. On passe du paradis à l’enfer. La place n’est même pas suffisante pour faire une demi-poussée.
J’arrive à Lacanau Plage à 22h45. Je regarde mon compteur. C’est pas possible, 135km ! Ouah ! Je me sens mieux qu’ hier soir. Il y a anguille sous roche.
3ème jour : Lacanau-océan Royan (92 km)
Encore une superbe journée du point de vue météo.
J’ai longé la Dune du Pilla. Superbe, elle mérite bien sa notoriété. La plus haute dune d’Europe. Je prends mes premiers petits dénivelés. J ‘arrive vers 15h00 à Soulac. Une ville très sympa, un peu isolée tout de même sur la Pointe de Grave. J’ai pris pour la première fois le vent de Nord en pleine truffe… çà réveille.
J’ai parcouru encore 5 km jusqu’à la Pointe sur une piste cyclable toute neuve longeant une voie ferrée. Arrivée tout au bout, un gros Ferry nous attend pour traverser. Débarquement à Royan. Je retrouve la ville de mon enfance où je venais rendre visite à ma grand-mère, Je reconnais au loin la Cathédrale Moderne. Mais très vite, l’ambiance de cette ville me déplait. Je longe la mer sur un soleil couchant magnifique et sur le phare de Cordouan.
4ème jour : Royan – La rochelle (96 km)
Je me perds comme tous les matins où je pars d’une grosse ville. Je roulotte gentiment. J’arrive à 10km de Rochefort. Petite appréhension… Il va falloir traverser la Charente (le fleuve). On m’a parlé de deux ponts. Un pont routier et un transbordeur et je prends cette option. La traversée est vraiment agréable.
Il fait vraiment très très chaud. La piste cyclable devient vraiment immonde. Je pète littéralement un câble et je pars rouler sur la nationale. Celle-ci se transforme en 4 voies. Je persiste et signe dans ma bêtise quand je réalise que je vole quand un semi-remorque passe.
Je redescends sur une petite départementale au revêtement moins nauséeux mais épuisant tout de même. Je veux absolument traverser La Rochelle ce soir pour éviter de perdre encore une heure demain matin mais je suis réellement très fatigué. Je tombe sur un hôtel un peu pourri à l’entrée de la Rochelle (à Aytré). Demain soir, je dors chez ma mère. Je commence à réaliser que je fais bien plus de 100 km de moyenne par jour. Je commence à croire que ça pourrait passer.
5ème jour : La Rochelle – Aizenay (120 km)
Départ de La Rochelle , très sympa le port des Minimes au petit matin et la remontée des parcs. Traversée de ma Vendée, je décide de ne pas m’arrêter aux Sables et de filer pour accroître mon avance… Je connais les Monts d’Arrêts, je vais souffrir là-haut.
6ème jour : Aizenay – Saint-Nazaire (105 km)
La journée des bêtises. Aujourd’hui, sur la carte, je parcours à peine 80 km… Pourtant, j’en fais 105, dans la douleur et surtout l’agacement dû à mes erreurs de «?navigation?».
Pas beaucoup de rencontres aujourd’hui, hormis une Autruche qui m’a surpris… Je faisais une petite pause près d’un parc grillagé. Petit moment sympa de la journée. J’arrive à Pornic en plein milieu d’après-midi sur un port bondé. Je m’offre un grand café en terrasse en plein soleil.
J’arrive à Saint-Brévins avec pas mal de douleurs mais pas de chance, je ne trouve rien un dimanche ! Je me trouve enfin à proximité du Pont de Saint-Nazaire. Il est vraiment superbe. Je ne vois qu’une solution: faire du stop. C’est mon baptême de l’air, j’ai honte… Je passe le pont et trouve très difficilement un hôtel de l’autre côté, un premier pied en Bretagne.
7ème Jour : Saint-Nazaire – Malestroit
Je recommence à douter de moi alors que les deux jours précédents, je commençais à croire que c’était faisable. Il fait froid, humide et à peine jour. J’arrive dans le parc naturel de la Brière ( les marais de Guérande). C’est superbe, nature et très calme. Tout ce que j’aime. Le soleil apparaît, çà va mieux. Petit tour sur la voie verte de Mauron Questembert. ¨Petite journée de 80 km. Peu de plaisir, presque à oublier, hormis les beaux paysages.
8ème jour : Malestroit – Pontivy
Oups, on attaque les monts d’Arrées. Gros vents dans le nez. Vraiment le moral dans les chaussettes. Je regarde la carte. Il faut que j’atteigne au minimum Pontivy aujourd’hui si je veux rejoindre Morlaix demain et encore, çà sera très juste.
La journée sera comme celle d’hier, longue et difficile. Je suis encore presque à sec de nourriture, souvent d’eau et encore plus de sucre.
À 18h00 à Pontivy. Je me dis : « quel dommage, je pourrais continuer pour raccourcir ma journée de demain ». Je me renseigne à Pontivy. Tout le monde me dit que je ne trouverai rien à moins de 40km.
Je regarde la carte ce soir. C’est impossible d’arriver à Morlaix demain soir, je suis cramé en plus.
9ème jour : Pontivy – Morlaix
Départ sous la pluie. Génial… Je me fais mes petits cols à 350 mètres, c’est pas haut mais c’est récurrent. J’essaye de me fixer de petits objectifs car pour moi, nous sommes à 10.000 lieux de Morlaix… J’arrive à Rosternen et me dis que Caraix n’est pas loin.
J’y arrive à 17h00. Quelques kilomètres avant, je vois le panneau du Finistère… Dans ma tête maintenant, c’est clair, je suis à la maison, plus question de lâcher. Je réalise que je suis à 40 km de la maison. Jolly indique 880 km et je me dis, tu vas pas abandonner à un petit marathon de ton lit. J ‘ai eu une montée de folie et je me suis dit : « 17h00, rien à faire du dénivelé, de l’état des routes ou de la reproduction des mouches jaunes fluo de Papouasie Orientale, ce soir , je dors dans ma petite maison ».
Et me voilà à monter plein nord. Je regarde la carte, il reste à peine 20 km dont un col à 300. Je me dis » go , go , go tu y es » . J’envoiedes textos pour rassurer et dire que j’arrive…
La nuit tombe, mon phare principal s’éteint. Oups, mon portable aussi… Pas grave , je ne dois plus être très loin. Je me pause une dernière fois, je suis de plus en plus mal, il fait nuit noir. J’entends un petit bruit derrière moi puis un gros grognement … j’entends une branche ou un arbre qui craque et tombe… grosse frayeur, je me relève empoigne Jolly Jumper et m’élance comme un fou. Dommage qu’on ne m’ai pas chronométré sur ce 500 car çà envoyait vraiment du pâté !
Bref, une frayeur de folie. Je continue de rouler. Je suis vidé. Je n’en peux plus. Je ne vois plus de panneau. je me demande si je ne me suis pas perdu mais on ne vois rien dans cette forêt. Je pousse encore un peu et vois au loin un lampadaire. Je m’assois au pied de ce dernier, je ne peux plus, j’ai froid, je suis épuisé. Je décide de me pauser là et de me reposer, çà n’est plus raisonnable de rouler comme çà. Je sors mon K-Way et j’attends un peu. On doit s’inquiéter pour moi vu que le portable est éteint.
Tout à coup un gros phare au loin. Une énorme moto s’avance vers moi… se rapproche de plus en plus prêt. Je me dis qu’il va me rouler dessus. Il s’arrête à un mètre de moi. Ouf, quelle chance. Dessus, un géant enlève son casque. Et là, un truc de fou, je vois la tête de Gwen. J’ai du passer 10 secondes à comprendre ce qui se passait. Je lui demande où l’on est car çà me tracasse.
Il me dit, tu es à quelques kilomètre de Morlaix, à peine 5. Immense moment de libération… Je me dis que plus rien ne peut m’arrêter. J’aurais réussi à rejoindre Biarritz à Morlaix . Dans ma tête , çà bouillonne, je réalise petit à petit. Tout les mauvais moments disparaissent.
Il se met en plein phare derrière moi. Je ne patine plus, je vole. Des sensations de fou. Je fis ces 5 kilomètres en repensant à tout ce voyage, à tout ces gens.
Gwen derrière moi comme un ange gardien. Je prends le dernier virage qui va me faire aboutir à la place du viaduc. Une énorme bouffée d’émotion monte. Je glisse jusqu’au viaduc et m’arrête sur la place, il est grand, beau et majestueux. Gwen s’arrête, me serre la main,. Il sort de son sac le champagne et deux coupes. Un moment de folie que très peu de gens peuvent comprendre. On a discuté une heure. J’étais dans un autre monde. J’ai poussé Jolly Jusqu’à la maison. La vie était belle, 921 km au compteur.
Quel voyage de folie. Sincèrement, je ne vous en ai pas raconté le millième…
Liens utiles
Le tracé du raid d’Antoine
Le Blog d’Antoine
Photos : Antoine Morlaix
Jean
11 novembre 2011 at 21 h 26 mingloberollers
11 novembre 2011 at 19 h 04 minFrédéric MAUGER
10 novembre 2011 at 13 h 30 minBertrand
10 novembre 2011 at 8 h 47 min