Dire que ça a été dur, c'est loin de la vérité : ça a été une rude épreuve.
De 02h30 à 20h04, soit 17h34 pour 325,2 km soit 18,51 kmh.
Aller : de 02h30 à 10h40, soit 8h40 pour 162,6 km soit 19,91 kmh
Retour : de 10h40 à 20h04, soit 9h24 pour 162,6 km soit 17,29 kmh
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Ce sont des moyennes basses, très basses ! Je n'ai pas été aidé : à aucun moment je n'ai eu de vent favorable. Le vent a toujours été contraire, ou latéral, soufflant à 10 kmh, avec des rafales à 30 kmh environ. J'ai eu tous les grattons possibles et imaginables. J'ai eu la pluie ! Ce n'était pas prévu comme ça ! La pluie ne devait tomber que tard dans la soirée... En fait, elle est tombée vers 14h00, en Allemagne, après Nittel. La piste est devenue mouillée, glissante...
Mais la raison principale de cette faible moyenne, ce n'est pas que la pluie...
Mon impatience me fait me lever à 1h30 du matin. Je vais sur la terrasse et consulte le thermomètre : 12°C. Je décide de partir en débardeur + short cycliste. Après un petit bol de thé avec quelques céréales, me voilà en route, à 2h30 précises. La fraîcheur n'est pas trop intense, et c'est un vrai plaisir que de traverser Metz désert. La route est sèche, le ciel limpide. La Lune est haute et éclaire bien. Des milliers de lapins fuient devant moi alors que je file sur la piste vers La Maxe, et déjà, un petit vent de face me fait travailler plus pour avancer moins... A Hauconcourt, je débusque un beau renard au bord de l'eau, qui s'enfuit vivement vers les champs. Ma lampe Led est fort utile pour détecter les quelques branches tombées à terre.
La température n'a pas fini de descendre, on avoisine les 9°C vers 4h00 du matin. Comme je suis maintenant chaud, je carbure bien, mais une grosse partie de mon énergie part en chauffage. Je me dis que quand le soleil pointera, tout ira mieux. J'arrive en Allemagne vers 5h30 et il fait encore nuit. Je ne m'arrête pas à Besch pour puiser de l'eau car je vais en avoir assez jusqu'à Temmels.
J'ai embarqué beaucoup de nourriture, surtout des petits pains au lait, mais aussi des macarons à la noix de coco, et quatre petits sandwiches au fromage blanc, jambon et juste un peu de roquefort. Le froid m'ouvre un appétit énorme. Sachant que la température ne sera pas trop élevée, je n'ai aucune raison de trop charger en sel. Par contre je dose la poudre isotonique au maximum afin de bénéficier de son apport énergétique. Au total j'aurai bu 9 litres et perdu 1 kg.
Le ciel blanchit, verdit et jaunit à l'Est, alors que je gravis la grande côte de Palzem, dans les vignes. C'est un beau spectacle. Vers Wormeldange, à 6h30, il fait vraiment très froid, peut-être seulement 7°C. Je m'active pour garder mon corps chaud. Il fait maintenant assez clair pour me passer de lampe. A Temmels, je ne puise qu'un seul litre, et ma réserve totale en eau devrait alors me suffire pour tenir jusqu'à Neumagen.
Wellen : travaux sur voirie : Les Allemands sont à pied d'oeuvre de très bon matin, vers 7h15 : ils sont en train de refaire le revêtement de la route. Comme la piste cyclable longe la route à Wellen, cela pose quelques problèmes de franchissement. Mais finalement, entre barrières de sécurité, circulation alternée et goudron fumant, j'arrive à me faufiler sans problèmes.
Oberbillig, Allemagne, en face de l'embouchure de la Sûre : j'ai droit à ma première apparition de soleil, entre les coteaux de vignes...
Me voici en haut du pont de Konz. Spectacle grandiose de l'embouchure de la Saar sur la Moselle, tout ceci dans des couleurs pastel.
La piste entre Konz et Trier est littéralement défoncée par les racines des arbres. Il y a 1 an, c'était encore acceptable, mais aujourd'hui cela a pris de graves proportions. A mon avis, les pluies abondantes de juillet - août ont ramolli le sol, en même temps qu'elles ont donné beaucoup de vigueur aux arbres, qui entendent bien faire valoir leur droit naturel. Si rien n'est fait d'ici un an, cette piste sera impraticable. La traversée de Trèves est toujours aussi éprouvante, avec cette piste en pavés. Les gens vont au travail, il y a une forte circulation. Le soleil me réchauffe enfin. Passé Kenn, Riol, Detzem, me voici enfin dans Neumagen, ville touristique. Je m'arrête à la superette au carrefour du pont pour y acheter une bouteille de 1,5 litre d'eau. Après mes petits mélanges, je pousse jusqu'à Piesport.
Je m'engage sur le pont (condamné) qui marque le but ultime de mon parcours et pousse sur ma lancée jusqu'à une maison classée historique qui affiche clairement son âge : 1701. Je fais demi-tour, et je sens déjà que je commence à fatiguer. Une certaine douleur se fait sentir au niveau de ma hanche gauche.
Il est donc 10h45 et le vent, qui était jusqu'alors orienté au Nord-Est, a tendance à passer au Sud-Est, restant ainsi défavorable, bien que j'aie fait demi-tour, mais ça, je le savais déjà. Je savais déjà que ça allait se passer comme ça, et pourtant, je ressens un gros coup de fatigue. Fatigue et douleur. au niveau de la hanche gauche/fessier gauche. Pourtant, c'est ma hanche droite qui est handicapée, avec son clou en titane, alors pourquoi cette douleur à gauche ? Eh bien, comme ma jambe droite (opérée) est désormais plus courte que la gauche, c'est cette jambe gauche qui travaille trop, et du coup elle fatigue... De plus, cette grosse rando, que je suis en train de faire, est-ce que ce n'est pas la grosse rando de trop, pour une saison vraiment chargée en ultra-endurance ? Bref, je me pose trop de questions et cela me fatigue encore plus. Je me fixe une cadence régulière, mais basse. Malgré cela, les douleurs s'accentuent. Je suis en plein doute; je me demande si je vais réussir à rentrer. Il me reste quand même plus de 150 km à faire. Voici Trèves, étape importante. J'achète 1,5 litre d'eau et une canette de Red Bull à la station Shell. Je n'aime pas ce truc, mais dans des cas comme ça, il y a raison d'Etat. J'engloutis le Red Bull coupé à 50% d'eau en à peine 3 km. En tout cas ça descend bien, c'est agréable, et il est permis de supposer que ça fasse du bien au moral... c'est au moins ça ! Car en attendant, je rame toujours autant. Je multiplie les pauses de remplissage de bouteille. Une pause en haut du pont de Kontz, une autre à Temmels, évidemment, où je ne puise qu'un demi-litre d'eau avant Besch. Voici Wellen et ses travaux. Puis Nittel. Et là le vent devient fort, le ciel s'assombrit, je reçois une goutte. C'est pas vrai, manquait plus que ça. Il me reste encore 90 km à faire et la pluie se met à tomber. Hé attendez, ce n'est pas ce qui était convenu ! On s'était dit que la pluie tomberait le soir, après 20h00, quand tout serait fini... non ? La piste est maintenant mouillée, je patine comme un canard. Un canard boiteux. Voici Wormeldange, tantôt la pluie se calme, tantôt elle reprend. Ce n'est pas si grave après tout, il reste des portions sèches sous les arbres... La montée de Palzem, en gros gratton des campagnes et mouillée en plus. Suivi d'une super descente, position descendeur, pour une vitesse juste honorable, car je n'ai pas eu la force de lancer au départ. Et puis, c'est trempé. ça gicle derrière mes mollets... Puis Remich, puis Besch, trempé. Je puise 1,5 litre au robinet du cimetière. Je m'assois un moment. La frontière. Apach, puis Sierck-les-Bains. Tiens, ici le sol est plus sec. La pluie se serait-elle arrêtée à nos frontières ? Après Contz-les-Bains, je constate qu'en fait ici aussi il a plu, mais ça a bien séché. Mais cette douleur ne veut pas me lâcher... Mailing, Koenigsmacker. Je m'assois un moment sur une pierre. J'ai des idées noires du style : "arrivé à Thionville, - si j'y arrive - je monte dans un TER direction Metz, tant pis." Et tout d'un coup je décide qu'en fait, non. Il n'y aura plus de pensées négatives, c'est décrété, c'est officiel. Donc là on se lève et on roule, ok ? Fort de cette noble décision, je m'en vais, le coeur léger, et je n'ai plus mal. Ou presque. Ou alors, c'est que je fais comme si...
Yutz, Thionville, Illange. Tout se passe bien, je vais y arriver. Si j'arrive à Richemont, il ne peut plus rien m'arriver. Parce que de Richemont à la maison, il n'y a que 26 km. Et ces 26 km là, je les ai fait...des dizaines, peut-être des centaines de fois. De plus, quand je passerai les deux cheminées bariolées rouge et blanc de l'usine de Richemont, je saurai que j'aurai fait 300 km. Enfin presque. Disons, jusqu'au pont suivant alors. Tope la.
Ainsi donc, les derniers kilomètres défilent dans un climat d'allégresse et de bonheur indescriptibles. Chaque brin d'herbe semblait me dire "ah ben t'es arrivé finalement, c'est pas trop tôt". La Maxe, Metz. Les grandes côtes qui montent vers chez moi, histoire de me finir, comme si je pouvais être plus fini que maintenant, comme si on pouvait re-tuer un mort. Et pour arroser tout ça, l'averse, la vraie, ponctuelle : il est 20h00, il fait presque nuit, et je patine dans la côte. Je ne suis plus qu'à 500 mètres et ça tombe dru. Puis ça s'arrête, comme ça, d'un seul coup. ça y est, je suis arrivé. Comme par hasard ma femme est justement là, en bas de la maison, en train de garer la voiture, et mon fils aîné aussi est là. Ils sont là et moi aussi je suis là, c'est le bonheur.
J'ai vraiment trop forcé, j'en ai bien conscience, et le lendemain, où j'écris ces lignes, j'ai mal aux lombaires, à la hanche, et, curieusement, aux muscles du cou, comme si j'avais porté un sac à dos de 20 kilos pendant toute une journée.
Mais j' y suis arrivé finalement, et vivant. Il va me falloir quelque jours pour que les douleurs s'estompent. Par contre il me faudra beaucoup plus pour être capable à nouveau de patiner comme avant... J'ai gagné un bon repos obligatoire de mes guiboles.
J'en tire quand même une leçon : quand tout a lâché : muscles, tendons, quand le corps n'en peut plus, quand on a franchement abusé et dépassé la dose, il y a le mental. Il reste juste le mental, et c'est ça qui sauve.
P.S. : La petite blague sur le Roquefort, de XSFred, et le "Bon courage", de Sanglier76, ont agi comme des soutiens au moral. (je n'avais pas lu le "bon courage" de Kermit57 avant mon départ : un grand merci en tout cas à vous tous pour ces encouragements).